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mardi 23 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

The Crown : Une saison 5 pas très royale

Novembre fut très prolifique en termes de séries pour Netflix. En effet, ce mois a été marqué par le retour de quelques titres très appréciés sur la plateforme. Et parmi eux se trouve ni plus ni moins que LA série avec un grand S, la série plus chère de l’histoire de la plateforme, un succès critique qui a fait couler l’encre, de la controverse et a ravivé les passions. Je parle bien évidemment d’Elite… Cependant, vous avez lu le titre de l’article et cette blague ne faisant rire que les youtubeurs, je vais bien entendu parler de The Crown. 

 

Créée par Peter Morgan et diffusée depuis 2016 sur Netflix, The Crown s’est très vite distinguée sur le service de VOD. Certes ce n’est pas le premier carton populaire de la plateforme, House of Cards et Orange is the New Black sorties en 2013 restent les grandes aînées. Elle n’atteint certainement pas les records astronomiques de Squid Games et Stranger Things, mais elle se démarque par son ambition. Celle de nous narrer une fresque historique retraçant le règne d’Elizabeth II, du début des années 1950 à nos jours ou presque. Chaque saison recouvrant environ une décennie. 

Je ne m’étendrai pas sur les quatre premières saisons puisque ce n’est pas le propos et que je risque d’y revenir à titre de comparaison avec la dernière, mais je ne peux que vous en conseiller le visionnage. On a une série qui est clairement à la hauteur de ses ambitions, et qui s’inscrit dans la lignée des séries prestigieuses à la HBO. Elle a des qualités indéniables, outre les plans sur l’arrière-train de Matt Smith. Les acteurs sont incroyables, la mise en scène impeccable et l’écriture soignée. C’est un vrai plaisir à regarder, même pour nous mangeurs de grenouilles, connus pour avoir coupé court à la monarchie.

 

Il va sans dire que je plaçais de grands espoirs dans la saison 5. La bande-annonce présentant le nouveau casting, des belles images, avec en fond sonore un joli réarrangement de Bitter Sweet Symphony, cela vendait vraiment du rêve ! Et malheureusement, je suis ressortie plutôt bredouille. Même beaucoup bredouille. Certes, cette saison n’est pas non plus affreuse à regarder, ce n’est pas le degré de médiocrité atteint par les dernières saisons de Riverdale, mais on perd en substance. Il n’y a plus cette énergie, ce petit quelque chose qui maintenait notre intérêt. Et de mon point de vue, cette baisse significative de qualité repose sur plusieurs points. 

 

Essentialisation et Manque de subtilité : 

 

La première chose frappante quand on commence cette nouvelle saison, est la finesse. Ou plutôt l’absence de finesse. Par exemple dans le premier épisode, avec l’histoire du paquebot de la reine, Le Britannia, qui a la particularité d’être vieux, en mauvais état et coûtant trop cher au gouvernement britannique. Au cas où vous n’auriez pas saisi, c’est une métaphore de la Reine et de la famille royale. La série a l’habitude des métaphores et du symbolisme bien appuyé mais la plupart du temps ça passe car c’est court. On a une jolie image lourde de sens à droite, un petit ralenti esthétique à gauche, ici on étale la métaphore sur un épisode entier. On a réellement l’impression que les scénaristes sont à côté de nous sur le canapé et nous hurlent « Hé tu as compris la référence ? ». 

 

Ce manque de subtilité se ressent également dans l’écriture de certains personnages, leurs caractéristiques et leurs personnalités étant essentialisées. En narration, on appelle cela la Flanderisation, lorsqu’un trait de personnalité en particulier est poussé à l’extrême pour ensuite prédominer sur tout ce qui constitue le personnage. Et comme son nom l’indique ce trope nous vient des Simpsons où le personnage de Flanders devient au fil des saisons une auto-caricature. C’est un problème d’écriture récurrent dans les séries longues et si cela est peut-être moins embêtant dans un cartoon satirique, ça l’est plus dans une série sérieuse qui se base sur des personnes ayant réellement existé. Surtout que cette Flanderisation touche notre personnage principal. La Reine, en plus d’être mise au second plan, voit son caractère simplifié, elle en deviendrait presque benête c’est très insultant. Et je ne pense pas que cela soit dû au jeu d’Imelda Staunton, actrice qui malheureusement n’égale pas le regard perçant et le jeu subtil de Claire Foy ou la génialissime Olivia Colman qui rend tous ses rôles même secondaires incroyables. Cette essentialisation touche également la princesse Diana, pourtant magnifiquement interprétée par Elizabeth Debicki, dont on accentue vraiment le côté manipulateur. Elle en devient presque puérile, tandis que de l’autre côté le prince Charles est glorifié. Cela enlève beaucoup de poids et de crédibilité au conflit entre les deux, qui est censé être primordial, alors que la quatrième saison arrive très bien à peser le pour et le contre de chaque partie.

 

D’une manière générale, tout semble moins subtil et plus lourd et pompeux, mais cela n’est pas le plus gros des points noirs.

 

Politique, tu me manques :

 

Je pense que si on aime autant les histoires de têtes couronnées, c’est pour la politique. Il suffit de voir l’engouement autour de l’univers de Westeros, ses complots et ses intrigues alambiquées, de plus on sait que Game of Thrones puise ses inspirations dans de vrais événements historiques. Cependant, à l’inverse du roi des Sept Couronnes, les monarques britanniques de notre monde réel n’ont plus aucun pouvoir aujourd’hui. On pourrait donc penser qu’il est peu intéressant d’écrire des intrigues sur des gens qui ne font rien et ne prennent aucune décision. Pourtant, The Crown arrive justement à capter notre intérêt grâce à cette donnée en particulier : la dualité entre agir ou ne pas agir, mais aussi sur la symbolique de la Reine et ce qu’elle représente autant pour ses sujets que pour ses proches, le tout dans un monde qui évolue et qui s’émancipe de l’influence britannique. C’est d‘ailleurs ce qui rend les premières saisons si géniales, montrer les évolutions sociétales et les événements signifiants pour la Grande Bretagne et de l’empire Britannique, mais aussi certains épisodes et faits historiques moins connus et moins étudiés. Surtout si l’on n’est pas  britannique de base.

 

Le problème de cette cinquième saison est que l’on retrouve peu de cet aspect, on a l’impression que les scénaristes ont oublié qu’il y a un monde extérieur qui avance au-delà du palais de Buckingham. Il y a bien moins de scènes avec le Premier Ministre par exemple, et quand on le voit on se focalise plus sur les problèmes de la Famille Royale que sur les affaires intérieures ou extérieures au pays. Ce qui fait que John Major semble beaucoup moins intéressant que ses prédécesseurs puisque l’on ne montre pas ou peu ses actions politiques, il fait pâle figure après Churchill, Wilson et Thatcher. Et pour ce qui est de la politique étrangère, on dédie un épisode à la recherche des corps de la famille Romanov et de l’implication de la Famille Royale dans le processus, notamment celle du Prince Philip, c’est cool. On parle de la Rétrocession de Hong-Kong, c’est cool aussi. Mais c’est tout. A la rigueur on mentionne vite fait ce qui se passe globalement dans le pays mais pas en détail. Les années 1990 ne manquent pourtant pas d’événements importants, significatifs et impliquant directement ou indirectement le Royaume-Uni. Et cela n’importe qui peut le vérifier en faisant un tour sur Google et Wikipédia (ce que j’ai fait au passage). On aurait pu revenir plus en détail sur la fin de la Guerre Froide et de l’URSS en 1991 par exemple. Ou encore montrer où en sont les relations avec les Etats-Unis, c’était un point important dans les saisons précédentes où l’on rencontre plusieurs présidents américains, surtout que la Grande Bretagne a été un important contributeur dans la coalition dirigée par les Etats-Unis en Irak en 1990. Parlant de guerres, il y avait également matière à disserter, entre justement la Première Guerre du Golfe ou encore les Guerres d’ex-Yougoslavie en 1991. Pour la politique étrangère, on aurait également pu développer sur l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud en 1991. Et pour un peu de politique intérieure, on aurait pu revenir sur le début de négociations précédant le processus de paix en Irlande après plusieurs décennies de violence. 

 

Apparemment non, ce n’est à priori pas assez intéressant donc on va centrer presque tous les épisodes sur le conflit du Prince Charles et de Lady Di au point que l’on oublie qui est le personnage principal de la série. Je ne dis pas que les drames intimes et personnels ne peuvent pas être intéressants, ils étaient présents dans les premières saisons après tout. Entre l’histoire d’amour contrariée entre la Princesse Margaret et Peter Townsend dans la première saison, les problèmes de couple de la Reine et du Prince Philip dans la seconde saison et la liaison entre Charles et Camilla dans la troisième et la quatrième saison, on était bien servi de ce côté-là. Cependant, on ne s’ennuyait pas car l’ensemble était bien mieux équilibré. On n’avait surtout pas l’impression que la politique prenait le pas sur le drame quand il le fallait et inversement, ou alors les deux s’imbriquaient de manière harmonieuse comme dans l’épisode 3 de la saison 3 sur la catastrophe d’Aberfan qui est particulièrement réussi.

 

Cette nouvelle saison perd donc en substance et en contenu en se centrant à ce point sur les intrigues personnelles et en mettant de côté la politique et les affaires. On en ressort avec une impression générale d’ennui palpable.

 

La famille Royale n’a pas trop à s’inquiéter :

 

Quand cette nouvelle saison a été annoncée et sa bande-annonce révélée, je me souviens de tout le grabuge causé, notamment la panique de la Famille Royale qui craignait pour son image, surtout au vu des évènements récents. Des personnalités, comme Judi Dench, ont quant à elles vivement critiqué le sensationnalisme dont faisait de plus en plus preuve la série et ont même demandé à Netflix de préciser en début d’épisode qu’il s’agit bien d’une œuvre de fiction, ne serait-ce que pour respecter une famille endeuillée. Pourtant, après visionnage je me demande encore où sont les attaques. Disons-le clairement, The Crown, et surtout cette saison 5, ne fera pas de vous un anti-monarchie. 

 

Attention, je ne dis pas que la série doit absolument adopter un parti pris anti monarchique, ce n’est pas sa vocation. Cependant, les saisons précédentes ont réussi à pointer certains problèmes inhérents à ce régime. Ce n’était pas le cœur du sujet, mais cela avait au moins le mérite d’être posé sur la table et discuté. Cette cinquième saison étant dénuée ou presque de tout enjeux politique, la critique du pouvoir n’est presque pas adressée. Alors que les bases étaient bien présentes pour débattre durant la saison de la légitimité du système et de la famille royale, le conflit Charles/Diana prend toute la place et a mis sous le tapis cette problématique intéressante. Je trouve dommage que cette saison ne se penche pas autant sur les aspects négatifs comme l’ont fait ses prédécesseurs. La première saison par exemple s’axe beaucoup sur le protocole étouffant et désuet qui met à mal les relations de la Reine avec ses proches. Et plus généralement, la série traite de la tendance de la Famille Royale à faire taire ou dissimuler ses propres éléments dissidents. Ceux-ci n’ayant pas d’autres choix que de s’adapter au système, comme le Prince Philip, ou de s’en extirper comme Lady Di. 

 

D’autres sujets plus sensibles qui ont été survolés auraient également pu être abordés. Bien que l’on ait dédié un épisode au Ghana dans la saison 2, on aurait pu espérer que la série parle plus en détail de la décolonisation et ce que représente la Couronne pour les nations anciennement colonisées. Ou, encore une fois, revenir sur le conflit nord-irlandais qui n’est central que dans le premier épisode de la saison 4. En effet, dans cet épisode on assiste à l’assassinat de Lord Mountbatten par l’IRA tandis que sont montrées durant ses funérailles des images d’émeutes. Ces exemples nous montrent bien que la série reste très timide et en surface dans sa critique de la monarchie puisque dans le premier cas, la question de l’indépendance du Ghana ne sert qu’à faire avancer le personnage d’Elizabeth II. Et dans le deuxième cas, la question des Troubles est abordée via un seul évènement en particulier allant dans le sens de la Famille Royale, alors que le conflit s’étend sur plus de trente ans. 

 

The Crown n’est donc pas la série qui risque de faire s’écrouler un régime monarchique, elle n’est même pas capable d’évoquer ses aspects les plus problématiques. Et de mon humble avis, on est en droit d’attendre un recul et un aspect critique de la part d’une série aussi sérieuse et nous ayant habitué par le passé à des hauts standards en termes d’écriture. Pour preuve, des œuvres à l’ambition bien moindre et destinées à un public plus adolescent l’ont déjà fait. Sur la même plateforme, vous pouvez retrouver la série suédoise Young Royals où la monarchie est clairement montrée comme le problème et le principal obstacle à l’émancipation du personnage principal qui se voit forcé de mentir sur son homosexualité pour préserver l’image de la Royauté. Dans le roman Red White and Royal Blue de Casey McQuiston, les deux protagonistes critiquent ouvertement le passé colonial du Royaume-Uni au cours de leurs discussions, et la Reine d’Angleterre est remise à place à la fin du récit pour son manque de tolérance et de considération vis-à-vis de ses proches. Ces œuvres qui n’appellent pas non plus à couper toutes les têtes couronnées, ont prouvé qu’il était possible de critiquer intelligemment le pouvoir, le tout dans des médias populaires consommés par le plus grand nombre.

 

En conclusion, et après toutes ces digressions, je ne vous conseillerais pas vraiment le visionnage de cette nouvelle saison. A moins que vous souhaitiez atteindre le nirvana de l’ennui profond, dans ce cas-là foncez. Et si vous êtes en manque de séries Netflix, vous pouvez toujours regarder Warrior Nun car rien n’égale en termes de fun des nonnes guerrières qui font du Kung-fu. Si vous cherchez des frissons et des émotions, Young Royals est l’idéal, pensez juste aux mouchoirs. Et regardez Derry Girls si vous voulez en apprendre plus sur le conflit nord-irlandais. Eh oui, on y revient toujours.

 

Sources :
  • Articles :

Rolling Stone, Judi Dench veut que Netflix précise que « The Crown » est une fiction : https://www.rollingstone.fr/judi-dench-veut-que-netflix-precise-que-the-crown-est-une-fiction/

  • Vidéos :

James Woodall, I Hate The Royals But I Can’t Stop Watching The Crown : https://www.youtube.com/watch?v=4jffxAOzrbQ

J.R.R. Talkin’, The Crown: Fictional Truth vs Truthful Fiction : https://www.youtube.com/watch?v=MMbQ96gCOVg&list=LL&index=1

– Wikipédia:

Années 1990: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ann%C3%A9es_1990

 

Illustration : Montage Photo Canva

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