Être égoïste, c’est être soumis à ses désirs. Et être soumis à ses désirs, c’est souffrir. Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation décrit le désir comme une souffrance ressentie, qui ne disparaît que temporairement une fois le désir satisfait. Cette satisfaction procure à l’Homme un plaisir éphémère, qui disparaît assez vite pour laisser la place à un nouveau désir, et donc à une nouvelle souffrance. L’Homme est ainsi enfermé dans un schéma de cercle vicieux se répétant sans fin. Son égoïsme le pousse à cultiver ce cercle vicieux de souffrance continue, plutôt que de le briser en travaillant sur lui-même. Il privilégie donc ses envies à court terme, même s’il est certain de souffrir à long terme.
Notre système économique est l’incarnation même de cette mécanique humaine. L’Homme l’a construit dans l’unique but d’étancher sa soif de désir. Les deux mécaniques interdépendantes qui le composent, la production et la consommation, s’articulent autour de ce concept. Pour satisfaire un désir, il consomme. Pour consommer, il produit. En d’autres termes, l’Homme produit pour avoir les ressources de consommer la production des autres.
Tout cela serait bien beau si l’égoïsme de l’Homme ne le poussait pas vers sa perte. Car ce désir infini a deux inconvénients. Le premier, c’est qu’il a lieu dans un espace fini. Qu’arrivera-t-il alors lorsqu’on atteindra les limites de ce monde (ce qui sera l’objet d’un futur article) ? Le deuxième, c’est qu’il a des conséquences néfastes directes sur son environnement. L’égoïsme de l’Homme est-il inévitable ? Spoiler Alert : Oui. Peut-on compter sur sa raison ou son empathie pour changer les choses ? Spoiler Alert : Non. C’est ce que j’essaie d’expliquer dans cet article. Bonne lecture !
L’égoïsme face au rationnel
Peut-on compter sur la raison de l’Homme pour sauver la planète ? La réponse est non, et ce pour deux raisons :
Premièrement, L’Homme n’est pas parfaitement informé.
L’Homme manque d’information pour pouvoir faire un choix rationnel. Il ne peut pas de lui-même calculer le coût environnemental de chaque action de consommation. Et même s’il dispose de certaines informations, une partie de la vérité peut lui être délibérément cachée : c’est ce qu’on appelle le greenwashing. Les entreprises y ayant recours jouent sur la nouvelle demande de consommation responsable en habillant leur produit d’un manteau vert. Concrètement, elles dissimulent une partie de l’information pour ne présenter que celle qui sert à embellir l’image de la marque. Encourager des allemands à acheter une voiture électrique, par exemple, peut être considéré comme une méthode de greenwashing puisqu’une voiture électrique en Allemagne pollue plus qu’une voiture diesel, étant donné que l’électricité allemande provient en grande majorité des centrales à charbon. On ne peut donc pas compter sur le consommateur, puisqu’il ne bénéficie pas de toutes les informations, étant donné qu’il ne peut pas s’en fournir certaines, et que d’autres sont tout simplement fallacieuses.
Deuxièmement, L’Homme raisonne à une échelle individuelle
Même dans l’hypothèse où l’Homme est parfaitement informé, il reste un être égoïste, et donc imparfaitement rationnel. Revenons à la théorie de Schopenhauer évoquée en introduction. Si l’Homme était réellement un “homo-economicus”, c’est-à-dire un être rationnel qui ne fonctionne qu’en terme de coût-bénéfice, il choisirait de sacrifier ses désirs. D’une part pour s’aliéner de la souffrance infinie qu’elle lui procure et d’autre part parce qu’il prendrait en compte l’impact de cette consommation sur son bien-être futur. Si tel était le cas, sûrement n’aurions-nous pas de crise écologique sur les bras. Ce n’est malheureusement pas ce que l’on observe aujourd’hui : malgré une prise de conscience générale, l’humain continue de consommer n’importe comment.
Le problème, c’est qu’on parle ici de l’Homme comme un ensemble. Mais l’Homme raisonne par nature à son échelle en priorité. En effet, à l’inverse d’autres espèces comme les fourmis , il ne dispose pas d’une intelligence collective. Son égoïsme le conditionne à une réflexion individuelle. Or naturellement, l’impact qu’il peut avoir sur la crise écologique à l’échelle individuelle est négligeable. Quand il réfléchit à un trajet Lyon-Paris en avion plutôt qu’en train, il se dit instinctivement que ce ne sont pas quelques kilos de CO2 en plus dans l’atmosphère qui feront une différence. Et à juste titre ! Mais cette réflexion n’aurait de sens que s’il était seul sur la planète. Or s’il était seul sur la planète, il ne disposerait jamais d’autant de choix de consommation qu’avec 8 milliards d’autres individus. En d’autres termes, l’Homme dans son ensemble n’a aucun mal à raisonner collectivement quand il s’agit d’élargir son choix de consommation, car cela le conforte dans son égoïsme. Pourtant d’un autre côté, il est incapable de concevoir un raisonnement collectif qui le priverait de certains désirs, même si ce raisonnement serait objectivement bénéfique pour lui dans le futur.
On ne peut donc pas compter sur l’Homme pour agir sur sa consommation. On peut compter sur certains individus, certes, mais pas sur l’Homme en tant qu’espèce. Et si on veut sauver notre espèce (et les autres au passage), il va falloir raisonner en tant que tel.
En conclusion, même dans une situation où les Hommes seraient parfaitement informés sur l’impact environnemental de chaque action de consommation (ce qui serait déjà pas mal, ceci dit), une partie non négligeable de la population choisirait de ne pas faire l’effort d’aller à l’encontre de ses désirs et préférerait continuer d’alimenter le cercle vicieux du désir par des plaisirs éphémères. Force est d’accepter le triste constat de la nature humaine : la rationalité de l’Homme est bel et bien aveuglée par son égoïsme, et il va falloir faire avec pour sauver la planète.
L’égoïsme face à l’émotionnel
Le cœur a ses raisons que la raison ignore, comme dirait l’autre. Alors qu’en est-il ? Les raisons du cœur suffiraient-elles à sauver l’Homme ? Nous ne sommes peut-être pas des êtres parfaitement rationnels, mais nous sommes des êtres émotionnels. Certains changent en effet leur mode de vie par empathie vis-à-vis des conditions de vie d’autres humains ou d’autres êtres vivants. Mais les émotions sont relatives ; elles ne sont pas également déterminantes dans la prise de décision pour tout le monde. De nombreuses associations comptent sur l’émotionnel pour éveiller les consciences et changer les comportements. L214, par exemple, publie régulièrement des vidéos exposant les conditions de vie des animaux d’abattoirs, qui se retrouvent dans votre hamburger préféré. On a tous en tête un spot Greenpeace avec un ours polaire isolé sur un morceau de glace au milieu d’une banquise quasi-inexistante, une tortue avec une paille dans le nez ou une forêt amazonienne méconnaissable. D’autres comme Sea Shepherd décident même de prendre les choses en main et d’assurer une gouvernance des océans que personne n’a assumé jusque-là (ce qui fera l’objet d’un prochain article d’ailleurs). Toutes ces associations jouent sur une chose : une petite connexion dans votre cerveau, qui existe chez quasiment tout le monde, et qui peut avoir une influence sur vos actions : votre empathie.
De la même manière que l’Homme confronte sa rationalité et son égoïsme, dans la tête de chacun se livre une bataille entre l’égoïsme et l’empathie lorsque l’on doit faire un choix entre son propre confort et l’intérêt d’autrui. Pour certains, l’empathie l’emporte, pour d’autres non. On aura beau nous imposer le visionnage d’une compilation de massacres de bébés phoques tous les dimanches matins, il y aura toujours des gens pour acheter des fourrures. Car à proprement parler, on ne tue pas un bébé phoque en achetant une fourrure ; du moins pas directement. Et pour beaucoup, une responsabilité indirecte est acceptable : après tout, ce ne sont pas eux qui se sont sali les mains. Pour d’autres, la vie animale n’a tout simplement pas de valeur, et peut même être disposée comme d’un loisir. L’Homme a d’ailleurs déjà prouvé être capable de hiérarchiser et marchandiser des vies humaines. Quand on en vient à manquer d’empathie à ce point envers un individu de sa propre espèce, comment pouvons-nous miser sur l’émotionnel pour sauver le monde ?
Comme le rationnel, l’émotionnel dépend avant tout de l’individu. Pour certains, l’émotion sera suffisante pour influencer des actions, pour d’autres non. Or, une solution qui ne fonctionne que partiellement ne suffira jamais à traiter un problème global. L’empathie de l’Homme n’est pas et ne sera jamais une valeur sûre pour faire changer les choses. Arrêtons de se leurrer. Le travail que font les associations est essentiel pour éveiller les consciences, mais il faut réaliser que les vrais décideurs sont ceux qui sont aux commandes. A nous de faire pression sur eux pour changer les choses.
A lire tout cela, vous vous demandez peut-être pourquoi Dieu, ou mère nature, ou la science nous a rendus égoïstes. En réalité, l’égoïsme dans ses fondements est une bonne chose. C’est une manifestation de notre instinct de survie. Il est normal de raisonner de manière égoïste dans un environnement hostile : le but premier est d’assurer sa propre survie, pas nécessairement celle du voisin. Si les fourmis ont une intelligence collective, ce n’est pas parce qu’elles sont supérieures à nous ou plus intelligentes, c’est parce que les fourmis survivent mieux ensemble. Nous sommes la seule espèce à avoir dépassé ce stade de survie, et notre égoïsme se manifeste maintenant par des désirs non essentiels qui augmentent notre confort. Quelque part, à un moment donné de notre histoire, notre intelligence nous a permis de nous défendre efficacement face à notre environnement par la création d’armes et d’outils. Elle s’est donc consacrée à d’autres choses et nous a permis d’orienter les fonctions de notre cerveau dédiées à la survie vers de nouveaux concepts. De là sont nées de nouvelles sciences comme l’économie, les mathématiques, la science de la terre, et plus récemment l’écologie. Des concepts comme l’art sont d’ailleurs dérivés de notre instinct de survie : l’Homme est sensible à la beauté car par le passé, ce qui était beau était synonyme d’harmonie. Si cet aliment est beau, il est comestible. Si les branches de cet arbre sont symétriques, il est en bonne santé. Ce qui était chaotique à l’inverse, était dangereux.
Mais maintenant, la question de notre survie est remise sur la table. Et il va falloir que l’Homme réagisse, même après avoir passé des siècles à se complaire dans un environnement artificiel et hospitalier. Naturellement, la question se pose : comment l’humain peut-il agir face à sa propre nature ? Je pense qu’il existe un élément de réponse à cette question, mais ce sera l’objet du prochain article.