C’est un public enthousiaste qui a accueilli sur la scène la lauréate de l’Oscar de meilleure réalisatrice de film : la discrète mais non moins talentueuse Jane Campion. Si La Leçon de piano avait déjà connu un succès retentissant en recevant notamment la Palme d’or du festival de Cannes en 1993, c’est désormais au tour de son film westernien déjà maintes fois primé d’être sous le feu des projecteurs en ce dimanche 27 mars 2022. Cet Oscar ne fait que souligner un talent que l’on connaissait déjà et couronne une carrière cinématographique brillante. En effet, parmi ses nombreuses distinctions, Jane Campion s’est vu remettre à l’occasion du festival Lumière 2021 le Prix Lumière, prix qui récompense une personnalité marquante dans l’histoire du cinéma. Ces nominations successives sont l’occasion pour nous de revenir sur cet événement marquant qu’est le festival Lumière.
Créé en 2009 pour faire la promotion du cinéma classique et dépoussiérer certaines œuvres oubliées du grand public, il s’est tenu cette année du samedi 9 octobre au dimanche 17 octobre. A cette occasion, les salles voient se succéder une quantité impressionnante de spectateurs cinéphiles (ou non), dont quelques-uns de nos rédacteurs font partie, lesquels livrent ici humblement leurs critiques cinématographiques sur les films qu’ils ont pu voir. Les avis diffèrent, le ton est engagé et le cœur y est, alors bonne lecture !
The Power of the Dog, de Jane Campion
A l’occasion du festival Lumière j’ai eu l’occasion de voir en avant-première The Power of Dog, de la réalisatrice Jane Campion avec un casting non négligeable puisque constitué de Bénédict Cumberbatch (Sherlock Holmes, Docteur Strange), Kirsten Dunst (la trilogie Spider man de Sam Raimi) ainsi que Jesse Plemons (Breaking Bad). Ne connaissant ni le film ni même Jane Campion, c’est avec curiosité et appréhension que je me rendis au festival voir ce long métrage et je fus agréablement surpris. Le film, basé sur une nouvelle de Thomas Savage, raconte l’histoire de Phil et George Burbank, deux frères. Phil (Benedict Cumberbatch), l’aîné, est un homme brillant et cruel. George (Jesse Plemons), le cadet, s’avère être un homme doux et sensible. Ils viennent tous deux d’hériter du plus grand ranch de la vallée du Montana. Mais leur relation va vite se briser lorsque George épouse Rose (Kirsten Dunst), une veuve de la région. Ce qui m’a marqué en premier lieu sont les paysages filmés. On est parfaitement immergés dans les paysages du Grand Ouest du Montana. Des sommets vertigineux des Rocheuses, aux lacs et aux prairies en passant par les plaines spectaculaires, la caméra nous plonge immédiatement dans l’Ouest américain des années 20 et on en vient presque à oublier que l’intégralité des plans furent tournés en Nouvelle Zélande, pays d’origine de la réalisatrice. Puis, la musique installe doucement une tension à la fois faible et palpable qui monte crescendo et nous tient en haleine jusqu’au dénouement final. Le scénario, quant à lui, est parfaitement maîtrisé, l’histoire est chapitrée et chaque chapitre nous plonge un peu plus dans une noirceur et un stress bruts. Chaque acteur joue son rôle à la perfection sans aller dans l’abus et le surjeu. Benedict Cumberbatch, de par sa maîtrise et sa compréhension du personnage, fusionne parfaitement avec son rôle à tel point que l’on en vient à se questionner sur la cruauté de l’acteur. Jesse Plemons nous touche par sa sensibilité et sa fragilité mais son personnage est complètement éclipsé par celui de son frère qui en réalité contrôle tout dans le ranch et même sa vie. On n’oublie pas le personnage de Kirsten Dunst, interprété à la perfection et que l’on voit sombrer dans les abysses au fur et à mesure, ni son fils extrêmement discret mais qui joue un rôle non négligeable dans l’intrigue du film. Certains vont peut-être trouver l’œuvre longue voir ennuyeuse car elle reste très contemplative. Mais ce qui fait sa beauté, c’est un tout : la qualité des images, le jeu d’acteur à son maximum, le message apporté, tout cela enveloppé dans une musique discrète mais brute. Jane Campion nous offre une belle vision des relations humaines dans une complexité, une précision et une prestance à couper le souffle. Le film sera disponible sur Netflix dès le 1er décembre, de quoi débuter ce mois en beauté. D’ici là, je ne peux que vous recommander ce long métrage d’exception. Si je pouvais donner un conseil durant le visionnage : soyez attentifs aux détails.
Raji Assaf
Dimanche après-midi, Paolo Sorrentino, réalisateur italien bien connu en France pour plusieurs films notamment La Grande Bellezza, est venu au Festival pour une conférence. Il a présenté son nouveau film revenant sur sa jeunesse, La main de Dieu et a répondu aux questions de l’animateur et du public. Il est notamment revenu sur sa relation avec le cinéma et son acteur fétiche Toni Servillo.
Le jeudi soir, le public du festival a pu venir à la rencontre de Marco Bellocchio qui était déjà venu présenter son film Le Traître il y a deux ans. Le but de cette séance était de présenter et de projeter son dernier film : Marx peut attendre. Ce film documentaire intimiste revient sur l’histoire de sa famille et le suicide de son frère Camillo, en mélangeant images d’archives et réflexions de ses proches sur l’après-guerre et les années qui suivirent, sur sa famille, sur sa carrière et sur son frère. Un portrait à la fois générationnel et privé découle de ce film très touchant.
Enfin, vendredi soir a eu lieu l’événement principal du festival : la remise du prix Lumière, attribué cette année à Jane Campion. Jane Campion est principalement connue pour son film La Leçon de piano qui avait reçu la Palme d’or à Cannes en 1993, et pour être la première femme à recevoir ce prix. De nombreuses personnalités du cinéma ont défilé pour s’exprimer sur le 7ème art et sur ce que représentait Jane Campion. Julia Ducournau, dernière lauréate de la Palme d’or pour Titane a donc rappelé l’importance de Jane Campion pour les réalisatrices.
A la suite de la cérémonie, le film Bright star, revenant sur la relation amoureuse entre le poète John Keats et Fanny Brawne, a été projeté. Il n’avait malheureusement rien d’exceptionnel, simple comédie romantique comme il en existe des flopées. Il patauge dans une lenteur qui n’apporte rien à l’histoire, au contraire ! Histoire d’un amour impossible qui ne nous dit rien et ne fait rien ressentir. C’est un supplice que de voir ces longues crises d’adolescence et ces caprices qui se répètent sans fin. Naïveté et répliques convenues s’enchaînent dans le but d’avoir raison de l’attention du spectateur. Quelques plans et une lumière maîtrisée viennent apporter un peu de plaisir aux pupilles mais ce n’est pas assez pour captiver pendant les deux heures du film.
Alexandre Tissot
Bobby Deerfield, de Sydney Pollack
Dans la salle, l’ambiance est détendue, les yeux sont pétillants, l’assemblée frémit de découvrir le charmant Bobby, même si le film est en version originale non sous-titrée. En effet, on nous explique d’entrée de jeu que l’on ne dispose pas de copie en version française. Quoiqu’il en soit, la substance reste la même et lorsque les premiers craquements caractéristiques des vieux films résonnent, la salle est subjuguée. Dès les premières minutes du film, Bobby Deerfield, fameux pilote de course de son temps, nous apparaît sûr de lui, quoique légèrement hanté par des rêves sombres. Pourtant tout au long du film, Bobby se révèle vite dépositaire d’une âme sensible et indécise et, troublé par un accident de circuit, il se referme sur lui-même. Ses doutes et ses hésitations prennent un nouveau tournant lorsqu’il visite un ami pilote dans une clinique suisse. Il y rencontre alors Lillian Morelli, femme perturbante et mystérieuse. Lillian est déjantée, libre, incontrôlable et c’est elle qui procure un vent de fraîcheur tant à Bobby qu’au spectateur. Son personnage est incarné par Marthe Keller qui saisit à merveille ce rôle de femme insaisissable, fascinante et lumineuse. C’est à se demander si ce n’est pas elle le véritable rôle principal du film ! Quant à Al Pacino, ici dans un de ses premiers films, il interprète un protagoniste sentimental, doux et pétri d’incertitudes, à l’opposé des rôles de mafieux, de trafiquant ou de flic qui ont fait sa renommée. Ce genre nouveau lui va bien puisque, fidèle à lui-même, il est touchant et sincère dans le rôle de Bobby Deerfield.
Ainsi, à ceux qui s’attendent à un récit de voiture et d’action, ce n’est pas le produit de ce film. Il est d’un rythme plutôt lent, ce qui laisse le temps au spectateur d’appréhender Bobby et Lillian dans leurs différentes facettes et dans l’évolution de leur relation. Le scénario, parfois un peu simpliste, est comblé par la rencontre entre les deux acteurs qui produisent un cocktail pétillant avec une touche de subtilité. Pour être satisfait, il ne faut donc pas tant s’intéresser au scénario qu’à la performance des acteurs.
Quoiqu’il en soit, Bobby Deerfield est un film frais et léger, piloté avec brio par Al Pacino et Marthe Keller, à déguster sans plus attendre !
Gaëlle Abondance
Le Festival Lumière est l’occasion de voyager d’une part à travers les films mais aussi de cinéma en cinéma dans la ville lumière. Chaque endroit offre une expérience différente : il est possible de se retrouver dans une petite salle (intimiste) au sous-sol du cinéma Lumière Bellecour comme dans une salle gigantesque au Comœdia mais aussi au Pathé Bellecour, au cinéma Opéra ou encore à l’UGC Confluence. Bref, le Festival Lumière, c’est l’affirmation et la promotion du Cinéma et des cinémas dans la ville où il fut inventé.
Outre la diversité des lieux de cinéma, le Festival Lumière offre également une diversité de films qui ont fait, et font toujours, l’histoire du cinéma international, puisqu’il met à l’honneur les films du lauréat du prix Lumière mais également d’autres films à l’occasion de rétrospectives par exemple. Retour sur quelques films de cette édition 2021…
Holy Smoke, c’est l’histoire de Ruth Barron, une jeune femme (interprétée par Kate Winslet) qui se rend en Inde et tombe sous l’emprise d’un gourou. Sa famille inquiète parvient à la faire revenir en Australie en lui faisant croire que son père est mourant et engage PJ Waters, un spécialiste américain de la « déprogrammation spirituelle » (interprété par Harvey Keitel). Ce dernier s’isole avec Ruth pendant trois jours et si Waters devait permettre à Ruth de sortir de sa dépendance spirituelle, on découvre au fur et à mesure qu’il tombe sous le charme de sa patiente. Le film est merveilleusement bien interprété par Kate Winslet, qui est alors très jeune, et Harvey Keitel qui, décidément, ne semble camper que des rôles féministes lorsqu’il tourne avec Jane Campion. Les paysages australiens et la lumière sont aussi magnifiques, le visionnage en pellicule 35 mm nous transporte complètement et notre seul souhait est que la lumière ne se rallume pas à la fin du film. Enfin, la bande originale du film, chaleureuse et dansante, rythme parfaitement ce film aussi insolent qu’innovant. On ressort de cette projection bousculé, une question en tête : Something really did happen, didn’t it ?
La Leçon de piano raconte l’histoire d’Ada (Holly Hunter) une pianiste muette qui se rend en Nouvelle-Zélande avec sa fille (Anna Paquin) pour épouser un homme qu’elle ne connaît pas, Stewart (Sam Neil). Ce dernier refuse d’installer chez lui le piano de son épouse et Ada accepte un contrat avec Baines, leur voisin (Harvey Keitel) pour récupérer cet instrument vital car lui permettant de s’exprimer. C’est un film magnifique qui, encore une fois, nous fait découvrir la richesse des paysages de Nouvelle-Zélande. Jane Campion signe ici un film romantique qui parle de désir, de manque, de choix et d’une histoire de vie tout simplement bouleversante. La musique composée par Michael Nyman est saisissante par son infinie tendresse. Holly Hunter est tout simplement subjuguante dans ce rôle : elle ne prononce pas une phrase et dans ses yeux passent toute la détermination, la volonté féroce d’indépendance et la rage de vie de cette femme qu’elle interprète. Harvey Keitel est magnifique dans ce rôle qui casse les codes de la masculinité. Son jeu est sincère et tout aussi physique que celui d’Holly Hunter. Les plans de Jane Campion témoignent d’une originalité assez caractéristique de cette réalisatrice : elle filme les corps nus ou encore le piano (en lui-même c’est-à-dire les touches, les cordes…) de manière très poétique. Elle est d’ailleurs la première femme réalisatrice à recevoir la Palme d’or à Cannes, en 1993 pour ce film si juste et touchant.
Le Festival Lumière est donc l’occasion de découvrir de nouveaux films mais aussi de revoir et donc de redécouvrir des films que l’on connaît déjà. J’ai pu apprecier à nouveau, dans le cadre du festival, Out of Africa de Sydney Pollack sur grand écran et c’est toujours une expérience fantastique. La lumière de l’Afrique est d’autant plus mise en valeur tout comme la musique, composée par John Barry, qui vient graver dans votre mémoire une mélodie qui nous rappellera sans cesse la fougue de Meryl Streep et le charme de Robert Redford. Enfin, c’est avec tout autant de plaisir que j’ai également pu revoir Les choses de la vie, un film époustouflant de sentiments partagés et de moments d’une vie réalisé par Claude Sautet et brillamment mené par Romy Schneider et Michel Piccoli. J’ai d’ailleurs eu la chance de rencontrer Philippe Sarde, le compositeur de la bande originale du film, venu présenter le film et en prime raconter l’anecdote de sa rencontre avec Claude Sautet. C’est aussi la force du festival : le public est très proche de « ceux qui font les films ».
Ainsi, nous retiendrons qu’au cœur du Festival Lumière, il y a véritablement l’amour du cinéma et une volonté de faire découvrir pour faire vivre des expériences, pour secouer, pour raconter, pour émouvoir, pour dénoncer, pour faire bouger les choses… En mettant à l’honneur le cinéma, le Festival Lumière met aussi à l’honneur les acteurs, les actrices, les réalisateurs et réalisatrices mais aussi, ce qui est plus rare, les compositeurs par exemple. Je trouve qu’il nous permet de nous rendre compte de la richesse et de la beauté d’un film : on voit au-delà du simple scénario l’importance de la lumière, de la musique, du positionnement de la caméra, des silences…
Théa Gontard