Si pour Jean Jaurès « Le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », la télévision qui occupe la quasi-totalité des foyers français depuis les années 50 en est un membre majeur.
Rappelons que le but du service public est de servir l’intérêt général et donc, par son libre accès, de permettre à tous d’en tirer un avantage. La télévision, en l’occurrence, devrait par ce biais informer et nourrir la culture de ses téléspectateurs , tout en se positionnant comme un loisir.
Cet outil d’information fait partie d’une sphère bien plus large, étant l’audiovisuel qui relie l’ensemble des moyens permettant l’association d’images et de sons, qui aujourd’hui attirent de manière exponentielle de nouveaux acteurs, essentiellement privés.
Pour faire face aux éventuels excès que cela puisse engendrer, l’ARCOM se présente comme le régulateur de ce domaine. Ce « gendarme de l’audiovisuel » suit alors les lois du droit de l’audiovisuel qui peut se définir en somme comme le regroupement de l’ensemble des règles particulières qui encadrent les activités des différents services audiovisuels.
Malgré tout, et d’une manière inévitable, le système de l’audiovisuel est dépendant des mouvements politiques, et ce, depuis sa création. Si la situation actuelle semble instable sur de nombreux points, le cas de l’audiovisuel n’en est pas moins épargné. En effet, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) par la loi de finances rectificative pour 2022 qui était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron a réduit de manière drastique le budget des chaînes de télévision et des radios publiques.
La question est dorénavant de déterminer quel est l’avenir de l’audiovisuel. Enfin, il faut ajouter à cela l’attribution des chaînes de la TNT qui s’opèrent dans un contexte particulier de la montée des groupes privés, faisant concurrence à l’audiovisuel public.
L’histoire de la télévision en France
À la fin des années 1950 et au début des années 1960, la télévision fait son entrée dans la majorité des foyers français, marquant ainsi l’essor de ce nouveau média. Bien que cet appareil puisse sembler anodin, il deviendra rapidement un véritable « membre » des familles françaises.
Il soulève depuis lors diverses problématiques sur le plan social, économique et politique. Parmi ces enjeux figure la question du maintien du monopole public de la télévision ou de l’ouverture à la privatisation du secteur audiovisuel.
Longtemps, cette question ne se posait pas : la télévision était exclusivement publique et aucune forme de privatisation n’était envisagée. Ce n’est qu’au début des années 1980, sous la présidence de François Mitterrand, que la première rupture apparaît. Dans une déclaration du 4 janvier 1985, Mitterrand affirme : « Je suis pour la liberté d’informer. La question n’est pas d’être pour ou contre. Les moyens de diffusion d’images vont se multiplier. Le véritable enjeu est d’organiser cette liberté. » Avec cette déclaration, le gouvernement français autorise la création de chaînes privées hertziennes.
La loi du 30 septembre 1986 marque un tournant en éloignant l’audiovisuel français de la notion de service public, et en distinguant le secteur public du secteur privé. L’histoire de la libéralisation de la télévision privée en France se divise ainsi en trois grandes phases.
La première phase, entre 1984 et 1987, qui voit l’émergence de Canal+, la privatisation de TF1, ainsi que la création de M6. C’est aussi en 1989 que l’on voit naître le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
La seconde phase, entre 1995 et 2000, est marquée par la naissance de TPS (Télévision par satéllite) en 1996, une initiative conjointe de France Télévisions, TF1, M6, CLT et Lyonnaise des Eaux, qui commercialise un bouquet de chaînes numériques. En réaction, Canal+ lance CanalSat le 27 avril. Par la suite, des chaînes thématiques voient également le jour, telles que Vista, une chaîne dédiée aux quinquagénaires et sexagénaires, créée par Philippe Gildas et diffusée gratuitement sur le câble et en ligne à partir du 10 décembre 2007.
La troisième vague de libéralisation a accompagné l’essor des technologies numériques et l’introduction de la télévision numérique terrestre (TNT).
Aujourd’hui, bien que la télévision publique demeure largement présente avec France Télévisions, le paysage audiovisuel français est cependant dominé par trois grands acteurs privés : TF1, Canal+ et M6.
Les différents projets de réformes
La première voie qui pourrait être prise est issue de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle déposée par Laurent Lafont le 21 avril 2023, soutenue par le parti d’Emmanuel Macron.
La proposition de loi vise à regrouper sous un même pôle, « une holding » dénommé France Médias, quatre structures de l’audiovisuel public : France Télévisions, Radio France, l’INA et France médias monde. Ces quatre branches étaient largement financées par la CAP (contribution de l’audiovisuel public) jusqu’à sa suppression.
Cette proposition s’est accompagnée d’un amendement du 14 mai 2024 issu des députés Renaissance et Horizon. Son contenu est celui de la volonté de fusionner des sociétés de l’audiovisuel public pour 2026, qui permettrait de renforcer la puissance de l’audiovisuel.
Il émane alors de cette volonté réformiste de simplifier les relations établies dans l’audiovisuel public et de créer un organisme puissant. Ceci pourrait en outre permettre de réaliser des économies pour l’Etat français qui cherche aujourd’hui à remplir le manque à gagner issu de la suppression du CAP qui devait financer rien qu’en 2022 pour 3.7 milliards d’euros l’audiovisuel public.
Cette proposition fait l’objet de vives critiques des professionnels de l’audiovisuel qui ont peur de voir une réduction drastique de leur effectif accompagnée d’un manque d’indépendance quant à leur futur édito.
Du côté du Rassemblement national, l’optique tend plus à celle d’une privatisation de l’audiovisuel, proposition déjà présente dans leur programme aux dernières élections présidentielles qui visait à remplacer la CAP. Malgré cette suppression par Emmanuel Macron, cette volonté perdure. En effet, bien que la suppression du CAP soit mise en place, une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée déterminée chaque année par la loi de finances est le financement actuel jusqu’au 31 décembre 2024.
Dans un cadre plus ciblé, cette privatisation vise deux organes : France Télévisions et Radio France. Malgré le fait que les membres des rédactions aient exprimé leur refus de voir une privatisation, cette hypothèse est soutenue par le fait que ce service serait devenu critiquable quant à l’accomplissement de ces missions. L’opposition tend alors à affirmer que le Rassemblement national ne clarifie pas assez la manière dont elle souhaite procéder à cette privation, malgré toutes les critiques exprimées par le parti. En effet, il critique de manière récurrente la pluralité des idées dégagées sur les antennes publiques.
Ajoutons à cette raison la volonté de libéraliser le marché et de créer une concurrence tendant à une croissance économique du secteur. Enfin, cette privatisation enlèverait définitivement un poids financier aux Français par son soutien via des taxes encore présentes.
Pour ce qui est du Nouveau Front Populaire, l’objectif n’est pas de fusionner ni de privatiser l’audiovisuel, mais de renforcer ce service public. En effet, si les deux derniers bords politiques souhaitent changer de manière radicale l’horizon de l’audiovisuel français, la gauche n’est pas de cet avis.
Après avoir clairement affirmé son opposition à ces deux possibilités précédemment développées et par une absence de programme clair, elle souhaite renforcer l’indépendance de cet organisme ainsi que son financement. Dans le cadre du secteur privé, la gauche se montre critique quant à la gestion des chaînes privées, voulant renforcer le pluralisme politique, l’indépendance des rédactions et la restriction des situations monopolistiques. L’optique est alors de conserver la situation actuelle et de lui redonner les moyens de son activité.
2024 : une année de transformation
L’année 2024 a été le théâtre de la mobilisation de nombreux acteurs du monde de l’audiovisuel privé, notamment l’Arcom. La TNT étant un domaine hertzien, c’est un bien du domaine public. Confié à des acteurs privés, le contrôle et la régulation de l’utilisation de ce domaine public se trouve nécessaire, c’est l’Arcom qui en a la charge. Cette dernière, acronyme de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, est une autorité administrative indépendante. Elle est le fruit de la fusion du CSA et d’Hadopi.
Tout d’abord, au début de l’année 2024, le Conseil d’Etat est venu marquer un coup fort dans la régulation de ces chaînes privées. Sasie par l’association Reporters sans frontière, la juridiction suprême administrative a rendu une décision le 13 février 2024. Elle a jugé que pour apprécier le respect par une chaîne de télévision du pluralisme et de l’information, l’Arcom devait prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants du programme, y compris les chroniqueurs.
Elle rappelle donc que, dans le respect de ces principes, le régulateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation, ouvrant la voie à un contrôle plus strict du respect du pluralisme des opinions sur les chaînes de télévision. Le Conseil a aussi ajouté que l’Arcom se devait de renforcer son contrôle de l’indépendance de l’information au sein des chaînes.
Peu de temps après, en mars 2024, a commencé la commission d’enquête parlementaire sur les fréquences de la TNT (tirage du groupe LFI). D’après son rapporteur (Aurélien Saintoul), cette dernière avait pour objet de « vérifier l’attribution des autorisations des maîtres, les critères retenus, le respect des obligations des conventions et les sanctions infligées par l’Arcom ». Plus globalement, elle cherchait à éclaircir la question de la privatisation des médias, que ce soit dans l’ingérence des actionnaires, la question des médias d’opinion, les relations avec l’Arcom et ses sanctions.
Cette commission a été l’occasion de réunir un grand nombre d’acteurs de la TNT. Ont été auditionnés Vincent Bolloré (Président du Groupe Vivendi, propriétaire du groupe Canal comportant entre autres Canal +, CNEWS et C8), Xavier Niel (fondateur du groupe Illiad, déjà présent dans la presse-papier et qui aimerait s’implanter dans le domaine audiovisuel), Roch-Olivier Maistre (Président de l’Arcom) ainsi que des présentateurs tel que Cyril Hanouna, Pascal Praud ou encore Yann Barthès.
Étant l’occasion de revenir sur de nombreuses controverses du domaine, cette commission a trouvé un écho dans l’intérêt public. De nombreuses phrases tirées des auditions ont pu être commentées, celles de Vincent Bolloré : « si je ne crois pas quelque chose je ne vais pas essayer de le mettre dans mes antennes », « on ne va pas s’arrêter si le directeur fait des remarques » (en parlant de l’Arcom) ou encore les diverses questions posées aux présentateurs sur la gestion de leurs émissions. Ce sont donc surtout les questions autour du groupe Canal qui ont suscité un intérêt.
À l’issue de ces travaux, le rapport a considéré que la TNT était loin d’avoir atteint sa promesse de qualité et de pluralisme. La TNT privée resterait une « télévision low cost entre publicité et propagande », qui serait « le terrain d’affrontement de quelques groupes privés pour lesquels la possession d’un média grand public entre dans une stratégie économique mais aussi d’influence ».
Est aussi remis en cause le processus d’attribution des fréquences qui aurait contribué à « fossiliser un paysage audiovisuel dominé par les mêmes acteurs » et dont le régulateur n’apparaît pas en capacité de faire respecter les principes. Le rapport d’enquête, adopté le 7 mai 2024, émet ainsi 47 propositions.
L’enjeu de cette commission était démultiplié par le fait que l’Arcom devait se positionner, peu de mois après, sur le renouvellement de 15 attributions de chaînes, faisant l’objet d’un nouvel appel aux candidatures. Le Monde avait titré que « Le gendarme de l’audiovisuel joue sa crédibilité avec l’attribution des chaînes TNT, en particulier à CNEWS et C8 ».
Le régulateur a mené des auditions en juillet portant essentiellement sur la question des sanctions, de l’indépendance, du modèle économique et du pluralisme. En prenant compte de celles-ci, ainsi que des sanctions antérieures qu’elle a adressées, de la décision du Conseil d’Etat et des travaux de la Commission d’enquête, le régulateur a décidé de ne pas renouveler les fréquences TNT de C8 et NRJ12.
Elle laisse ainsi la place à deux nouveaux acteurs qui sont OFTV (groupe Ouest France) et Réels TV (groupe CMI). « C’est un message fort envoyé aux acteurs de l’audiovisuel » a réagi Laurent Lafon, président de la commission de la Culture du Sénat, tandis qu’Eric Ciotti y a vu « un scandale démocratique ».
Bien que l’Arcom n’ait pas motivé les raisons de son choix, précisant simplement qu’elle s’était fondée sur l’intérêt de chaque projet pour le public au regard de l’impératif de pluralisme, ce qui est sûr, c’est que le régulateur a voulu marquer son exigence de maîtrise de l’antenne et la qualité des services fournis.
Le Conseil d’Etat, le 25 septembre, a rejeté tous les recours contre ces attributions.