Quelques jours après la défaite douloureuse de l’équipe de France contre l’équipe d’Argentine portée par un grand Messi, j’ai pu constater que certaines personnes portaient un regard méprisant envers le football. Le principal argument que j’ai relevé est l’idée que finalement ce sport ne serait qu’une distraction pour le peuple : « du pain et des jeux » comme on dit. J’écris donc en ce jour pour démontrer aux plus récalcitrants la réelle valeur de ce sport que je chéris.
Je tiens à souligner d’abord que le football est une expérience esthétique. Un match n’est pas simplement qu’une partie de jeu mais avant tout une œuvre d’art en création. Les mauvaises langues diront que c’est « bœuf », « vulgaire », « stupide » de prendre du plaisir à voir des footballeurs courir après un ballon. Pourtant, il suffit de regarder le match de Zidane de 2006 contre le Brésil pour apprécier toute la beauté et l’élégance de ce sport. J’ajouterais que l’argument qui consiste à relever l’inutilité du football fait partie du mouvement relativiste. Cet argument d’incompréhension est absolument trompeur puisque en allant dans cette logique, l’art, la musique, le théâtre, la vie même serait inutile. Tout à son importance, l’harmonie de la vie en a une.
Puis, le sport et en particulier le football, possède des valeurs, une histoire. En effet, chaque footballeur, en pratiquant, accepte des normes qui ont été établies bien avant lui, embrasse un système normatif. Dans le même temps, les joueurs acceptent le jugement objectif des observateurs, des spectateurs, qui vont évaluer la qualité de la prestation, l’efficacité de cette dernière. Je parle de jugement objectif puisque la beauté des gestes effectués sont jugés à l’aune de l’efficacité de ces mêmes gestes. De là, on peut établir un lien entre la beauté et l’excellence puisqu’un geste est considéré comme beau lorsqu’il permet soit une occasion de but, soit d’en éviter une provoquée par l’adversaire. La « tradition footballistique » est aussi le miroir du dépassement de soi, de l’effort. Pensons à la mi-temps entre la France et l’Argentine. Menée 2 à 0, la France aurait pu renoncer à se battre, mais cela n’a pas été le cas puisqu’elle est revenue au score par un sublime Kylian Mbappé (auteur d’un triplé historique) avant de s’incliner par une cruelle séance de tirs au but. On voit de cette manière une certaine application du principe du « surhomme » et de « l’Éternel Retour » développé par Nietzsche. C’est dans cette lignée qu’on peut établir une comparaison entre le football et le théâtre car si on le regarde bien, il nous ouvre à un état d’esprit. J’irais jusqu’à qualifier le football d’histoire muette. On retrouve aussi l’idée de l’élévation par le mental et l’effort représentée à merveille par le joueur Cristiano Ronaldo (issu d’une famille pauvre). Cette « tradition footballistique » que j’ai évoqué plus haut n’est toutefois pas immuable. Elle se construit, de la même façon que l’histoire globale, par des hommes aux caractères forts. On peut penser à la réinvention du rôle de gardien par Neuer, ou encore au tiki-taka représenté par Xavi et Iniesta.
Un autre fait intéressant qu’on peut remarquer est celui de l’universalité du football. Tout le monde peut le comprendre, à cet égard il est comparable à la musique et même à la religion. Du fait de son universalité, de la passion qu’il engendre chez les fans, le football est devenu pour certains l’équivalent d’une religion, d’un mode de vie. Il suffit de se tourner du côté des argentins ou encore du côté de la plupart d’entre nous, passionnés, incapables de se passer de ce sport pendant quelques jours. Certains vont parler de nouvel « opium du peuple ». Il semble que ce phénomène soit lié à l’émergence d’internet, des réseaux sociaux, de l’accès illimité et instantané au contenu sportif. Je parle également de « mode de vie » même si l’expression est un peu excessive, pour indiquer que le football est en parallèle une ambiance, des musiques (cf. les hymnes Fifa, Shakira…), des figures dans lesquelles on peut se reconnaître et se modeler (dans une moindre mesure, on pourrait parler des archétypes de Carl Jung).
Je crois, par ailleurs, à l’idée que le football serait le substitut à la guerre. En effet, les matchs permettent de « défouler » les pulsions primitives de l’homme. Et cela irait dans le même sens que celui de la « volonté de puissance » développé par Nietzsche, chaque personne souhaite être le plus imposant dans son domaine. Cette volonté s’exprime par le besoin d’un enracinement dans une notion transcendante. Ainsi, le football (et en particulier la Coupe du monde) s’impose aujourd’hui comme la seule expression du patriotisme. C’est l’occasion pour les nations de voir leurs drapeaux flotter sur tous les toîts du monde et de s’imposer (concernant l’aspect géopolitique du football, je conseille le livre Football Club Geopolitics de Kévin Veyssière).
Pour conclure cet article il me paraît pertinent de citer Christian Bromberger, ethnologue qui s’exprimait sur le football dans un entretien : « C’est un sport qui peut faire éprouver en 90 minutes toute la gamme des émotions qu’on éprouve dans le temps beaucoup plus long et distendu d’une vie ».