En 2024, la moitié de la population mondiale en âge de voter était appelée à prendre part à des élections, tout scrutins confondus. Parmi ces citoyens, les taïwanais le 13 janvier 2024 ont été appelés aux urnes afin d’élire leur président, leur vice-président et les députés qui composeront le Yuan Législatif (équivalent de notre Assemblée Nationale). À l’issue de ce scrutin, Lai Ching-te du Parti Démocrate Progressiste emporte la présidence. Son parti cependant n’obtient pas la majorité au Yuan Législatif et sera devancé par l’opposition, principalement représentée par le Kuomintang et le Parti Populaire taïwanais.
Un an plus tôt, les élections étaient mises en scène dans une série, Wave Makers. Cette série qui se présente comme une immersion au sein de l’équipe de campagne d’un parti fictif a pourtant pris une tournure inattendue au moment de sa diffusion. Avec un impact qui n’a rien de fictif sur la société taïwanaise. Et c’est ça qui est intéressant avec cette série qui nous en dit plus sur un état encore jeune que l’on connaît encore peu.
Wave Makers 人選之人-造浪者 donc est une série taïwanaise en 8 épisodes diffusée sur Netflix en avril 2023 qui retrace la campagne électorale de la candidate Yueh-chen Lin du Parti de la Justice, mais surtout de son équipe de campagne. Une équipe menée entre autres par Wen-fang et Chia-ching, deux militants de longue date, la première est pleine d’ambitions et le second peine à maintenir un bon équilibre de vie. L’autre personnage notable du staff est Ya-ching qui, bien que motivée et engagée, a l’air de cacher d’autres intérêts dans l’élection qui se joue. Puisqu’elle semble avoir un passif avec Chang-tse Chao, le candidat à la vice-présidence du parti rival.
À partir de cette base, la série va nous montrer les mois précédant le scrutin présidentiel et les défis auxquels vont devoir faire face nos protagonistes pour assurer la victoire de leur candidate.
Tout d’abord, ce qui est énormément appréciable dans Wave Makers, c’est le ton et l’écriture. Beaucoup de séries axées sur la politique adoptent souvent un ton cynique et désabusé, ça se peut se voir dans Baron Noir ou House of Cards par exemple. Ou même dans En place de Jean Pascal Zadi où l’humour contribue au cynisme. À l’inverse, Wave Makers est très premier degré et préfère mettre l’emphase sur l’espoir, l’optimisme. Les personnages croient en leur engagement et croient qu’un avenir meilleur pour leur pays est possible s’ils s’engagent. Ce qui je pense pourrait être perçu comme très naïf chez certains spectateurs, notamment la française fatiguée de la politique que je suis. Mais force est de constater qu’on est vite emporté par l’optimisme touchant des personnages et qu’on sort du visionnage avec un grand sourire satisfait. Cette naïveté en politique pourrait s’expliquer par le fait que Taïwan est un état jeune comme dit plus tôt mais surtout une démocratie jeune. Un point abordé dans la série d’ailleurs, lorsque la candidate du parti de la justice évoque l’époque de la Loi Martiale et se félicite que les nouvelles générations puissent s’exprimer et voter librement.
Ainsi, sur la base des élections, la série en profite pour brasser plein de thématiques différentes qui sont débattues dans la société taïwanaise. Des enjeux nationaux plutôt qu’internationaux puisque la question de la Chine continentale n’est pas abordée. Ce qui permet de découvrir d’autres aspects inhérents à Taïwan. Comme la vie politique très mouvementée car le pays est connu pour sa violence parlementaire. Mais on se centre également sur les débats de société. On parle de mariage pour tous et de militantisme LGBT+ via Wen-fang, victime d’homophobie au sein même de son parti mais qui est aussi saluée pour son courage après son coming-out. On parle de la peine de mort qui existe toujours à Taïwan et qui suscite énormément de débats ou encore des conditions de vie des immigrés sud-asiatiques. Par le biais de Chia-ching, on évoque l’équilibre entre vie professionnelle et vie de famille. Et cetera Et cetera.
Cependant, là où Wave Makers a frappé très fort, c’est sur la question du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles. Puisque la série à permis ni plus ni moins de lancer un #Metoo taiwanais. Dans la série, Ya-ching est victime d’une agression sexuelle sur son lieu de travail. Soutenue par Wen-fang qui est scandalisée, elle décide de faire remonter ça à sa hiérarchie et de porter plainte malgré les obstacles et la pression subie.
L’histoire de Ya-ching a fortement résonné chez les fans de la série et les internautes, les témoignages d’agressions se sont multipliés sur les réseaux sociaux après la diffusion. Avec comme slogan de ralliement non pas le fameux #Metoo mais une phrase tout droit tirée de Wave Makers prononcé par Wen Fang : « 我们不要就这样算了,好不好 ? » (Ne laissons pas tomber comme ça, d’accord ?). Les accusations concernaient surtout le milieu universitaire, journalistique, intellectuel et artistique mais aussi politique car allant même jusqu’au parti présidentiel. Une employée avait en effet témoigné du harcèlement sexuel dont elle avait été victime, de l’indifférence de sa hiérarchie et des conséquences sur sa santé physique et mentale. Le Parti Démocrate Progressiste et Tsai Ing-wen, présidente de l’époque, avaient même réagi et présenté des excuses. Ils avaient également promis un sursaut au niveau légal. Le gouvernement a mis en place de nouvelles lois pour promouvoir l’égalité des sexes, éduquer sur ces thématiques et prévenir le harcèlement sexuel. Celles-ci sont adoptées en première lecture en juillet 2023 et rentreront en vigueur symboliquement le 8 mars 2024.
La morale de l’histoire est qu’il ne faut certainement pas sous-estimer le pouvoir des œuvres de fiction. Même celui d’une simple mini-série. C’est pour cela que je parle de chronique « fictive ou presque », car ses effets ont clairement dépassé la diégèse. En plus de nous en apprendre plus sur la société taïwanaise, sa culture et ses gens, elle à permis de faire bouger les lignes dans cette société. Sa sincérité est louable et nous redonne espoir en l’avenir, nous donne envie de nous engager et de lutter pour ce qui est juste. Parce que comme dirait Wen-fang : « Ne Laissons pas tomber comme ça, d’accord ?»