« Écrire c’est transformer, à l’aide de la grammaire, un chagrin en bonheur », Jean d’Ormesson.
Si le sentiment de mal-être a trop souvent été sous-estimé auparavant, invitant ceux qui souffrent à se renfermer et à se taire, aujourd’hui dans un monde où tout est décuplé, les paroles se libèrent. Néanmoins s’exprimer à pleine voix tel un orateur n’est pas libérateur pour tout le monde. C’est alors que pour se libérer certains utilisent l’art pour laisser leurs sentiments et leur esprit s’exprimer d’une autre manière. L’art permet de laisser place à l’imagination, mais également à libérer tout ce qui a été trop souvent intériorisé, c’est pour cela qu’il est souvent perçu comme un moyen d’expression. Nous allons nous intéresser à l’art en général et à l’écriture en particulier. L’écriture renvoie à un système de représentation graphique qui est propre à une langue, c’est devenu un moyen de communication entre les individus parlant la même langue. Mais cette dernière joue désormais un nouveau rôle, à savoir celui de la thérapie. En effet, pour les personnes vivant avec un sentiment de mal-être, d’une maladie telle que la dépression, de troubles comme la phobie sociale ou encore vivant un enfermement physique à savoir le milieu carcéral, l’écriture peut être une véritable thérapie permettant de mettre des mots sur les souffrances ressenties. Nous allons essayer d’approfondir ce sujet pour découvrir comment l’écriture créative ou bien autobiographique permet de surmonter différents types d’enfermement.
L’écriture thérapeutique face à différents types d’enfermement
Il existe une liste non-exhaustive de types d’enfermement pouvant être surmontés par l’écriture, néanmoins, nous pouvons en analyser trois grands types qui touchent de nombreuses personnes.
Tout d’abord, il y a l’enfermement psychologique qui se caractérise par un sentiment de mal-être, de dépression ou encore de mélancolie plongeant de ce fait les personnes dans une tristesse et un désespoir profond sans fin. Ces sentiments peuvent avoir des origines diverses, ils sont très souvent ressentis durant la période de l’adolescence parfois sans raisons particulières. Ceux-ci peuvent apparaître chez des personnes ayant vécu des événements choquants et traumatisants comme la perte d’un proche, des situations familiales et personnelles difficiles voire des agressions sexuelles ou verbales. Ces souffrances poussent les personnes dans un enfermement psychologique les coupant de tout lien social, amenant une fatigue récurrente, un manque d’énergie, une paresse. Très souvent, il est difficile pour les personnes de se rendre compte qu’elles vont mal ou bien et il est même compliqué d’en parler ouvertement. Par conséquent, l’écriture semble être un moyen à portée de tous pour mettre des mots sur ce que l’on ressent, c’est également un moyen de ne pas tomber dans toutes sortes d’addictions et de dépendances. Cet enfermement ronge de l’intérieur et peut aller jusqu’à paralyser l’esprit d’envies suicidaires ; alors pour apaiser ce mal-être, beaucoup se réfugient dans la drogue ou l’alcool sans compter les conséquences que cela engendre sur leur santé physique : ces substances n’apportant qu’un sentiment de guérison éphémère.
Ensuite, il existe un autre type d’enfermement, plutôt social, à savoir la phobie sociale. Les personnes concernées peuvent ressentir une angoisse lorsqu’elles sont confrontées à un environnement avec des individus qui ne leur sont pas familiers d’autant plus lorsqu’il y a beaucoup de monde. Ainsi, elles auront tendance à fuir ces situations pensant que les regards et les jugements sont portés sur elles. Redoutant d’être confrontées à ces situations, qui les mettront mal à l’aise et leur provoqueront des crises d’angoisse, elles auront tendance, petit à petit, à s’exclure du reste de la société et à s’isoler. A noter qu’il n’existe pas nécessairement de lien de causalité qui peut être fait avec la phobie sociale, cependant, les personnes ayant peu confiance en elles seront plus enclines à développer ce trouble social. Tout n’est évidemment pas une fatalité, chacun construit sa personnalité par rapport aux expériences qu’il ou elle vivra et qui, indéniablement, le ou la forgera. Dans ce cas très précis, écrire permet de prendre conscience véritablement de la personnalité de chaque personne, en apprendre plus sur soi-même, se (re)découvrir. En effet, de nombreuses études démontrent qu’il est plus facile de se sortir d’un trouble lorsque l’on s’y confronte. Mettre des mots sur ce à quoi chacun peut être confronté quotidiennement est alors libérateur. Ecrire, c’est aussi développer son argumentation, son esprit critique, c’est avant tout un moyen de communication permettant de mieux appréhender le contact social en ayant le courage de s’engager dans des discussions.
Enfin, le dernier type d’enfermement qui est intéressant est l’enfermement physique en milieu carcéral. Il est évident que, contrairement aux autres types d’enfermement présentés précédemment, écrire ne permettra pas de sortir de prison. Cependant l’écriture en milieu carcéral a de nombreux bienfaits. Tout d’abord, écrire permet de se construire un imaginaire créant une bulle artistique permettant aux détenus de rêver, mais aussi de s’évader de ce milieu dans un imaginaire plus utopiste le temps de quelques coups de plume. Il n’est pas question ici de remettre en question le fait que si ces personnes sont incarcérées c’est qu’elles ont commis des délits ou des crimes justifiant leur enfermement. Il est simplement indéniable que l’incarcération est un lieu de solitude où l’enfermement physique peut créer un enfermement psychologique provoquant un sentiment de mal-être et de dépression. Les détenus se retrouvent confrontés à eux-mêmes, devant composer au quotidien avec la culpabilité de leurs actes et bien souvent aussi confrontés au rejet de leur entourage. C’est pour toutes ces raisons que pouvoir écrire est libérateur pour eux.
Les bienfaits de l’écriture thérapeutique : écrire pour améliorer sa santé
L’écriture, dont les bienfaits sont trop souvent sous-estimés, est la réponse à de nombreux problèmes. Depuis des siècles, elle permet d’exprimer des points de vue mais aussi des sentiments, de Victor Hugo à Amélie Nothomb en passant par Jean-Jacques Rousseau ou encore Molière, l’écriture a pris toutes formes et couleurs, invitant à découvrir de nombreux horizons. Celle-ci a permis à de grands penseurs d’engendrer de grands changements sociaux, de s’engager en faveur de causes mais à plus petite échelle elle permet également de guérir.
L’écriture est universelle, elle est belle dans toutes ses formes, elle n’est pas réservée aux grands poètes ou aux romanciers. Que ce soit à travers un roman, une pièce de théâtre, un poème en vers libres ou non, il faut se laisser porter par la plume pour exprimer ses sentiments avec légèreté en éloignant toutes pensées négatives. Il existe plusieurs formes d’écriture à savoir l’écriture créative faisant appel à l’imagination permettant de voyager dans des histoires au-dessus de toute réalité néfaste, mais aussi le récit autobiographique invitant les adeptes à écrire sur eux pour se libérer de ce qu’ils vivent. Ces moments où les mots et les esprits s’envolent dans ces écrits n’appartiennent qu’à leur auteur, nul ne saurait y porter un quelconque jugement s’il n’est pas invité à lire le récit. Lorsque des personnes commencent à s’isoler, rentrent dans le cercle vicieux de la déprime, prendre ce temps pour écrire n’est pas négligeable. Cela permet de vider le poids qui ferait sombrer toute tentative de s’en sortir. Il ne faut pas sous-estimer le poids d’un mal-être qui ronge à petit feu car les effets néfastes qu’il peut avoir sur la santé mentale comme physique sont considérables. Écrire fait redécouvrir un sentiment de liberté qui semblait jusqu’alors s’être envolé.
L’écriture représente une arme, telle la comparaison avec un guerrier, permettant de combattre l’ennemi qui ronge de l’intérieur, cet ennemi est parfois difficile à nommer mais ce n’est pas un obstacle pour écrire. Beaucoup de grands écrivains ont utilisé leurs écrits comme une arme en ayant souvent recours à un masque littéraire pour se cacher derrière des personnages fictifs. Il est compliqué parfois de saisir la plume et d’écrire les premiers mots mais la douleur des maux fera naître de très beaux mots dès lors qu’ils seront bénéfiques pour la personne les écrivant. L’écriture reste avant tout un moyen de communication. Par conséquent, lorsque se confier oralement à son entourage sur un poids trop difficile à porter s’apparente à gravir une montagne, il est possible d’écrire à destination d’une personne pour lui faire parvenir ce message.
Toutes ces souffrances engendrées par les situations d’enfermement évoquées plus tôt entraînent inévitablement des conséquences physiques et psychologiques, mais l’écriture thérapeutique aussi étonnant que cela puisse paraître peut être un pas de plus vers la guérison.
Au niveau de la santé physique, des chercheurs ont réalisé une étude montrant que l’écriture permet de faire baisser la tension artérielle et surtout d’améliorer le fonctionnement du foie qui est l’organe où siègent toutes les émotions. Ainsi, écrire permet souvent de lâcher prise et d’améliorer le système immunitaire permettant ainsi de diminuer, par exemple, la prise de médicaments tels que les anxiolytiques pris généralement pour soigner les troubles de l’anxiété et de dépression. L’écriture permet de libérer les personnes de crises d’angoisse constantes et de mal-être qui, très souvent, se traduira quelques années plus tard par l’apparition de maladies ou encore d’arthrite. Ensuite, l’une des choses essentielles pour avoir une bonne santé physique et psychologique est d’avoir un bon rythme de sommeil, c’est pourquoi il est conseillé, pour les personnes n’arrivant pas à trouver le sommeil lorsqu’elles se sentent mal, d’écrire sur un petit bout de papier toutes les bonnes choses qui se sont déroulées dans la journée pour s’endormir l’esprit plus libéré. Même si les personnes souffrantes sont habitées par un sentiment de déprime, de noirceur, il ne faut pas qu’elles se laissent submerger puisqu’il y a toujours un brin d’espoir positif à retirer de toute cette pénombre.
In fine, l’écriture constitue véritablement une forme de cure thérapeutique ! En effet, des chercheurs ont réalisé des expériences sur deux groupes de personnes ayant été blessées ou malades. Les membres d’un seul des deux groupes écrivaient 20 minutes par jour et l’étude a révélé que 76 % des membres du groupe ayant écrit étaient complètement guéris contre 58% des membres du groupe n’ayant pas écrit. Ainsi écrire, même sur des faits passés, permet de réduire l’anxiété post-traumatique. Marguerite Duras explicite très bien les bienfaits de l’écriture en disant « Ecrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. »
Différents formats et supports pour écrire
Pour finir, il ne reste plus qu’à savoir comment s’exprimer et sur quel format. Il existe différentes activités et supports offrant la possibilité d’écrire librement, alors en voici quelques-uns parmi de nombreux.
Tout d’abord, il est possible d’intégrer des ateliers d’écriture, alors pourquoi ne pas se laisser tenter ? Mais alors en quoi consiste un atelier d’écriture ? Un atelier d’écriture c’est un lieu d’échanges et de rencontres entre personnes qui écrivent, certains viennent pour partager leurs récits et leur passion pour l’écriture, d’autres pour partager les écrits qui les aident à se soigner. Le cadre de l’atelier d’écriture peut inciter certaines personnes à écrire et à partager leurs écrits pour se libérer de quelques souffrances, mais il y n’y a aucune obligation d’écrire. Évidemment, l’aspect négatif c’est qu’il faut se confronter aux personnes alors ce type d’atelier n’est pas conseillé pour les personnes souffrant de phobie sociale.
Plus particulièrement lors d’un échange personnel, Mme. Baudry, animatrice d’ateliers d’écriture dans les établissements pénitenciers partageait les bienfaits qu’ils peuvent apporter aux détenus. Ces ateliers se déroulent une fois par semaine pendant deux heures durant lesquelles les détenus peuvent écrire et partager leurs écrits mais ils ne sont évidemment pas obligés. Il est préférable de créer des petits ateliers dans lesquels les détenus souffrant d’une situation d’enfermement puissent se sentir à l’aise pour écrire. Chacun se livre avec plus ou moins de difficulté à l’atelier, réussit à sa manière à poser des mots sur sa souffrance tout cela dans un cadre de respect et de bienveillance. Tout en sachant également que ces ateliers, en plus d’être libérateurs pour ces détenus, permettent de préparer une insertion sociale notamment pour les détenus analphabètes. De plus, en laissant place à sa liberté d’écrire et de pensée, le détenu va prendre du recul sur les conséquences des actes qu’il a commis et par-delà, diminuer le risque de récidive. Alors en prison ou à l’extérieur ces ateliers sont très bénéfiques pour les personnes penchant pour l’écriture créative, cela leur permet de développer leur imagination.
Ensuite, et c’est le format le plus courant, beaucoup de personnes tiennent précieusement un journal intime. Au contraire des ateliers d’écriture, la plupart des personnes tenant un journal intime recourent à l’écriture autobiographique. En effet, il permet plus facilement, chaque jour ou chaque semaine, de s’exprimer sur les sentiments ressentis et de les traduire avec des mots. Le journal sera un véritable confident où la liberté la plus totale s’offre aux personnes. De plus, il permet également aux écrivains de se libérer en y intégrant toutes les pensées négatives mais également positives. À terme, cela permet d’observer une évolution sur son mal-être en ne se laissant plus gâcher le quotidien par cette déprime constante mais en tirant le positif de chaque jour. Écrire sur un journal intime peut paraître difficile puisqu’il confronte directement les personnes à leurs souffrances, ce qui peut être brutal. Le journal sera donc un outil de guérison où il ne manque plus que la volonté des personnes qui en ressentent le besoin. Similaire au journal intime, il existe aussi le courrier thérapie. Ce dernier, comme évoqué plus tôt, permet d’écrire sur les souffrances ressenties, sur des traumatismes vécus qui rongent le quotidien et l’épanouissement de certaines personnes. Ces dernières n’ayant pas le courage d’en parler vont préférer l’écrire pour le faire parvenir à des proches ou à des professionnels. Ce format d’écriture thérapeutique a été inventé par Elisabeth Horowitz qui insiste sur l’importance d’écrire de manière manuscrite son courrier pour véritablement se libérer de sa douleur par un simple geste d’écriture. Ecrire à la main permet de s’exonérer de tout filtre et laisse cours à sa pensée sans revenir sur ses mots contrairement à l’écriture sur ordinateur. A noter que certaines personnes n’ayant pas la volonté ou n’arrivant pas à faire parvenir ce courrier à leur entourage préfèrent le déchirer ou le faire brûler dans le coin de la cheminée mais l’effet de libération est le même.
In fine, peu importe le mal-être que les personnes peuvent ressentir, il ne faut jamais sous-estimer ce qu’on ressent, au risque d’enfouir cette souffrance pour qu’elle resurgisse plus violemment plus tard. Il ne faut surtout pas hésiter à se libérer de toutes ces angoisses constantes et ce, peu importe le format que vous souhaitez utiliser pour écrire. Il n’y a pas de règles d’écriture, il n’y a pas non plus d’échelle de souffrance, il faut avant tout écrire pour soi, et pour se libérer.
A titre d’illustration certains ouvrages écrits par des auteurs célèbres reflètent cette réflexion sur l’écriture thérapeutique pour soulager des souffrances et partager certaines expériences et traumatismes. Tout d’abord il y a l’ouvrage intitulé Mémoire de fille écrit pas Annie Ernaux en 2016, dans lequel elle raconte son été 1958 combinant un récit à la troisième personne en référence à la jeune fille qu’elle était et un récit à la première personne en référence à la femme qu’elle est devenue. Elle écrit cet ouvrage pour se libérer du poids que représente sa jeunesse et notamment ses premières expériences sexuelles, écrire sur ce passage de sa vie qui lui a provoqué un sentiment de libération et d’acceptation. Il y a également L’espèce humaine de Robert Antelme écrit en 1947 dans lequel l’auteur relate son expérience traumatisante face aux nazis dans les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. Ce livre lui permet d’évacuer toute la douleur et les horreurs subies durant cette période de déshumanisation complète, son récit est détaillé avec un vocabulaire familier rendant son récit sincère mais surtout très ouvert.
Par prévention, il faut rappeler que si cette souffrance psychologique n’est pas soulagée par l’écriture et qu’elle entraîne des conséquences graves sur votre santé physique, il est très important d’aller consulter un spécialiste tel qu’un psychologue si vous ressentez le besoin de parler ou bien un psychiatre qui lui pourra vous procurer des traitements adéquats. L’écriture thérapeutique n’est qu’un outil permettant de se guérir mais elle ne résoudra pas tout.