Qui sera le prochain directeur créatif de la Maison Louis Vuitton ? Voilà la question à un million que se pose toute l’industrie et encore plus les dirigeants de LVMH. En attendant son annonce officielle, nous pouvons essayer de faire quelques pronostics sur la prochaine tête de Louis Vuitton.
Trois personnes sont en lice pour le poste, mais avant de les présenter et de voir les points qui peuvent faire de l’un d’eux l’heureux élu de la maison, essayons de définir quelques critères pour nous aider à les départager.
Le directeur créatif : d’un artisan hors paire à un influenceur mulit-casquettes
Il faut savoir que le métier de directeur créatif a beaucoup évolué à travers les années. De designer/artiste à véritable influenceur multi-casquettes, le métier de directeur créatif s’est métamorphosé dans le temps pour rester en phase avec les attentes du consommateur.
En 1947, Christian Dior apparaît dans l’industrie de la mode avec un style complètement novateur, si inédit qu’il sera nommé le « new-look » par une journaliste de l’époque. Ce look, fût inventé à un moment où très peu de maisons pouvaient rivaliser avec la haute couture française et où, le marketing était encore un lointain concept. Effectivement, la période d’après-guerre, même empreinte par le début d’une période prospérité, ne souffre pas encore de la société de consommation et de ses affres. Ainsi, je pense qu’avant le début de la mondialisation, les grands couturiers se distinguaient essentiellement par leurs techniques plutôt que leur capacité à offrir une expérience complète.
Puis vinrent les années 90, marquées par la fin du bloc soviétique et le début de la globalisation, l’ensemble des industries, dont celle de la mode, sont entrées dans une lutte féroce à la productivité et à la performance. Dans cette guerre économique, le meilleur moyen pour les maisons de luxe de se hisser en haut fût d’embaucher des créateurs hauts en couleurs à la créativité inépuisable. Le designer étant devenu directeur créatif, son rôle ne se limitait plus à la simple création de vêtement. Véritable ambassadeur de l’entreprise, le directeur créatif devient à la fois une célébrité et un directeur marketing, chargé de créer une expérience mémorable pendant les shows et dans les boutiques flagships. On assiste presque à un culte de la personnalité autour du designer. Un exemple assez éloquent est le budget grooming alloué à John Galliano pour ses apparences publiques, dont le montant atteignait 60 000 euros. Les défilés du jeune créateur, spectaculaires, témoignent eux aussi de cette époque faste.
Cependant, la crise économique, la crise climatique et la croissance exponentielle des réseaux sociaux ont fait émerger un nouveau type de consommateur, plus conscient des enjeux environnementaux, plus réfractaire aux multinationales et en quête d’authenticité. On arrive donc à une période où le designer n’est plus haut perché sur sa tour d’ivoire, mais bien exposé aux attaques des internautes. Entre la cover de l’album de Pop Smoke, et le scandale de la donation de 50 euros, Virgil Abloh avait bien compris (certainement contre son gré) le poids des internautes sur l’image de marque. En dehors de cela, il était un directeur créatif très proche de sa communauté, qui n’hésitait pas à montrer son processus créatif dans une industrie où l’omerta règne en maître.
“Make Instagram my own by documenting my creative process. It’s been the norm to not show anyone the tricks leading up to what you’re releasing, and I felt that was kind of wack. This tool could be used to inspire. If I’m one of the first kids to go from making a T-shirt to doing runway shows in Paris, it would be a huge disservice to culture and to kids not to show them the ropes.” How Off-White’s Virgil Abloh Uses Social Media To Teach And Inspire (fastcompany.com)
Désormais, le directeur créatif n’a plus besoin d’être un artisan de génie pour pouvoir faire vivre une maison de luxe, mais il doit avoir une vision long terme qui inclut le marketing, les publicités, le retail, les catwalk et la partie lifestyle aussi. Qui plus est, il doit être capable de toujours rester pertinent malgré les modes changeantes et son influence personnelle peut être un levier puissant pour mobiliser une communauté (cf Jacquemus ou encore Olivier Rousteing).
Une évolution nécessaire pour répondre à un consommateur en quête d’expériences.
Je vais maintenant me focaliser sur l’une des casquettes du directeur créatif moderne, le marketing. Comme vu plus tôt, la pression concurrentielle et l’évolution des besoins des individus ont amené le directeur créatif à changer de rôle. Cette mutation a aussi impacté fortement le marketing qui doit faire face à des consommateurs qui ne cherchent plus seulement l’utilité à travers le produit. Ajouté au fait que les clients sont de plus en plus impliqués dans le processus de consommation, le marketing a créé le champ du marketing expérientiel pour s’adapter aux nouveaux besoins du consommateur. Afin de mieux visualiser en quoi cela consiste et comprendre comment le directeur créatif se sert du marketing expérientiel pour mettre en avant ses collections, nous allons développer le concept d’habillage expérientiel. Introduit par Filser en 2002, nous allons l’illustrer avec le dernier Pop-up organisé par Telfar lors de la Fashion Week de New-York.
L’habillage expérientiel consiste simplement à transformer un produit dont l’utilité retirée par le client est essentiellement fonctionnelle (produit avec un contenu expérientiel faible) en produit à contenu expérientiel fort. Cet habillage est obtenu au moyen d’un storytelling de la marque qui doit prendre en compte un décor, une histoire et une action.
Le cas Telfar
Début septembre, Telfar a ouvert un pop-up pour la sortie de son nouveau sac signature, le rainbow bag. Mis en vente dans un « rainbow shop », le sac, décliné dans sa version rose ainsi qu’en d’autres couleurs, était vendu dans une sorte d’immense marché où les vendeurs alpaguent les clients comme chez un poissonnier.
Ici on a un produit très fonctionnel, le sac, que l’on va rendre expérientiel en le vendant dans un magasin aux airs de supermarchés. Malgré le décor typé grande conso, l’histoire de la marque Telfar a permis de créer une vraie hype autour de ce produit. Il faut savoir que Telfar Clémens, fondateur de Telfar, a travaillé dur pendant 10 ans pour se faire un nom. Petit à petit, il a réussi à créer une communauté forte à New-York autour des valeurs de sa marque, basé sur l’inclusivité et l’authenticité. Enfin, l’action au sein de ce magasin parachève l’habillage expérientiel du sac. Les vendeurs hauts en couleurs criant dans la boutique créent de l’action dans le pop-up et intensifient l’expérience.
Maintenant qu’on a posé les caractéristiques essentielles du bon directeur créatif, jetons un œil sur les candidats en lice pour prendre la tête de Louis Vuitton
Grace Wales Bonner, Martine Rose et Telfar Clemens, lequel de ces designers va être élu Directeur Créatif de Louis Vuitton ?
Tu ne connais peut-être pas ces noms, mais Grace Wales Bonner, Martine Rose et Telfar Clemens, sont les trois personnalités qui ont été nommées dans la course au titre de directeur créatif de Louis Vuitton.
Wales Bonnes est une designer londonienne qui a été diplômée de Central Saint Martin en 2014 et qui a tout de suite après son diplôme ouvert sa marque éponyme. A mon avis, ce qui fait d’elle une candidate fiable pour le titre de Directrice créative à Louis Vuitton, c’est sa versatilité. En effet, non seulement designeuse, elle fait aussi des magazines et a déjà ouvert une exhibition d’œuvres d’art. Sa polyvalence la distingue de ses deux compères et fait d’elle une créatrice qui est la plus à même d’offrir une vision globale pour la marque Louis Vuitton. En outre, c’est celle qui possède le plus haut niveau de technique en création de vêtements de par sa formation à Central Saint Martin (John Galliano, Phoebe Philo et Alexander McQueen ont été diplômés de cette école). Enfin, sa vision, construite autour de défilés qui sont le résultat de recherches intensives en littérature, musique et en art, amènent des réflexions autour de l’identité de genre des hommes noirs. Cette approche de la mode, très instruite et politique pourrait permettre à Louis Vuitton de se distinguer fortement des autres maisons de luxe concurrentes.
Telfar Clemens est un designer New-Yorkais Queer dont la marque s’est faite repérer après plus de 10 ans de travail acharné. Son style unisexe prônant l’inclusivité et les défilés spectaculaires ont permis au créateur New-Yorkais de créer une communauté si forte qu’elle a attiré les radars de l’industrie de la mode. C’est cette communauté qui a dû attirer l’attention de Louis Vuitton. En effet, comme on l’a vu plus tôt, le designer se doit d’être un influenceur capable de mobiliser une communauté au service d’une marque. Telfar Clemens, avec sa personnalité excentrique et ses aficionados, serait un très bon candidat pour donner un coup de boost à l’image de Louis Vuitton. En outre, Telfar a su montrer pendant le covid sa capacité à vendre des hits bag, ce qui m’amène à penser qu’il est le plus à même de créer des hits au sein de la maison de luxe française. Ajouté à cela, ce new yorkais s’est déjà illustré plusieurs fois par ses défilés complètement hors normes. Ainsi, je pense que c’est une personne tout à fait capable de créer des expériences mémorables au sein des boutiques Louis Vuitton, compétence qui, comme on l’a vu, est nécessaire de nos jours.
Enfin, Martine Rose. Celle-ci tu la connais déjà peut-être grâce à ses nombreuses collaborations avec Nike. C’est la directrice créative qui serait la plus en continuité avec le travail de Virgil Abloh, car l’ensemble de ses défilés ont pour fil directeur la représentation des milieux sous-culturels londoniens. Tandis que Virgil Abloh représentait la communauté hip-hop à travers sa personne et ses collections, Martine Rose est celle qui représente le mouvement reggae et rave de Londres. Parmi les trois designers, c’est celle que j’aimerais le plus voir à la tête de Louis Vuitton car je trouve que ce qu’elle propose est le plus en phase avec notre génération. En outre, le fait qu’elle collabore régulièrement avec Nike m’amène à penser qu’elle sait utiliser le levier de la collaboration pour faire ressortir le meilleur de deux marques, mais aussi qu’elle est en mesure de vendre des produits avec une esthétique marquée, mais qui plaît suffisamment pour être achetée par des gens pas forcément à fond dans la mode.
Et bien voilà, je t’avoue que c’est difficile de faire un pronostic au vu de ce que j’ai exposé ici, mais je verrais bien une Martine Rose à la tête de Louis Vuitton, c’est quelqu’un dont le style a influencé Balenciaga (elle a été consultante pour Demna Gvasalia, le directeur créatif de Balenciaga) et qui a déjà fait de nombreuses collaborations avec Nike, ce qui fait de son esthétique quelque chose dont on est déjà indirectement habitués. Néanmoins, ce parti semble être le choix d’une forme de continuité et Louis Vuitton pourrait bien choisir un directeur créatif qui est en rupture avec ce qui a été commencé par Virgil Abloh, afin de redonner un coup de fouet à sa marque.