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lundi 9 décembre 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Une mer, des tensions : Zoom sur la mer de Chine Méridionale

Dans les médias conventionnels, très peu de place est accordée aux événements qui se déroulent en mer de Chine Méridionale. Pourtant cet espace est le théâtre de tensions parmi les plus fortes de ce monde, opposant la Chine aux autres pays frontaliers et aux Etats-Unis. Les intérêts économiques et géopolitiques ont fait de cet espace une zone de tensions internationales. Cette étendue d’eau constitue un enjeu vital pour la Chine, et les pays côtiers se voient entraînés dans un engrenage de tensions alimentées par la politique agressive de Pékin. L’objectif de cet article est d’en étudier les causes et de mesurer l’ampleur des conséquences des actions de Pékin.

Une mer riche en ressources naturelles

L’un des tout premiers éléments qui fait de la mer de Chine Méridionale une zone stratégique pour la Chine tient dans les ressources qui s’y trouvent, et notamment une importante quantité de poissons et de denrées d’origine halieutique en tout genre. En effet, le poids écrasant de la population Chinoise (1,3 milliards de personnes) entraîne une nécessité pour Pékin de se procurer de grandes quantités de poisson. Mais à l’Est, impossible pour Pékin d’aller pêcher dans les eaux sous souveraineté Japonaise, Taïwanaise ou Sud-Coréenne. De ce fait, la Chine se retrouve limitée en la matière. Au Sud, la mer de Chine Méridionale apparaît comme le terrain de jeu parfait pour Pékin. A elle seule, en 2015, la mer de Chine méridionale concentrait 12% des captures de poisson dans le monde avec près de 10 millions de tonnes pêchées. Pékin tend donc à accroître son activité de pêche dans la zone. En conséquence directe de cet accroissement, ce sont les activités économiques locales de pays comme les Philippines ou l’Indonésie – à certains endroits très concentrées sur la pêche – qui en pâtissent. Ce ne sont pas moins d’environ 10 millions de pêcheurs Chinois qui naviguent constamment en mer de Chine.

 

Mais la Chine s’intéresse à cette zone également pour la forte présence de pétrole et de gaz. De nombreux puits y sont présents. Cela permet en effet à la Chine d’accroître son autonomie en matière d’énergies fossiles, en dépendant quantitativement moins des premiers exportateurs mondiaux en la matière. Il existe de grands bassins gaziers au large de la Malaisie, de la Thaïlande et de Bornéo. Pour ce qui est du pétrole, on en retrouve au large de l’Indonésie et plus partiellement au large du Vietnam. Mais le problème reste le même : ces puits se trouvent dans les eaux sous souveraineté du Vietnam, de l’Indonésie, de la Malaisie et de la Thaïlande. La Chine n’est donc pas légitime à y avoir accès, d’autant plus que ces derniers sont vitaux pour les économies de ces pays. Par exemple, au Cambodge, c’est encore 49% de la production d’électricité qui provient des énergies fossiles. 

Mais l’exploitation de ces ressources est intimement liée à une autre question qu’est celle des Zones Économiques Exclusives

Un problème : Les Zones Economiques Exclusives

En 1982 est signée en Jamaïque la Convention de Montego Bay, sous l’égide de l’ONU. Son objectif est clair : stimuler le développement des Etats par l’appropriation par ces derniers d’une bande de mer le long de leurs côtes sur lesquels ils pourront exercer différents degrés de souveraineté. Parmi les différents éléments qui composent cette bande de mer se trouve la Zone Économique Exclusive (ZEE). Elle démarre après la mer territoriale (d’une largeur de 12 miles nautiques) et la zone contigüe (également d’une largeur de 12 miles) et mesure entre 176 et 326 miles nautiques de largeur, la portant de fait à une distance maximale de la côte allant de 200 à 350 miles. Sur cet espace, l’Etat concerné peut exercer certains droits, notamment d’ordre économiques et militaires. Par exemple, cela permet aux Etats d’avoir accès aux ressources – entre autres, halieutiques, pétrolières et gazières – qui s’y trouvent. 

Le problème est que, dans certains espaces maritimes, des ZEE peuvent se chevaucher. C’est précisément ce qui se passe en mer de Chine méridionale. Les différents tracés des ZEE des pays bordant la mer de Chine Méridionale se chevauchent et empiètent sur celles d’autres Etats. La Chine, du fait de son implantation dans cette mer, en revendique 80%. Cette dernière empiète sur la quasi-totalité des ZEE des autres pays. Ici se trouve bel et bien la source de la majorité des problèmes dans la zone. De manière à pouvoir revendiquer toutes les ressources de la zone, la Chine a mis en place une politique nommée la « ligne des neuf traits ». C’est la République de Chine qui en avait parlé pour la première fois en décembre 1947. Elle comportait au début 11 traits. Puis, la République Populaire de Chine, qui succéda en 1949 à la République de Chine repris la revendication, avant de l’amender, à l’initiative du Premier Ministre Zhou Enlai, en enlevant deux traits dans le Golfe du Tonkin. Tout cela se base sur un élément fondamental : la revendication par la Chine des îles Spratleys, Paracels et Scarborough. Ce sont en réalité trois archipels qui, à première vue, pourraient paraître bien banals. Mais il faut ici repenser au mécanisme de la ZEE. Elle permet d’avoir la mainmise sur un certain nombre d’éléments économiques dans un rayon qui peut aller jusqu’à 350 miles marins, et ce autour de toute terre appartenant à un Etat. La prise de contrôle de ces archipels par la Chine lui permettrait donc d’avoir la main sur une très large partie de la mer de Chine Méridionale.

Dans l’optique d’aller au bout de cette stratégie, la Chine a commencé à mener une politique d’expansion dans ces archipels. Pékin a transformé plusieurs atolls des îles Paracels et Spratleys en de vastes complexes militaires. Cette stratégie de revendication de ces atolls s’effectue également à travers les actions de la « milice maritime Chinoise ». Cette milice avait été créée par Pékin en 1974 et avait permis, dans un premier temps, de s’emparer des îles Paracels. Cette milice est essentiellement composée de navires de pêche, notamment en provenance de l’île Chinoise de Henan. Elle est souvent épaulée par les garde-côtes Chinois. Par exemple, en 2021, les Philippines avaient accusé Pékin de s’être introduit dans leur ZEE avec plus de 200 navires paramilitaires Chinois. 

Les ZEE sont donc un enjeu d’envergure pour Pékin. Cependant, les enjeux économiques sont également tout autres.

Mer de Chine méridionale : Passage de la principale route commerciale maritime mondiale et importance du projet des « nouvelles routes de la Soie »

Mettre la main sur la mer de Chine méridionale, c’est avoir en sa possession la principale route commerciale maritime de ce monde. Le commerce maritime international ne cesse de s’accroître. En 2023, le commerce maritime mondial représentait 90% des marchandises échangées en volume et 80% des marchandises échangées en valeur. Parmi le réseau des routes maritimes, la plus importantes pour le moment reste celle qui part des grands ports de la côte Est Asiatique, qui passe par la mer de Chine méridionale, le détroit de Malacca, l’océan Indien, le détroit de Bab el Mandeb, le canal de Suez, la mer Méditerranée, le détroit de Gibraltar et l’océan Atlantique. Celle-ci permet de rejoindre les grands ports Africains, Européens et Est-Américains. Cela permettrait donc à la Chine non-seulement d’assurer ses exportations, mais également ses importations. En effet, elle pourrait contrôler tous les passages dans la zone de la mer de Chine méridionale. Cet espace figure effectivement parmi les plus grandes zones de piraterie dans le monde. Cela représente donc un danger pour le commerce maritime Chinois et international. Les Chinois veulent donc avoir la mainmise pour sécuriser leurs intérêts.

Par ailleurs, la Chine a également lancé en septembre 2013 le projet des « nouvelles routes de la Soie ». Incluant une composante terrestre et maritime, le projet des nouvelles routes de la Soie vise à favoriser les exportations de la Chine vers les pays centre-asiatiques, Africains et Européens. L’un des objectifs est en réalité de contourner la barrière Américaine dans le Pacifique. Certains y voient ici un projet d’expansionnisme, pour y installer l’influence Chinoise de manière pérenne dans plus de la moitié des pays de la planète. L’un des enjeux pour la Chine tient dans le fait que la voie maritime, qui dessert les grands ports Sud-Asiatiques, Africains et Sud-Américains passe intégralement par la mer de Chine méridionale. Or, ce projet est vital pour la Chine de demain et, si la mer de Chine n’est pas maîtrisée, alors cela représente un danger majeur pour le projet et pour la pérennité de la Chine, de ses exportations, et de ses relations à l’international. 

La principale conséquence : une forte militarisation de la zone

La croissance de l’intérêt que porte la Chine pour la zone va de pair avec une forte militarisation de cet espace. En effet, les intérêts sont tels pour toutes les parties qu’ils ont fait de cet espace un véritable lieu de confrontation militaire. Régulièrement, des accrochages ont lieu entre navires de différentes nationalités. Par exemple, le dimanche 22 octobre 2023, deux collisions ont eu lieu entre des navires militaires Philippins et Chinois dans les Spratleys. 

C’est le lieu de confrontation de gros acteurs militaires mondiaux. Selon le Pentagone, la marine Chinoise compterait 350 navires de guerre. De leur côté, les Américains affirment avoir en leur possession 293 navires de guerre. Pour ce qui est des puissances régionales, cela reste des puissances militaires en développement. D’autres pays comme la France sont également présents dans la région. Le porte-avions Charles De Gaulle a par exemple été envoyé dans les environs de Singapour en 2019. C’est ce qui en fait une zone de tension, où les velléités expansionnistes de la Chine entraînent une militarisation généralisée de la région.

Les Etats-Unis sont la première puissance militaire mondiale, et leur implantation dans la zone est conséquente. En effet, ils possèdent bon nombre de bases militaires autour de la mer de Chine, et plus généralement autour des côtes Chinoises. Dans une proximité plus ou moins évidente, les Etats-Unis ne possèdent pas moins de 14 bases militaires autour de la Chine. Parmi elles, cinq sont situées directement dans des pays bordant la mer de Chine Méridionale. Pour comprendre cette forte implantation, il faut remonter au sortir de la Seconde Guerre Mondiale et aux balbutiements de la guerre froide. A cette époque, les Américains ont pris l’avantage sur l’Empire du Soleil Levant. Leur présence dans le Pacifique est de ce fait accrue. En parallèle, la Chine est exsangue, épuisée par l’occupation nippone, par une vingtaine d’années de guerre civile et par plus d’un siècle d’instabilité. En 1949, Mao Tsé Toung prend le pouvoir et instaure un régime marxiste-léniniste. Dans un contexte de guerre froide, cela sonne comme une défaite cinglante pour le camp capitaliste. De ce fait, les Etats-Unis maintiennent une forte présence, et ce notamment pour établir un nouveau pouvoir au Japon et pour protéger Taïwan la capitaliste de son encombrant voisin. Après la guerre froide, c’est la rivalité multisectorielle entre les deux pays, la crédibilité des Etats-Unis dans l’Asie-Pacifique ainsi que l’intérêt stratégique de ces positions qui légitiment le maintien de cette présence Américaine le long des côtes Chinoises, et plus fortement encore en mer de Chine Méridionale.

La Chine a par ailleurs construit de nombreuses bases militaires dans la région. En effet, comme nous l’avons évoqué auparavant, Pékin s’est attelé à transformer plusieurs dizaines d’îlots des Paracels et des Spratleys en de véritables bases navales. Depuis le début des tensions en mer de Chine Méridionale, le processus d’artificialisation de ces îlots s’est largement répandu. Rien que dans l’archipel des Spratleys, qui comprend 14 atolls, c’est sept de ces petites îles qui ont été artificialisées par l’armée Chinoise. Ces installations militaires ultramodernes permettent par exemple l’accueil d’avions de combat, l’établissement d’une logistique militaire dans la région, la construction de ports pour les navires militaires et, bien sûr, l’accueil de personnels militaires.

Pour tout ces facteurs, la mer de Chine Méridionale est donc une zone internationale sous tension. La Chine y exprime ses revendications par la force, au détriment des autres pays côtiers. Ces derniers ne peuvent pour l’instant opposer une résistance suffisante pour inquiéter Pékin. La surveillance des Etats-Unis semble pour l’instant trop faible pour stopper la Chine, qui voit dans cette mer un enjeu vital, tant alimentaire, pétrolier et gazier, que politique, économique et stratégique. Cela a de grosses conséquences au niveau de la liberté de circulation des navires dans la zone et pourrait, à l’avenir, déboucher sur des tensions plus fortes, impliquant plusieurs acteurs militaires majeurs de ce monde.

Sources :
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