Ce nom vous dit-il quelque chose ? C’est celui d’un célèbre bluesman itinérant du Sud des Etats-Unis, premier chanteur à intégrer le tristement célèbre « club des 27 ». En octobre 2020, son histoire a refait surface dans l’ouvrage Et le diable a surgi – La vraie vie de Robert Johnson ; une biographie inédite, fruit du travail d’une vie de Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow. Ils nous offrent un retour détaillé sur la vie de l’artiste américain, au-delà des multiples mythes populaires qui l’entourent depuis sa mort en 1938. Aujourd’hui, retour sur une légende du blues.
Avec à peine quelques 29 chansons enregistrées en studio, Robert Johnson et sa musique auraient pu disparaître des mémoires. Et ce fut pratiquement le cas après sa mort, jusqu’en 1961, lorsque la maison de disques Columbia Records rassemble certains de ses morceaux dans un album emphatiquement nommé King of the Delta Blues Singers, « le Roi des Chanteurs de Blues du Delta ». Toutefois, ce n’est que dans les années 90, lorsqu’est produite la compilation Complete Recordings, qu’il se fait réellement connaître du grand public. Au point, même, de pousser l’USPS (United States Postal Service), service postal des Etats-Unis, à l’inclure dans une collection de timbres de 1994 en hommage aux « légendes de la musique américaine ». Des questions se posent alors autour de la vie du chanteur, mais un véritable flou biographique entretient le mystère. Près d’un siècle après la mort de Robert Johnson, Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow tentent aujourd’hui de lever le voile sur son existence.
L’enfance
Le doute plane toujours sur la date de naissance de Robert Johnson, que l’on estime au 8 mai 1911, dans le delta du Mississippi. Après une petite enfance misérable, Robert et sa mère s’établissent à Memphis chez un certain Charles Spencer, dont le jeune garçon prend d’abord le nom, avant d’apprendre celui de son père biologique, Johnson. Sa mère quitte bientôt les lieux et se remarie, mais lui y restera jusqu’en 1919, avant de la rejoindre dans le delta du Mississippi. C’est un véritable déracinement pour lui qui a connu la ville et l’école, malgré la ségrégation : il est désormais confronté au travail dans une plantation de coton, pour aider sa famille. Peu de temps après, le propriétaire de la plantation les transfère à Robinsonville, où Robert redécouvre les chanteurs de folk, et apprécie la nouvelle vague de chanteurs de blues du Delta.
Le musicien
Robert apprend la musique auprès des Spencer, qu’il rejoint à Memphis de temps à autre. Il se trouve un intérêt pour l’harmonica, maîtrise la guimbarde, et acquiert quelques notions de piano. Mais il préfère de loin la guitare. Subissant le courroux du propriétaire de la plantation car son travail s’en trouve perturbé, Robert joue sans cesse, sur la guitare qu’il a finalement pu acheter en 1927. Il développe alors son style, et rencontre ses premiers mentors : Willie Brown, puis Charley Patton.
La particularité du jeu de Robert Johnson tient à son usage novateur des accords ouverts, et de la ligne de basse dans un martèlement lancinant. La façon dont il tronque ou rallonge certaines mesures, usuellement de quatre temps, vient également créer des ruptures de rythme dans le morceau. Il accompagne ainsi seul sa voix sur les enregistrements qui nous sont parvenus, malheureusement tous de mauvaise qualité dû à leur ancienneté.
Marié à la fin des années 20, Johnson perd sa femme en couches en 1930, et se remarie en 1931, avant d’abandonner sa nouvelle femme pour prendre la route. Jouant ici et là, il parcourt le sud des Etats-Unis, et rencontre un nouveau mentor en la personne d’Ike Zimmerman. Il se fait une réputation dans l’Arkansas, le Mississippi et le Tennessee, mais désire s’enregistrer. En 1937, l’occasion se présente avec la maison de disques Brunswick Records, qui lui permet d’enregistrer 29 morceaux en seulement deux sessions. Parmi ceux-ci, Terraplane Blues, qui sera son seul succès de son vivant. Puis il reprend sa vie de musicien itinérant, parfois accompagné d’autres guitaristes comme Johnny Shines. Il joue souvent sous des noms d’emprunt, brouillant un peu plus les pistes sur son parcours. Robert meurt en 1938 dans des circonstances incertaines, probablement victime d’un empoisonnement accidentel, devenant par la suite le premier membre du mythique « club des 27 ». Ne demeurent que deux photos du chanteur et ses quelques enregistrements pour témoigner de son talent, ainsi que son influence sur la musique de Muddy Waters, Bob Dylan, Eric Clapton, Keith Richards, Jimi Hendrix et bien d’autres.
Le mythe
C’est sur les routes que Robert acquiert la légende sombre qui le poursuivra tout au long de sa vie. On raconte qu’à l’heure où la nuit s’abat sur le bayou, il tomba à genoux à un carrefour en implorant le ciel. Le diable lui serait alors apparu, et lui aurait accordé le don de la musique en échange de son âme. Il en serait revenu virtuose, le Roi des Chanteurs de Blues du Delta, avant que Lucifer ne vienne reprendre son dû. Auparavant attribuée à un autre célèbre bluesman, cette légende, qui prend ses racines dans le mysticisme vaudou des États du Sud, témoigne de l’aura mystérieuse que revêtaient les chanteurs de blues Afro-Américains aux yeux de leurs contemporains. Robert la reprendra malicieusement dans l’un de ses morceaux, sous le titre évocateur de Me and the Devil Blues.
Ainsi, Robert Johnson est profondément lié à l’histoire américaine des chanteurs de blues itinérants, du mysticisme du Sud des États-Unis, mais aussi de la ségrégation raciale. Sa courte carrière a pourtant inspiré les plus grands, et bien que son histoire reste entachée de mystère et d’incertitudes, on en sait aujourd’hui davantage sur les errances, succès et mésaventures du Roi des Chanteurs de Blues du Delta. Si vous souhaitez en apprendre plus, l’ouvrage Et le diable a surgi – La vraie vie de Robert Johnson de Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow et ses multiples détails biographiques, ainsi que le film Remastered – Devil at the Crossroads, disponible sur Netflix, vous emmèneront sur les traces de cette légende de la musique.