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lundi 22 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Quand musique et politique se rencontrent : la chanson engagée

Pourquoi utiliser des chansons ?

Cette capacité à nous donner des frissons incontrôlables dans tout le corps, à nous immerger complètement dans une bulle, ou sur une terre lointaine… je parle bien de la chanson. Même si chacun adhère à différents styles, écouter de la musique est l’un des loisirs que l’on partage le plus. Environ 6 français sur 10 écouteraient de la musique tous les jours ou presque ! Et en dehors de l’hexagone, partout dans le monde, la musique a son importance chez presque tous les peuples : c’est un langage universel. Si nous sommes tous férus de musique, c’est que son écoute génère de la dopamine, l’hormone du plaisir. Ainsi, la musique génère des émotions et des frissons d’une telle intensité qu’elle peut créer une forme de dépendance. L’alliance entre mots et musiques permet de retenir plus facilement des phrases, et si on se concentre mieux sur les paroles, on peut parfois se rendre compte que le chanteur cherche à faire passer un message…

C’est donc sûrement cette capacité à générer des émotions qui fait que la chanson est un outil privilégié utilisé pour faire passer des messages politiques. En effet, la musique a par exemple été utilisée comme chant de propagande dans les régimes dictatoriaux, comme Maréchal nous voilà (à la gloire du Maréchal Pétain en 1941 sous le régime de Vichy), ou encore les nombreuses chansons inculquées dès le plus jeune âge aux petits soviétiques à la gloire de l’URSS.

Mais outre l’utilisation qui peut en être faite par l’Etat, la chanson est surtout un outil du peuple pour faire entendre ses revendications, ses colères, ses peurs, sous la forme de « chansons engagées », ou « protest songs » en anglais.  Elles peuvent être de genres différents (rock, rap…) et ont évoqué dans l’Histoire des causes et événements divers, dans le but de sensibiliser à ceux-ci.

Les chansons qui ont cherché à sensibiliser à travers l’Histoire

En France : quand sont-elles apparues ?

La genèse des chansons engagées remonte parfois à plusieurs siècles dans certains pays. En France, elle se serait traditionnellement répandue à partir de la Révolution Française, notamment avec la naissance de la Marseillaise en 1792, chant de guerre révolutionnaire devenu notre hymne national, écrit par Rouget de Lisle. Par la suite, de nombreuses chansons vont être liées à la Commune de Paris comme Le temps des Cerises écrit par Jean-Baptiste Clément en 1866, ou encore le Chant des captifs en 1887 par Louise Michel. 

Plus tard, lors de l’occupation sous la 2nd guerre mondiale, Anna Marly, une réfugiée française d’origine russe en Angleterre, rédige une chanson écrite en russe à l’origine intitulée La marche des partisans. La chanson est ensuite réécrite en français par Druon et Kessel, pour créer Le chant des partisans, destiné à encourager les français et à les pousser à combattre l’envahisseur. Mais bien qu’elle ait été diffusée sur les ondes de la BBC à partir de 1943 sous forme de mélodie, et que les paroles aient été imprimées dans le premier numéro de septembre 1943 de la revue clandestine Les Cahiers de la libération, le chant ne se diffusera que peu durant la guerre. Mais après la libération, il se popularise rapidement et devient un véritable symbole de Résistance.

« Sifflez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute… »

https://www.youtube.com/watch?v=ey_7JeK–u8 

Ainsi, les premières chansons engagées ont été surtout révolutionnaires et combattantes en France. Mais dans la seconde partie du 20ème siècle sont apparues des thématiques plus variées de sensibilisation. En France et ailleurs, elles marquent souvent une volonté de pacifisme et d’utopie. Boris Vian a créé une chanson antimilitariste en 1954, Le déserteur, une lettre au président dans laquelle un soldat dit refuser d’aller combattre et encourage les autres à ne pas le faire. Sortie dans le contexte des guerres d’indépendance contre la France, à la fin de celle d’Indochine (1946-1954) et alors que couve le conflit algérien (1954-1962), la chanson est censurée et interdite de diffusion pour « antipatriotisme ». L’hymne de non-violence pacifiste, était inadmissible pour l’Etat français à une époque où le besoin de soldats se faisait sentir. Comme quoi, il n’y a pas que les attentats qui font exploser de véritables bombes, et la bataille pour rallier l’opinion publique s’avère cruciale.

« Si vous me poursuivez, Prévenez vos gendarmes, Que je n’aurai pas d’armes, Et qu’ils pourront tirer »

https://www.youtube.com/watch?v=gjndTXyk3mw 

Plus tard, de nombreux chanteurs français seront connus pour leurs chansons engagées, comme Georges Brassens, auteur et interprète de plusieurs chansons anti-guerres, et contre l’intolérance comme Mauvaise réputation, couplé à l’anticonformisme et à une critique de la bourgeoisie, ou encore Mourir pour des idées, La Guerre de 14-18…. On pourrait citer également Renaud notamment avec Hexagone (1975), Daniel Balavoine contre le racisme, ou plus récemment Grave d’Eddy De Pretto qui s’élève contre un masculinisme toxique, ou encore Respire de Mickey 3D, engagée environnementalement.

Dans le reste du monde

Les chansons en anglais sont celles les plus connues à l’échelle mondiale dans le répertoire de la chanson engagée. Ainsi, nombre d’entre elles ont obtenu un franc succès à leur époque, et sont encore très écoutées aujourd’hui.

Lorsque l’on pense aux Etats-Unis, on les rattache souvent à la ségrégation et au racisme, ce dernier étant encore prégnant dans certains Etats. De multiples chanteurs ont élevé leur voix tout d’abord contre la ségrégation, comme Billie Holiday avec Strange Fruit en 1939. De nombreuses personnes se bousculaient pour l’écouter au Café society, et une fois mis en vente, le single a eu un franc succès. Elle a d’ailleurs été nommé «Chanson du siècle » par le Time en 1999. Joan Baez femme blanche a également interprété We shall overcome, devant une foule de près de 300 000 personnes lors d’une manifestation à Washington en présence de Martin Luther King en août 1963. Le même jour, une autre personnalité blanche, Bob Dylan, interprète ses chansons antiségrégationnistes. Il écrit de nombreuses chansons engagées, comme Blowin’in the wind, Hurricane contre le racisme une fois la ségrégation abolie…  Il reçoit plusieurs prix, dont le Nobel de littérature en 2016 pour la beauté et l’impact de ses mots issus de ses chansons.

“Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.” (Strange Fruit)

https://www.youtube.com/watch?v=-DGY9HvChXk 

Le chanteur s’est également engagé contre la guerre américaine au Viêt Nam (1955-1975), avec Master of war. Born in the USA de Bruce Springsteen, sortie en 1984, traite de la difficulté du retour pour les soldats après cette guerre. Jusqu’à la fin des années 70, le mouvement hippie et son pacifisme bat son plein, et Imagine de John Lennon en est un des grands symboles.

Allons donc maintenant du côté du Royaume-Uni. De nombreuses chansons ont permis la sensibilisation du grand public sur le conflit concernant la frontière entre Irlande du Nord britannique et Irlande du Sud (1968-1998), notamment Sunday bloody Sunday de U2, sur cette journée de 1972 où des Irlandais périrent sous les balles britanniques alors qu’ils manifestaient. On peut également citer Zombies de The Cranberries sorti en 1994.

“There’s many lost, but tell me who has won
The trench is dug within our hearts” (Sunday Bloody Sunday)

https://www.youtube.com/watch?v=Yv5U0A10hrI 

Pour finir, avec des problématiques plus récentes mais dans un pays plus lointain, retrouvons une jeune Afghane, Sonita Alizadeh. Forcée à bientôt épouser un homme, elle tourne le clip poignant Daughters for sale en 2014 pour parler de cette tradition injuste du mariage arrangé, qui compte plus d’1,5 millions de vues à ce jour, dont le succès lui permettra d’être repérée par une association qui la sort de sa situation.

« Comme toutes les autres filles, je suis dans une cage.
On me voit comme un mouton qu’on n’élève que pour le dévorer.
Ils répètent qu’il est temps de me vendre. » (traduction)

https://www.youtube.com/watch?v=n65w1DU8cGU&t=67s

Somme toute, la chanson engagée est un outil contestataire qui peut se dresser en véritable contre-pouvoir face à la politique douteuse des Etats, ou face à des traditions de plus en plus décriées. Malgré le fait qu’elles soient bien souvent ancrées dans une culture et ou une époque, elles peuvent sensibiliser à travers le monde, et continuer d’avoir une forte résonance aujourd’hui. Les voix s’élèvent crescendo, armes pacifiques qui peuvent-être plus efficaces que le recours aux armes mortelles.

Sources :
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