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vendredi 19 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Crise sanitaire et multilatéralisme : regard sur la culture comme enjeu international

« La culture… Ce qui a fait de l’Homme autre chose qu’un accident de l’univers », disait André Malraux. En cette période de crise sanitaire, ces paroles de l’ancien ministre des affaires culturelles français semblent plus que jamais décrire la place particulière qu’occupe la culture dans nos sociétés. En effet, la pandémie de Covid-19 bouleverse nos vies depuis maintenant plus d’un an et nombreux sont les domaines impactés. La culture mondiale ne fait pas exception, les diverses restrictions décidées à travers le globe l’ayant strictement restreinte. Si un espoir existait lors de la courte reprise du secteur l’été dernier, les fermetures faisant suite à la nouvelle vague du virus ont ranimé les inquiétudes des acteurs de ce domaine. Du fait du climat d’incertitude qui persiste et de l’importance que joue la culture au niveau mondial, une coopération inter-étatique était nécessaire. L’UNESCO intervient donc dans cette perspective, afin d’organiser une action à l’échelle planétaire et favoriser la protection de la culture dans le monde. Cette institution de l’Organisation des Nations Unies a pour mission d’œuvrer en faveur de l’enseignement, de la lutte pour l’éradication de la pauvreté et de la préservation de la culture et du développement durable. L’étude de son action durant la crise du coronavirus est un bon indicateur de l’état actuel des relations internationales dans le monde de la culture. Retour sur un enjeu international pour le multilatéralisme actuel. 

Organiser l’avenir du secteur culturel, l’exemple des musées.

Le 18 mars dernier, l’UNESCO a réuni 12 directeurs et directrices de musées du monde entier pour participer à un débat en ligne appelé « Réflexions sur le futur des musées » (1). Parmi les établissements représentés figurent l’Ermitage, le Musée National de la Civilisation Égyptienne du Caire ou encore le Musée du Vatican. Cette conférence a tout

d’abord permis de faire état des répercussions de la crise sanitaire sur les musées et les institutions muséales, mais aussi de mettre en lumière l’alternative numérique que mettent en place de nombreux musées du monde entier. Afin de lutter contre la rupture sociale entraînée par la fermeture des établissements culturels, les musées privilégient de plus en plus la solution virtuelle pour continuer d’exposer leurs collections, tout en conservant un lien avec leur communauté. Cette stratégie leur permet même de gagner un nouveau public et s’apparente à un possible futur support pour l’enseignement et la recherche. 

Cependant, le rapport intitulé « Les musées dans le monde face à la pandémie de COVID-19 » (2) publié par l’UNESCO début avril nuance cette perspective. Le constat est clair, la capacité de résilience est très inégale entre les différents musées dans le monde. Le Conseil International des Musées (ICOM) a ainsi estimé que 30% des établissements mondiaux doivent réduire leur personnel, du fait de la baisse des budgets alloués et de la chute du nombre de visiteurs. Une autre donnée inquiétante de l’ICOM est l’annonce de la fermeture définitive de 6% du total international des musées. Le plus souvent, ce sont ceux qui se situent dans des territoires ruraux et qui ne bénéficient pas de la même attractivité que ceux dans les grandes villes. Un autre problème est l’accès à l’équipement numérique. Le rapport est formel, il existe d’importantes disparités entre les continents dans ce domaine. Seuls 2,1% des musées d’Afrique proposent par exemple des activités en ligne, contre 27,4% en Amérique latine et centrale et 26,6% en Europe occidentale et en Amérique du Nord. 

Ces inégalités entre régions et le risque de voir d’autres musées disparaître, incitent les différents acteurs du domaine muséal mondial à organiser une réponse collective. Les musées représentent assurément une richesse inestimable, du fait de l’héritage culturel qu’ils abritent et de leur rôle dans la mémoire de l’Histoire et du passé humains. L’UNESCO poursuit donc son action, tandis que l’ICOM continue de collecter des données sur leur situation digitale. Ces informations, associées à la Recommandation de 2015 de l’UNESCO sur la protection et la promotion des musées (3), vont servir de point d’appui pour la programmation d’une politique mondiale dans la lutte contre la fracture numérique et contre les difficultés que rencontrent les musées face à la crise sanitaire. 

Assurer la sécurité des biens et des lieux culturels pendant la crise.

L’action de l’UNESCO ne se limite pas aux musées. La culture mondiale est actuellement confrontée à de nombreux autres enjeux. L’un d’eux est la sécurité des biens et des lieux culturels pendant la crise. La fermeture des institutions culturelles et des sites de patrimoine ou archéologiques entraîne un véritable problème lié au pillage et au trafic de biens culturels. Europol révèle avoir saisi plus de 19 000 objets en Espagne en mai 2020 (4), dans le cadre de la lutte contre le trafic illicite international d’art. Ces pièces, datant souvent de l’époque précolombienne, ont pour la plupart été acquises par le pillage de leurs sites d’origine. 

La perte de biens culturels représente un véritable danger pour de nombreux Etats. L’UNESCO alerte en effet sur la recrudescence des pillages sur site et des vols dans les musées, mais aussi sur la récente augmentation du braconnage. Ces dernières semaines, plusieurs lions ont par exemple été retrouvés tués et mutilés en Ouganda. Cette espèce est l’une des vedettes des réserves naturelles du pays et la présence plus importante de braconniers dans ces zones fait craindre aux autorités locales une baisse du tourisme

national. Face à ces insécurités, la fermeture des sites historiques ou naturels est parfois envisagée, mais celle-ci risque de causer de lourdes pertes pour les pays dont l’attractivité touristique et donc l’économie dépendent principalement de ces lieux. Tous ces trafics illicites menacent également l’héritage culturel de nombreux peuples. Une partie de leur identité risque d’être dérobée et détruite si aucune mesure n’est prise pour protéger leur patrimoine. Pour sauvegarder ces biens, l’UNESCO fonde sa stratégie sur sa Convention de 1970 (5). Celle-ci a déjà connu de nombreuses évolutions au cours des dernières décennies et a notamment permis la mise en place d’une unité de “casques bleus de la culture” en 2016, après une proposition d’amendement de l’Italie suite à l’anéantissement d’une partie du site de Palmyre en Syrie par Daesh. Une coopération internationale existe depuis pour combattre tant le trafic illicite de biens culturels, que la destruction du patrimoine culturel par des groupes armés ou terroristes. 

Quel avenir pour la culture mondiale ?

Depuis un an, les arrivées internationales ont chuté entre 60 et 80% par rapport à l’année précédente selon l’Organisation Mondial du Tourisme (OMT). La crise de la culture en est majoritairement responsable, car celle-ci représente 40% du tourisme mondial, toujours d’après l’OMT. Il est donc indéniable que les Etats vont intégrer ces données dans leurs politiques de relance à la réouverture de leurs frontières. La question de la vaccination prend pourtant une place majeure dans cette problématique. En effet, la possibilité d’une vaccination obligatoire ou d’un passeport vaccinal est évoquée par certains acteurs, notamment l’Union Européenne après la présentation d’un projet de “certificat vert” ces dernières semaines par la Commission européenne. Cette solution fait débat, d’autant que certains des États membres ont ouvertement exprimé leur intention de ne pas suivre cette stratégie. La Grèce a par exemple décidé de rouvrir ses frontières aux ressortissants étrangers sans exiger une vaccination de leur part. Cette position est logique lorsque l’on observe le poids du tourisme dans l’économie grecque. Le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC) indique que la part du tourisme dans le PIB de la Grèce est passée de 15,56% en 2010 à 21,52% en 2020 (6)

Le cas de la Grèce est représentatif du problème auquel va se confronter le multilatéralisme. La crise du Covid-19 touche sévèrement l’ensemble des Etats du monde et ces derniers se retrouvent en concurrence pour relancer leurs économies. Alors qu’une réponse collective et internationale est nécessaire pour sauver le secteur culturel mondial, la coopération inter-étatique risque de laisser place à une compétition entre chaque Etat. Le plus inquiétant est d’imaginer qu’une telle désunion puisse survenir même dans des alliances régionales comme l’Union Européenne. Il n’existe actuellement aucun réel plan européen pour la culture, les institutions européennes se limitent donc à redistribuer certains fonds ou subventions déjà existants et à encourager la coopération entre acteurs de la culture européenne. Les Etats sont donc libres de fixer leurs règles pour relancer leurs activités culturelles. De plus, à l’échelle internationale, l’UNESCO ne fait que principalement user de textes ou programmes antérieurs dans sa politique de riposte contre la crise sanitaire. Si les Etats et les organisations internationales ne parviennent pas à développer une action commune face à l’adversité, l’avenir de la coopération internationale peut légitimement être remis en cause. 

La culture, comme de nombreux autres domaines tels que l’économie ou la recherche, s’apparente à un pilier de nos sociétés. À mon sens, sa valeur est encore supérieure.

Comme le rappelle la citation d’André Malraux au début de cet article, la culture possède cet aspect universel qui fait d’elle une partie de notre propre existence. Dans la période de troubles que nous vivons, la question de notre identité en tant qu’individu et qu’être humain est placée au centre de nos réflexions. Le fait que le multilatéralisme se révèle alors ineficace pour préserver la culture et son héritage mondial et universel constitue une inquiétude considérable. Si une doctrine internationale, fondée sur la logique d’interaction entre des entités aux spécificités et caractéristiques différentes, ne permet pas de la préserver, quelle solution reste-t-il pour défendre la culture au niveau international ? 

Sources :

Sources article : 

Sources photo : Site de l’Unesco.

 

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