Le festival Lumière avait décidé de mettre cette année le cinéma japonais à l’honneur. Outre la petite rétrospective sur Yasuzo Masumura qui comprend quelques pépites essentielles du cinéma nippon, c’est surtout Toshiro Mifune qui était sur le devant de la scène lors de cette édition !
Originaire d’une classe populaire, Toshiro était un représentant parfait de cette vague d’acteurs qui vécut ses rôles selon une personnalité dans la vie de tous les jours déjà prononcée, et dont on a pleinement l’impression que le succès est le fier héritage d’une certaine méritocratie, bien que certaines rencontres fortuites favorisassent évidemment leur ascension.
Pour décrire Monsieur Mifune, je me permets de citer un passage de la présentation de la rétrospective du Festival : “ Le torse toujours très droit, la gestuelle particulièrement précise, le regard très déterminé, Mifune semble toujours prêt à livrer bataille. Il faut dire que sa filmographie est constellée de grandes forces, celles de combattre perpétuellement un ennemi, qu’il soit intérieur ou extérieur. Ce qui compte semble-t-il, c’est réussir à se dépasser. ”
Néanmoins, présentation faite, il est indispensable de comprendre que toute l’aura et la légende de Toshiro est totalement dépendante du génie d’un homme : Akira Kurosawa. Il est le plus grand réalisateur japonais de tous les temps, et c’est presque seul qu’il mit le cinéma de son pays sur la carte du monde et dans la sélection des grands festivals occidentaux.
Quant à moi, j’ai profité du festival pour voir 3 chefs d’œuvre qui sont au faîte de la collaboration des deux hommes.
Au premier jour du festival, les cinéphiles les plus avertis avaient pris bien à l’avance leur place pour les films du samedi, c’est-à-dire le premier jour du festival qui se déroule exclusivement à l’Institut Lumière. Entre le ciel et l’enfer de Kurosawa était de la partie ! Certains audacieux faisaient la queue pour espérer pouvoir assister à un film japonais en noir et blanc des années 60 sans avoir réservé ! Rendez-vous compte ? Le festival Lumière provoque des sortes de faille spatio-temporelles dans lesquelles des réalisateurs des années 60 de l’autre bout de la planète sont à l’origine d’un mouvement de foule en plein cœur de la ville lyonnaise ! Je trouve cela lunaire et même porteur d’espoir pour la pérennité du cinéma d’auteur à l’heure des blockbusters et du streaming (même si les conciliations sont possibles).
Pour revenir au film, c’est un film noir qui, par le biais d’une simple histoire de kidnapping, plonge le spectateur au cœur d’un dilemme dostoïevskien, constamment à la bordure du mal et de la pauvreté, et ce, qu’elle soit matérielle ou spirituelle. Haletant, ce film d’un suspense au charme si singulier saura vous séduire, et bien qu’il soit parfois lent dans sa mise en scène, c’est ici la participation nécessaire à l’œuvre de Kurosawa, grand esthète perfectionniste.
Le samedi suivant, je suis allé voir Barberousse de Kurosawa à l’UGC Ciné Cité Confluence. Ça faisait une petite trotte, mais il me semble que cela en valait bien la peine. Présentée par Pascal-Alex Vincent, éminent professeur et critique de l’histoire du cinéma japonais ; la séance montrait une salle presque pleine. Monsieur Vincent nous racontait en quoi ce film était le dernier représentant d’un ancien monde, d’un film de Papa dans le japon des années 60. En effet, le japon eut une nouvelle vague très riche et transgressive qui emballait énormément les jeunes à cette époque, et malheureusement le grand maître Akira en paya les pots cassés, à tel point qu’il fut lâché par la Tôhô, studio légendaire du cinéma nippon. Mais néanmoins à l’apogée de son art avant la sortie du film, Kurosawa prit un an pour le tourner, principalement parce qu’il souhaitait absolument avoir une neige et une pluie authentiques pour tourner certaines scènes, ce qui provoquait parfois plusieurs semaines d’attente. Du reste, ces délais provoquèrent la discorde entre Toshiro et Akira, et les deux hommes ne retournèrent plus jamais ensemble. Malgré le fait que Akira eût un budget illimité pour ce film du fait de sa célébrité mondiale, des producteurs eurent l’idée de construire un petit train touristique autour du lieu de tournage pour amasser un peu d’argent auprès des fans inconditionnels du cinéaste.
Mais en somme, de quoi parle ce film ? C’est un film sur un médecin ô combien expérimenté et sage du nom de Barberousse, et qui exerce dans un endroit très pauvre du Japon. Un jeune disciple richement diplômé de la ville en vient à faire une formation à ses côtés, et bien qu’au début dubitatif et récalcitrant à l’idée de faire son métier dans pareilles circonstances, le jeune homme de condition bourgeoise s’adoucit au fur et à mesure du film, à force d’expériences humaines marquantes.
Et puis dernièrement, le dimanche, dernier jour du festival, je décidai de voir au cinéma Lumière Terreaux le film qui inventa le flashback, comme pour me replonger nostalgiquement dans cette semaine si riche passée dans les salles sombres, à voir des grands classiques du cinéma. Ce film, c’est Rashômon, un film à l’époque du japon féodal, et qui met en scène la même histoire racontée par les différentes parties du procès, d’où les flashbacks incessants tout au long du film. Œuvre d’abord pessimiste sur l’établissement de la vérité par la bouche des hommes, c’est surtout une œuvre novatrice et virtuose tant sur le plan de la narration que sur celui de la mise en scène. Akira marque ici son premier grand coup de maître et gagne du même coup le lion d’or, ce qui fut le premier grand prix du cinéma japonais en Occident.
Voilà en quelques paragraphes mon aventure nippone au festival Lumière ! J’espère que cela vous poussera à aller découvrir l’œuvre de ces deux hommes et aussi à vous rendre en masse au festival l’année prochaine !