La Cour Internationale de Justice (CIJ), rendait dans son arrêt du vendredi 26 janvier à 13h, des mesures conservatoires à l’encontre d’Israël, à la suite de la plainte déposée par l’Afrique du Sud le 29 décembre 2023, et des audiences ayant eu lieu le 11 et 12 janvier à la Haye. Cette saisine s’était effectuée sur le fondement de la Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide, premier traité adopté par l’ONU en 1948, que l’Afrique du Sud affirme avoir été violée dans le cadre des actions israéliennes à Gaza.
Organe judiciaire de l’ONU, créée par la Charte des Nations Unies en 1945, la CIJ règle les différends qui lui sont soumis par les Etats membres, en vertu du droit international public. Ses juges, indépendants de leur pays d’origine, se sont prononcés sur les demandes qu’avaient déposées les deux parties à l’affaire. Seules les ordonnances d’urgence ont été examinées, le fond de l’affaire – et donc, l’affirmation ou non d’Israël comme étant un Etat commettant un génocide à l’égard du peuple Palestinien – étant reporté dans plusieurs années, à la suite d’un processus plus long et fastidieux.
Les mesures conservatoires prises par la CIJ, demandées par l’Afrique du Sud pour « protéger contre un nouveau préjudice grave et irréparable les droits que le peuple palestinien tient de la convention sur le génocide » et « veiller à ce qu’Israël s’acquitte des obligations que lui fait la convention de ne pas commettre le génocide, ainsi que de la prévenir et de le punir », sont au nombre de six. Le fait qu’elles aient été accordées signifie que la CIJ considère qu’existerait, plausiblement, un préjudice grave et irréparable à l’égard des Palestiniens quant à leurs droits tirés de la Convention.
Une ordonnance en six points à l’égard d’Israël
L’Etat d’Israël doit ainsi, en vertu de l’ordonnance de la Cour :
- Prendre toutes les mesures possibles pour prévenir, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, la commission de meurtres ou d’atteintes à l’intégrité mais également l’existence de conditions d’existence entraînant une destruction physique totale ou partielle du groupe et de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- Veiller à ce que son armée ne commette aucun de ces actes ;
- « Prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza » ;
- Permettre, par des mesures effectives, l’accès à l’aide humanitaire requise et la fourniture des services de base, pour « remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza » ;
- Prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza ;
- Soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’Israël aura pris, en conséquence de cette ordonnance, dans un délai d’un mois.
L’ensemble de ces dispositions a été votées à la grande majorité – 15 contre 2 ou 16 contre 1, sur les 17 juges qui composaient la Cour le jour de l’audience, selon les mesures. La juge ougandaise (quoiqu’indépendante, dans ses opinions, de ceux de son pays), Mme Sebutinde, a voté contre toutes les mesures édictées ; le juge israélien, MM Barak, a fait de même sauf pour les mesures 3 et 4.
Il s’agit enfin de comprendre, dans cette décision, les non-dits : la CIJ n’évoque aucun cessez-le-feu, alors même que l’interruption des opérations militaires à Gaza faisait partie des mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud.
Une réaction internationale mitigée
Si l’Afrique du Sud voit en cet arrêt une décision historique et une « étape importante dans la quête de justice pour le peuple palestinien » (selon les dires du Congrès National Africain), et que l’Autorité Palestinienne, par son ministre des Affaires étrangères, se positionne dans ce même esprit de congratulation, affirmant que « les Etats ont désormais l’obligation juridique claire de mettre fin à la guerre génocidaire d’Israël contre le peuple palestinien de Gaza », l’Etat d’Israël, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis semblent être d’une toute autre opinion.
À la suite du verdict de la CIJ, Benyamin Netanyahou, Premier ministre de l’Etat d’Israël, s’est exprimé en expliquant que le chef d’accusation de génocide est « faux » et « scandaleux ». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a pu déclarer, à la suite de l’arrêt, le tribunal d’antisémite, dont le but serait « la persécution du peuple juif ». Les Etats-Unis et le Royaume-Uni, quant à eux, affirment tous deux les actions d’Israël à Gaza comme n’étant aucunement génocidaire.
Plus particulièrement, le peuple palestinien à Gaza semble tendre vers une perspective plus nuancée du verdict. Si la saisine par l’Afrique du Sud de la CIJ était bienvenue, et le verdict leur semble être favorable, l’absence de position de la Cour sur le cessez-le-feu heurte les habitants de la bande, déjà soumis à des bombardements incessants depuis le 7 octobre. Sur les réseaux sociaux, de nombreux s’insurgent également du délai d’un mois associé au rapport que devra donner Israël à la Cour, l’estimant trop long.
Une portée de la décision encore trouble
Si les décisions rendues par la Cour Internationale de Justice sont bien contraignantes, il n’empêche que l’organe judiciaire ne dispose pas de moyens pour s’assurer de l’effectivité de celles-ci. Cela s’était déjà vu lorsqu’en 2022, la CIJ avait ordonné à la Russie la fin de ses invasions en Ukraine, sans que cet ordre ne soit suivi de résultats.
Par ailleurs, Benyamin Netanyahou avait déjà affirmé, avant le verdict, que « Personne ne nous arrêtera, ni La Haye [comprendre : la CIJ], ni l’Axe du Mal, ni personne d’autre ».
Selon la secrétaire générale d’Amnesty International, il serait primordial que les autres Etats, en plus de l’Afrique du Sud, veillent à ce que toutes les mesures soient appliquées.
La réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies à ce sujet
Dans cette optique-là, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, organe le plus important de l’organisation internationale et présidé, pour le mois de janvier 2024, par la France, s’est réuni mercredi 31 janvier à la demande de l’Algérie pour pouvoir notamment discuter de la décision de la CIJ.
Les positions des Etats, telles que précédemment vues au cours de cet article, y ont été réitérées : si une majorité des pays s’étant exprimés soutient les mesures décidées par la CIJ, et d’autres ont pu mettre en avant la situation humanitaire catastrophique à Gaza, appelant pour certains à un cessez-le-feu, rien ne ressort de plus concret pour le moment.
L’affaire reste donc à suivre.