Depuis la mi-octobre, de nombreuses manifestations éclatent partout au Panama en raison du renouvellement d’un contrat minier avec une société étrangère. Si les rassemblements pacifiques ont parfois conduit à des affrontements, l’horreur a atteint son paroxysme quand un Américano-panaméen de 77 ans a ouvert le feu et tué deux manifestants début novembre. Que se passe-t-il exactement au Panama ?
Un eldorado entre deux Amériques
Petit pays indépendant de la Colombie depuis 1903, le Panama est un isthme situé entre l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale. Avec un climat tropical, c’est-à-dire chaud et humide, le pays comprend une très riche végétation ainsi que des paysages montagneux bordés par la Mer des Caraïbes et l’Océan Pacifique. Le pays est culturellement très riche à l’image de sa diversité.
Fortement lié au commerce international par son canal, le Panama a connu l’un des développements économiques les plus importants de la région grâce à ses infrastructures portuaires, ses banques ainsi que sa grande zone de libre-échange de marchandises. Panama City est une ville aux nombreux gratte-ciel bordant le Pacifique.
Parsemé de fincas, plantations traditionnelles de cafés, le Panama connaît aussi une importante production de canne à sucre et de bananes. Le Panama est un pays vert car la forêt couvre environ 43% du territoire tandis que les terres agricoles couvrent 30,5% du territoire. Mais c’est vers une autre partie du secteur primaire que le Panama commence à se tourner, celui de l’exploitation minière.
La Mine de Cobre : Le projet polémique
Riche en matière première, le Panama est une source d’or mais surtout de cuivre. Ce métal, utile notamment dans l’électronique, représente en dollar 75% des exportations du pays. Le plus gros des projets minier est celui du Cobre Panama qui représente à lui seul 4% du PIB du pays.
En 2019, le Président Laurentino Cortizo a été élu avec la promesse de laver le pays de sa mauvaise réputation dû au scandale financier des Panama Papers ainsi que de lutter contre la corruption. Cependant, ces fameuses promesses n’ont pas été tenues si longtemps pour certains.
La compagnie canadienne First Quantum Minerals, au travers de l’une de ses filiales, exploite le projet minier de Cobre Panama, générant ainsi 8000 emplois directs et 40000 indirects. La concession est échangée contre une redevance annuelle de 375 millions de dollars américains. Cependant, la procédure d’adoption rapide et sans grande consultation dont l’étape finale a été signée par le Président a ravivé les tensions dans le pays.
Si certains avancent des accusations de corruption quant au renouvellement de ce contrat pour 20 ans, contournant l’interdiction de signer de nouveaux contrats de concessions minières étrangères, ce sont aussi des questions environnementales qui sont mises en jeu, couplées à celle du peuple Ngäbé qui dispose constitutionnellement de ses terres que la mine recouvre en partie.
Partout dans le pays, des manifestations et des blocages émergent. Ayant été présent au Panama en cette fin octobre et début novembre, j’ai pu constater l’ampleur de ces contestations. Dans les rues de la capitale ou de petites villes comme Boquete, les citoyens de tous âges défilent dans les rues, portant le maillot de l’équipe nationale de football ainsi que de grands drapeaux panaméens. Des étudiants peignent des banderoles anti-corruption en préparation des manifestations. Enfin, il y a aussi de nombreux blocages routiers (voir photo ci-contre au niveau de Dolega dans la province du Chiriqui), notamment sur la route panaméricaine, et plus rarement, de violents affrontements entre la police et les manifestants ou bien avec des contre-manifestants.
Face à ces événements, le Président tente un changement de position en cherchant vainement à organiser un référendum qui a été annulé par le Tribunal Électoral, sorte de conseil constitutionnel panaméen. C’est donc un moratoire sur ce contrat minier qui a été mis en place en attendant la décision de la Cour Suprême, dont la décision sera lourde de conséquences en raison du risque de l’intensification des tensions en cas de rejet de la demande des manifestants mais aussi de poursuites judiciaires internationales en cas d’annulation du contrat. Les manifestations ne se sont pas arrêtées pour autant à l’aube des élections présidentielles de 2024 tandis que le Président actuel a déjà été lourdement contesté en 2022.
Le blocage du pays a conduit à des affrontements entre manifestants et contre-manifestants tandis qu’un drame s’est déroulé le 7 novembre. Un ancien avocat de 77 ans a abattu froidement deux professeurs, Abdiel Díaz et Iván Rodrigo Mendoza Gómez, qui manifestaient sur un barrage routier. Il a été arrêté et conduit en détention provisoire à la suite de ces événements.
Ce projet cristallise de nombreuses tensions pour la jeune nation qu’est le Panama. Les décisions judiciaires et politiques à venir seront d’une importance capitale pour l’avenir du pays qui a longtemps vu sa souveraineté limitée, notamment par les États-Unis qui ont rendu le contrôle du canal au pays en 1999 seulement. La reprise du contrôle de la mine serait déjà un important signe de souveraineté tandis que son arrêt marquerait pour les militants écologistes une grande victoire.