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jeudi 18 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Témoignage d’un squatteur : entre illégalité et survie

J’ai eu l’occasion de rencontrer Lucas (le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité), un squatteur. Ce terme est très lourd de sens et de préjugés. C’est pourquoi j’ai voulu le faire témoigner sur son mode de vie. Il était d’abord assez réticent à parler de sa situation mais a fini par se confier à moi. 

C’est en 2012 que Lucas se retrouve à la rue alors âgé de 19 ans. Il a perdu son logement faute de pouvoir le financer, sa mère étant décédée quelques années auparavant. Il devient un SDF, un sans domicile fixe. Les mots sont importants car même si il trouvait des amis pouvant l’héberger ponctuellement, il n’avait pas d’endroit à lui, pour lui. 

Aujourd’hui âgé de 28 ans, il m’explique comment il a survécu pendant toutes ces années. 

« Au début je vivais dans la rue, puis j’ai vite trouvé des gens avec qui partager ma misère. On a réussi peu à peu à s’organiser dans des lieux abandonnés depuis des années. On a investi des grands hangars, des grands locaux laissés à l’abandon depuis 5, 10 ans. C’est ce qu’on appelle l’ouverture d’un squat ». 

Il m’explique que ce n’était pas vraiment un choix puisqu’en réalité trouver un appartement paraît impossible dans sa situation. Effectivement, il n’est actuellement pas vraiment possible de trouver un appartement sans avoir de garant et avec un salaire au SMIC. Il faut aussi pouvoir avancer deux ou trois loyers d’avance. Clairement, ce n’est pas une solution pour Lucas. 

« Avec quelques amis dans la galère comme moi, on a entrepris d’investir des lieux abandonnés qu’on avait trouvés. Ce n’était pas un choix, c’était de la survie. Franchement, si on avait pu avoir un appartement ou un autre endroit pour vivre, on l’aurait fait. La réalité est que personne ne veut rien nous louer sans garant, sans quelques mois de loyer d’avance ». 

Lucas me raconte comment se passe la vie dans son squat. Il insiste bien sur le fait que ce n’est pas du tout pareil partout et que tous les squats sont différents dans leur composition, dans leur fonctionnement, etc… Lui et son groupe n’investissent que des bâtiments abandonnés depuis des années. Ils sont contre le squat d’habitations privées, ce qui est loin des clichés et des préjugés que l’on peut avoir sur les squatteurs. 

« Nous on va pas aller squatter sur le canapé de votre grand-mère. On n’occupe que des grands bat’ qui ne servent à personne et qui sont en ruines la plupart du temps ». 

C’est une vie marginale, sans chauffage, sans électricité (la plupart du temps). Il m’explique que ce sont des conditions d’existence dures, où l’on a toujours froid en hiver. Différent d’un train de vie « classique » que l’on peut mener, il s’agit d’un mode de vie en communauté et qui se forme autour du lieu. Ils forment un groupe, un collectif qui répare, qui aménage le bâtiment investi pour pouvoir ensuite y vivre décemment. 

« La plupart du temps, avant qu’on arrive les endroits sont pleins de verre, de débris, de choses abandonnées, ce sont des terrains vagues. Nous ce qu’on fait, c’est qu’on aménage tout ça pour pouvoir vivre dedans correctement ». 

Les habitants du quartier sont même allés remercier ce groupe de squatteurs d’avoir nettoyé l’endroit où les enfants du quartier venaient tous jouer mais se coupaient avec les débris de verre du terrain vague. Cette bande composée notamment d’artistes marginaux, entreprend aussi de créer des expositions artistiques dans ce squat. 

« C’est plus trop possible d’accueillir du monde avec le Covid en ce moment, mais avant on faisait souvent des expositions et on avait de quoi manger pas trop cher pour les gens du quartier qui voulaient venir. On animait un peu la vie du quartier. Après, le Covid a pas changé tant de chose que ça pour nous, nos vies n’étaient déjà pas légales ». 

Si Lucas nous dit que sa vie n’est pas légale, c’est que la marginalité qu’il endure brise la confiance qu’il a de l’Etat et de la Loi. Lucas ne tient pourtant pas un discours victimaire. Il estime qu’un vitalisme est nécessaire pour créer, entreprendre, se sortir de la galère par ses moyens. 

« On se débrouille pour avoir de l’électricité, de l’eau potable, etc…On est pas aidé par les pouvoirs publics mais clairement, on va se démerder pour sortir de cette situation. Dans notre squat actuel, on a notre propre atelier pour faire de la photo, faire de la musique, faire de l’art. On essaye de créer, c’est un peu notre mantra à nous : « Créer pour survivre » ». 

Lucas est un peu nostalgique en pensant aux lieux qu’ils ont peu à peu construits, aménagés. Effectivement, ce ne sont que des lieux éphémères car en réalité, il s’agit bien de la propriété d’un grand entrepreneur qui, une fois rendu compte que des squatteurs logent dans sa propriété a exigé l’expulsion de ceux-ci. La loi tolère que des squatteurs vivent dans ce lieu tant que le jugement de l’expulsion n’a pas été rendu définitivement. Ils profitent alors de ces mois précieux pour vivre et en même temps essayer de trouver un autre lieu à investir. 

« Tous les 4, 5, 6 mois, on nous expulse de là où on vit, on s’y fait mais c’est toujours un peu triste de quitter un lieu de vie que l’on réhabilite. Les gens qui viennent nous expulser sont à chaque fois un peu admiratif de ce qu’on a réussi à créer à partir de rien : avoir de l’électricité, de quoi vivre correctement, tout grâce à du travail acharné pour rendre notre vie un peu meilleure. En plus, on est pas du tout dans une logique de confrontation comme certains pourraient l’être. On nous dit de partir, on part. L’idée n’est pas du tout d’embêter les gens, juste de trouver un toit. On peut clairement dire merci à l’Abbé Pierre pour ce qu’il a fait pour les sans-abris. C’est grâce à lui qu’on peut avoir un toit pour l’hiver sans être tout le temps dans l’illégalité ». 

D’un point de vue un peu plus juridique, il est intéressant de noter que le droit à un logement décent a été inscrit comme principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel. C’est en principe à l’Etat de fournir un logement aux SDF. La réalité n’est malheureusement pas aussi simple que ça. 

« Après nous on est pas forcément dans l’optique qu’on s’occupe de nous, on essaie de beaucoup travailler pour pouvoir retrouver une habitation un peu mieux. C’est une vie difficile et je ne pourrais pas continuer à faire ça toute ma vie, supporter le froid tout l’hiver, des problèmes d’électricité etc… » 

Les squatteurs ont très mauvaise presse puisque l’on ne différencie pas les squatteurs de résidence (qui paraissent effectivement « choquants ») et les squatteurs de bâtiments abandonnés qui ne représentent pas du tout le même dérangement (bien que les deux présentent une atteinte au droit de propriété). C’est pourquoi Lucas insiste réellement sur la grande diversité de squats. 

« Nous vraiment on ne veut pas déranger, on veut juste vivre un peu décemment. Je sais bien que les squats sont mal vus notamment parce qu’il y en a qui font de la merde. Mais il ne faut pas faire une généralité et prendre au cas par cas, essayer de comprendre la situation ». 

D’après la fondation Abbé Pierre, la France comptait près de 300 000 sans-domicile-fixe en 2019. Ce nombre a doublé depuis 2012 et cela ne s’est pas arrangé avec le Covid. Des solutions sont possibles au niveau étatique pour améliorer la condition des SDF mais encore faut-il les déployer, ce qui implique évidemment la mise en œuvre de moyens. Certaines solutions existent déjà mais au vu de l’augmentation du nombre de SDF cela ne semble pas être suffisant. Finalement, cela pose la question des bâtiments abandonnés depuis des années qui pourraient servir pour loger des sans-abris, au moins pendant l’hiver. De plus, la plupart de ces bâtiments sont conservés par des promoteurs immobiliers qui les conservent pour la rentabilité qu’ils apporteront dans 10 ou 15 ans. Ne pourraient t-ils pas servir pour héberger des SDF en attendant ? Ne pourrait-on pas, dans un grand pays comme la France, faire quelque chose pour ces gens qui n’ont pas de toit pendant l’hiver ? 

« On est les invisibles du pays, on ne nous regarde pas, on ne veut pas nous voir, sauf lorsqu’il faut nous expulser. Que l’on soit mort ou vivant n’importe à personne. C’est l’indifférence de l’Etat à l’égard de notre situation qui est peut-être la chose la plus dure ». 

 

Sources :

Sources de l’article : 

 

Source de l’image : ABRI Catalogue.

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