Ned Price, porte-parole (1) du département d’Etat américain a très récemment mis en garde la Chine après ses manœuvres militaires en Mer de Chine méridionale près des Philippines et de Taiwan. Cet évènement récent met en exergue toutes les tensions qui existent depuis des décennies dans cette région du monde…
La Mer de Chine méridionale, une zone de conflit majeure, régionale et internationale.
Ce lieu peu connu du grand public est pourtant depuis quelques années, devenu une des zones de conflits majeures de la planète. Certes, aucune guerre n’a éclaté, en tout cas pour l’instant, mais les tensions entre les Etats côtiers sont récurrentes. Ainsi, la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Singapour, Taiwan ou encore Brunei se disputent la souveraineté territoriale de nombreuses îles, atolls et îlots de la mer de Chine méridionale. Les territoires concernés par ces revendications sont les îles Spratleys, Paracels, le banc Macclesfield et le récif Scarborough, qui regroupent des milliers d’îlots, petits mais stratégiques. A l’heure actuelle, tous les Etats concernés, sauf Brunei, possèdent des bases militaires dans ces zones. Les Etats-Unis sont aussi impliqués dans ces conflits territoriaux puisqu’ils disposent d’une flotte conséquente dans la région, depuis le réengagement américain en Asie pacifique, avec la stratégie du « pivot » asiatique (2) initiée en 2009 par Obama. Les Américains, s’ils ne revendiquent évidemment pas ces îles, cherchent à contrer la puissance chinoise par leur présence. Ceci a pu mener à des épisodes de fortes tensions entre les deux leaders mondiaux, la dernière en août 2020 (3).
Cartographie de la situation décrite.
Des îles stratégiques pour les Etats côtiers
Tandis que la Chine revendique la souveraineté sur 80% des îles de la mer de Chine méridionale, les autres Etats côtiers réclament aussi leur part du gâteau. Effectivement, posséder la souveraineté sur un territoire permet à un État de posséder une Zone Économique Exclusive (ZEE) et donc d’avoir accès à de nombreuses ressources : manganèse, diamants, ressources halieutiques et énergétiques, présentes en grande quantité dans la zone.
De plus, un Etat qui détient la souveraineté sur une île, un îlot, voire même un rocher a un droit de regard sur le commerce maritime et notamment sur le passage des supertankers qui arrivent en mer de Chine. Or, rappelons qu’un tiers du commerce mondial transite par la mer de Chine méridionale. Ce trafic est trois fois plus important que celui passant par le canal de Suez et cinq fois plus que celui du canal de Panama. Posséder ces petits territoires est donc hautement stratégique pour les Etats côtiers puisque cela permet d’assurer une protection militaire afin de sécuriser les approvisionnements. Face à la hausse de la consommation en Chine, cette sécurisation des voies maritimes est fondamentale pour Pékin.
Par ailleurs, pour la Chine, contrôler ces îles permet d’observer les manœuvres de la flotte américaine, fortement présente dans la région.
Genèse et déroulement des conflits en mer de Chine méridionale
La présence humaine dans ces îles remonte environ au IIème siècle avant Jésus Christ. Néanmoins, les conflits territoriaux qui résonnent encore aujourd’hui ne remontent qu’à la seconde moitié du XXème siècle, ces îles n’ayant que peu d’intérêt stratégique jusqu’alors. Mais après la Seconde Guerre Mondiale, les différentes colonies acquièrent leur indépendance, Mao fonde la République Populaire de Chine en 1949 et veut rétablir la puissance de la Chine qui est affaiblie depuis le XIXème siècle. Il commence donc à revendiquer des îles en mer de Chine méridionale et les autres Etats commencent à faire de même. Peu à peu, la mer de Chine méridionale devient de plus en plus stratégique au fur et à mesure que les Etats de la région se développent (4). La pêche s’amplifie, on découvre des hydrocarbures dans la région ce qui ne fait qu’attiser les tensions. Ainsi, à partir des années 1970, ces îles font l’objet d’occupation militaires, d’annexions (la Chine annexe par la force les Paracels en 1974), de batailles navales, et de crises diplomatiques importantes. En 2002, les pays de la région, via l’ASEAN signent un accord de bonne conduite qui pose le principe de non-recours à la force en mer de Chine méridionale. Mais ceci ne règle pas les conflits territoriaux.
Depuis 2014, la Chine est encore plus offensive puisqu’elle a fait construire de nombreuses îles artificielles sur des récifs afin de pouvoir revendiquer des ZEE sur les territoires maritimes aux alentours. Les Américains ont qualifié cette stratégie « de grande muraille de sable ».
Ainsi, aujourd’hui, la situation dans la région est toujours très tendue et de plus en plus militarisée. Du côté chinois, 15000 soldats sont positionnés dans ces zones, 336 navires de guerre sont présents en continu, et 350 patrouilleurs sont déployés. La Chine s’allie également à la Russie pour faire des manœuvres conjointes et montrer sa présence dans la région. De leur côté, les Etats-Unis se sont tournés vers l’Inde, meilleur ennemi de la Chine, avec un accord de coopération logistique. Cet accord prévoit la possibilité pour les Etats-Unis de se ravitailler en carburant, en Inde, en cas de conflit ouvert avec la Chine. Les Etats-Unis multiplient aussi la présence de leur flotte militaire dans la région et utilisent le principe de la liberté de circulation pour naviguer en mer de Chine méridionale et montrer leur présence. Le déploiement de ces forces armées a tout de même évité que les conflits dégénèrent et font qu’aujourd’hui, on peut parler d’un réel statu quo dans la région de la mer de Chine méridionale.
Quels sont les obstacles à la résolution de ces conflits territoriaux ?
Le statu quo n’est pourtant pas une solution à la résolution des conflits territoriaux car il peut dégénérer à tout moment en conflit guerrier. Pourtant, à l’heure actuelle, de nombreux obstacles viennent empêcher la résolution de ces conflits.
Tout d’abord, chaque Etat concerné par ces revendications territoriales reste campé sur ses positions. Chacun fait valoir des soi-disants droits historiques, sans apporter de preuves de la légitimité de ses revendications. Par exemple, pour faire valoir la souveraineté chinoise sur le récif Scarborough, la Chine brandit des textes de l’astrologue Guo Shonjing qui mentionnait l’île durant la dynastie Yuan (1271-1368). De son côté, le Vietnam utilise un atlas de la fin du XVème siècle prouvant sa légitimité à posséder les îles Spratleys. La Chine use aussi de l’argument de la ligne « en neuf traits » dessinée sur des cartes chinoises dès les années 1930 puis reprise en 1949 par le gouvernement de la RPC, pour faire valoir sa souveraineté sur 80% des îles. Cette ligne n’est toutefois pas reconnue par la communauté internationale mais est utilisée par Pékin pour faire valoir ses « droits historiques ».
La militarisation croissante dans la zone peut aussi être un des obstacles à la résolution du conflit. En effet, la hausse des dépenses militaires des Etats dans la zone ne pousse pas vraiment à un apaisement des tensions, chaque Etat individuellement pouvant considérer cette augmentation de l’armement d’un Etat X, comme étant un danger supplémentaire pour sa propre sécurité. Ainsi, ceci peut créer un cercle vicieux où l’augmentation de l’armement d’un Etat peut créer une augmentation de l’armement des pays voisins. Et c’est exactement ce qu’il se passe, même si bien sûr, les Etats n’ont pas tous les mêmes moyens financiers face au géant chinois, deuxième puissance maritime mondiale, première en 2030.
L’affrontement sino-américain en mer de Chine méridionale, qui a pu donner lieu à quelques escarmouches près des Paracels ou près du récif de Scarborough en 2019, n’aide pas non plus à la résolution des conflits territoriaux.
La ligne en « neuf traits », utilisée par la Chine pour revendiquer sa souveraineté sur la majorité des îles de la mer de Chine méridionale.
Quelles solutions possibles pour résoudre ces conflits ?
Malgré ces tensions importantes, la paix, la stabilité et la coopération pour la prospérité sont des objectifs communs à tous les pays de la région. On peut donc espérer que des solutions soient trouvées pour résoudre ces conflits. Par le biais de juridictions internationales ? Cela pourrait être intéressant car relativement impartial mais le problème résiderait alors en la reconnaissance des décisions de tribunaux internationaux par les Etats concernés. Or, on sait que la Chine n’a pas reconnu la décision de la Cour d’arbitrage de la Haye en 2016 en sa défaveur. Il semble ainsi plus réaliste de penser à des solutions bilatérales, d’Etat à Etat. L’ASEAN peut aussi être un organisme intéressant de médiation et de conciliation.
Toutefois, une solution efficace qui mettrait fin aux conflits territoriaux dans la région n’est pas évidente et certainement pas pour demain, car les intérêts étatiques, et surtout ceux de la puissance chinoise, priment sur le respect du droit international.