Le 30 janvier 2024, six individus armés de longs couteaux embarquent illégalement dans un navire au large de Singapour. Après avoir séquestré une partie de l’équipage dans la salle des machines, les autres marins déclenchent l’alarme. Les criminels s’enfuient, volant des pièces détachées et des effets personnels.
Si cet événement n’est qu’un simple fait divers, celui-ci prend place dans le cadre du phénomène global du brigandage maritime. Avec la piraterie, il s’agit de deux problématiques de sécurité impactant le commerce maritime, cœur de la mondialisation du XXIème siècle.
Le Ministère des affaires étrangères français distingue le brigandage de la piraterie. Le brigandage maritime est:
“ [un] acte illicite, commis à des fins privées contre un navire, ou contre des personnes ou des biens à son bord, dans les eaux intérieures, les eaux archipélagiques ou la mer territoriale d’un État.”
La piraterie se distingue par sa nature. Elle vise toujours des fins privées, mais est définie comme un acte de violence. De plus, elle se distingue par sa zone d’activité dans les eaux internationales. Il s’agit de la zone située au-delà de la Zone Économique Exclusive d’un État (200 miles) ou bien de l’extension du plateau continental pour les États en disposant.
Pour le brigandage maritime comme la piraterie, il s’agit d’actes privés, à visée crapuleuse. Il convient donc de les distinguer des actes de violences maritimes commises à des fins politiques ou militaires. Ainsi, les attaques commises par les Houthis en Mer Rouge ne seront pas qualifiées de piraterie, même si elles représentent une menace pour la sécurité maritime.
Pour étudier le phénomène de piraterie et de brigandage maritime, il conviendra d’étudier les implications géopolitiques de ces activités, en étudiant la situation en Amérique Latine et autour de la Corne de l’Afrique, avant de se pencher sur les conséquences financières de la piraterie. Une fois ce constat posé, il sera question de la lutte contre la piraterie puis de l’avenir de cette dernière.
Les implications géopolitiques
La piraterie est un phénomène présent dans de multiples régions du monde. Il convient donc d’analyser les points communs de ces zones en termes géopolitiques et d’étudier les conséquences internationales de la piraterie dans sa globalité.
Un premier point commun à toutes les zones de piraterie est l’extrême pauvreté des pays riverains. On le sait, la pauvreté est un facteur aggravant pour le développement de la criminalité. La piraterie n’y échappe pas. C’est la recherche de la richesse qui pousse majoritairement les personnes touchées par la pauvreté à commettre des actes de piraterie.
Dans beaucoup de cas, des groupes se sont créés autour de cela, rassemblant des personnes à faibles revenus. Par exemple, le Nigeria, pays bordant le Golfe de Guinée, l’une des principales zones de piraterie dans le monde, est classé 132ème rang au classement des pays en fonction du Produit Intérieur Brut par habitant.
De plus, la piraterie s’installe dans les zones stratégiques de transit des richesses. Les principales routes commerciales maritimes mondiales passent par la mer de Chine, les Caraïbes, le Golfe de Guinée et la côte Est de l’Afrique. Selon l’Organisation Mondiale du Commerce, ce n’est pas moins de 80% du commerce mondial en volume qui transite par la voie maritime.
Le musée de la marine de Toulouse ajoute le fait que le commerce international concerne 80% du commerce de marchandises en valeur. C’est donc une source de richesse conséquente. Souvent, cette richesse passe dans ces zones de pauvreté.
Malgré tous les efforts fournis pour contenir la piraterie, celle-ci reste un fléau pour le commerce mondial. Selon l’OMC, pas moins de 145 navires ont été victimes d’actes de piraterie en 2023. Un rapport transmis par Jack Lang au Secrétaire Général des Nations Unies en 2011 estimait les pertes globales de la piraterie à 7 milliards d’euros par an. Depuis, le nombre d’actes de piraterie a drastiquement baissé, mais l’impact économique reste fort.
Des Caraïbes à l’Amérique du Sud : le brigandage en baisse
Nous étudierons ici la zone de l’Amérique latine, c’est-à-dire les pays d’Amérique où la langue officielle est une langue romane, en incluant en plus les Caraïbes anglophones. Il sera question d’une analyse globale de ces régions tout en évoquant plus précisément la situation de quelques pays.
Selon le rapport du Maritime Information Cooperation & Awareness Center, l’Amérique Latine et les Caraïbes ont connu 2 incidents de piraterie et 105 actes de brigandage. La tendance est à la baisse par rapport à l’année 2022. Cependant, le narcotrafic maritime et la contrebande connaissent une hausse dans la région.
Les actes de violences visent surtout des bateaux de plaisance très présents dans la région. Bien que la proximité avec le canal de Panama amènent de nombreux bâteaux de commerce dans la Mer des Caraïbes, la piraterie locale les vise rarement. Toute cette mer et le golfe du Mexique sont classés comme zones à risque par le Ministère des Affaires Étrangères français.
Concernant l’Amérique du Sud, les zones à risques sont les côtes péruviennes et la côte sud du Brésil. En plus des actes ordinaires de brigandage, les côtes péruviennes sont victimes du trafic de drogue ayant conduit à la saisie de 272 246 kilos de chlorhydrate de cocaïne, 95 500 kilos de marijuana et 100 192 kilos d’autres substances illicites.
Sur l’Île de Sainte-Lucie, petit pays insulaire des Caraïbes, l’insécurité règne. Celle-ci a déjà pu s’étendre au brigandage maritime, comme le montre le meurtre d’un britannique sur son yacht en 2014, affaire ayant autrefois causé un certain retentissement médiatique. Toutefois, l’Amérique latine et les Caraïbes restent relativement peu touchées par la piraterie par rapport au reste du monde.
Zoom sur le Golfe d’Aden
Le Golfe d’Aden est l’une des zones du monde où les actes de piraterie sont les plus nombreux. Le Golfe d’Aden est une zone située entre le Yémen et la Somalie. Il se situe donc à la jonction entre la mer Rouge et l’océan Indien. Cet axe fait partie de l’une des routes commerciales les plus empruntées au monde, reliant l’Asie de l’Est et du Sud-Est à l’Europe et l’Afrique du Nord. Selon Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat, 25 000 navires y passent tous les ans, dont 12% de la production mondiale de pétrole brut et ⅓ de l’approvisionnement énergétique de l’Europe.
De plus, bon nombre de porte-conteneurs passent également au large de la Somalie. Le Golfe d’Aden représente donc un point de passage important entre les trois pôles économiques majeurs de la planète: l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord.
Dans cette zone, les pirates sont principalement originaires de la Somalie et de l’auto-proclamé Somaliland. Le pays est en effet en proie à une sanglante guerre civile, que certains font démarrer en 1978. L’Etat Somalien est désormais trop faible pour assurer une quelconque autorité sur son territoire. De ce fait, des milices et d’autres types de groupes armés contrôlent désormais la quasi-totalité du pays et de la société. De cela est né un état de pauvreté extrême dans tout le pays.
En 2017, environ 71% de la population nationale vivaient avec moins d’un dollar par jour. L’instabilité en Somalie est omniprésente. Antonio Guterres a d’ailleurs pu déplorer en 2022 que « L’augmentation du nombre de victimes fait de 2022 l’année la plus meurtrière pour les civils en Somalie depuis 2017 ». En effet, rien que sur l’année 2022, on dénombre 1059 victimes civiles dont 382 morts.
En conséquence de ce contexte explosif, est née l’une des zones de piraterie les plus conséquentes au monde. La piraterie a commencé à apparaître dans la zone au cours des années 1990. Jusqu’aux années 2010, le nombre d’actes de piraterie n’a cessé de croître dans la région. Avec la multiplication des opérations de lutte contre la piraterie, on observe depuis les années 2010 une baisse générale du nombre de navires concernés. En 2007, une cinquantaine de navires ont été victimes de la piraterie dans la zone. Ce chiffre a par la suite explosé en 2011, année où 237 bateaux ont été touchés.
A partir de 2012, ce chiffre repart à la baisse, car on totalise 75 navires victimes de la piraterie dans le Golfe d’Aden. Selon France Diplomatie, en 2019, 25 actes de piraterie ont été recensés dans la zone. Cette diminution fulgurante est notamment due à la présence quasi permanente de la marine Américaine et de la mission Atalante menée par l’Union Européenne.
Elles ont pour objectif la sécurisation du commerce maritime dans la zone. La mission Atalante a été initiée par la France et mise en place à partir de 2008 par l’Union Européenne. Sa principale mission a été d’établir un corridor de passage pour navires. Pendant la traversée de ce corridor, les bateaux sont escortés par des navires militaires sous pavillon de l’Union Européenne.
Les conséquences économiques de la criminalité en mer
Loin de l’imagerie d’Épinal des pirates du XVIIIème siècle sirotant un verre de rhum au pied d’un coffre rempli de pièces d’or, la piraterie moderne implique de grandes conséquences sur l’économie mondiale. L’un des chiffres les plus éloquents est peut-être l’augmentation de 8% des coûts de transports maritimes au large de la Somalie. La piraterie a aussi causé une perte comprise entre 0,9 et 3,3 milliards de dollars pour l’industrie du transport maritime en 2010. À l’inverse, elle n’aurait rapporté que 120 millions de dollars aux pirates.
Économiquement, la piraterie implique de nombreux surcoût pour les acteurs privés. Premièrement, le prix et les délais de livraison des matières premières peuvent augmenter. De plus, les industries maritimes (pêche, exploitation pétrolière) sont touchées négativement par ces phénomènes. Le prix des assurances augmentent aussi puisque désormais, des clauses “Kidnapping et Rançon” sont prises dans les contrats d’assurances.
En dehors des acteurs privés, principalement touchés par les actes de piraterie, les acteurs publics dépensent des sommes importantes à cause de la piraterie. Ainsi, l’ONU estime que chaque année, les pays du Golfe de Guinée dépensent près de 2 milliards de dollars pour assurer difficilement la sécurité de la région, ce qui empêche d’investir cet argent ailleurs.
De plus, les pays sources de piraterie se retrouvent limités dans leurs investissements provenant de l’étranger. Enfin, il est onéreux pour les états de mobiliser leurs armés pour lutter contre la piraterie.
La lutte contre la piraterie
Premièrement, la quasi intégralité des codes pénaux nationaux du monde condamnent la piraterie. Par exemple, l’article 2 de la loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime mentionne le fait que sera accusé de piraterie
» Tout individu faisant partie de l’équipage d’un navire ou bâtiment de mer étranger, lequel, hors l’état de guerre et sans être pourvu de lettres de marque ou de commissions régulières, commettrait lesdits actes envers des navires français, leurs équipages ou chargements”.
Cela n’est pas spécifique au Code Pénal Français. De très nombreux Etats Africains, Asiatiques et Américains condamnent la piraterie dans leur législation pénale
La lutte contre la piraterie passe également par la coopération judiciaire entre les Etats. En effet de multiples conventions bilatérales ou multilatérales existent pour le jugement voire l’extradition d’individus accusés de piraterie. Cela s’incorpore dans la majorité des cas dans un accord de coopération judiciaire plus global, tel qu’il peut exister entre le Niger et l’Algérie par exemple, ou encore entre le Niger et le Nigéria. Ces coopérations permettent une plus grande efficacité dans la lutte contre la piraterie, tant au niveau régional qu’au niveau mondial.
Mais c’est surtout par la coopération policière que la lutte contre la piraterie se rend effective. Face à ce fléau, la communauté internationale a mis en place diverses mesures de lutte de coopération.
Cela passe d’abord par la mise en place de programmes internationaux. L’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime a mis en place le Programme Mondial de Lutte contre la Criminalité Maritime. L’Union Européenne a de son côté lancé le Programme pour la Sûreté Maritime en 2012 en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Cela passe également par la coopération interétatique. Cela se fait souvent sous l’égide de l’ONU, de l’OMC ou d’Interpol.
Par exemple, la loi du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’Etat en mer indique dans son premier article qu’elle est applicable tant pour les actes de piraterie commis dans les eaux internationales que dans les zones étatiques, sous réserve de respect du droit international. Enfin, certains Etats comme les Etats-Unis ou la France mènent unilatéralement des missions de patrouilles dans les zones soumises à la piraterie.