Dire d’où il vient afin de mieux nous dire où il souhaite aller. C’est ainsi que nous pourrions caractériser la démarche de l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe, lorsqu’il a entrepris de rédiger son essai « Des lieux qui disent ». En effet, invité ce mercredi 18 octobre 2023 au sein de notre Université à l’initiative de notre chère association Poli’Gones, le désormais chef du jeune parti politique Horizons s’est employé à présenter, mais également à débattre, des thématiques et réflexions abordées par son ouvrage.
La politique par essence
À la suite de brefs propos introductifs émis par M. Éric Carpano et Mathias Petit, respectivement Présidents de l’Université et de Poli’Gones, il n’aura guère fallu attendre longtemps avant que l’homme politique reprenne le pas sur l’auteur. Avançant ne pas avoir écris un programme, qui soit dit en passant est selon lui plus facile à rédiger qu’un ouvrage, Édouard Philippe semble tout de même dessiner une voie, ponctuée d’avis tranchés et parfois même de propositions concrètes. Arguant selon ses mots « se détacher de l’immédiateté de notre époque », ce passionné de Léon Blum, qui fut conseiller d’État à son instar, inscrit sa démarche à travers la volonté d’établir une stratégie à long terme, soit une certaine vision de ce qu’il envisagerait pour son pays. Déclinant son approche comme une volonté de se démarquer du débat public actuel, ainsi que du temps médiatique, ce ne sont pourtant que des directions structurées certes, mais au possible générales, qu’il a appuyé ce matin devant un parterre d’étudiants qui, captivés, ont su combler l’auditorium Malraux dévoué pour l’occasion.
Le parcours d’un homme, socle de son horizon
« Des lieux qui disent », titre aussi déroutant qu’évocateur, dont Édouard Philippe a taché de nous transmettre au possible sa substance le temps d’une conférence, cache au gré de ses lignes un cheminement intellectuel particulier. Teinté d’un fort écho d’introspective, ce récit écarte même épisodiquement la pudeur philippiste traditionnellement de rigueur, qui se retire au gré des souvenirs, déambulant au travers d’un voyage où s’entremêlent confidences personnelles et considérations morales et politiques. L’auteur semble alors exhumer l’importance et l’impact des lieux qui ont pu influencer sa pensée et influer sur sa trajectoire, et qui lui ont désormais servi de socle de pensée pour son avenir. Il en est même selon ses propos qu’ « un peu de nous-même est constitué de la somme des lieux qui nous ont faits », avançant que notre approche eu égard à n’importe quel sujet, s’effectue sous un prisme personnel, fruit de nos expériences, ou de la manière dont notre parcours nous a permis de les découvrir.
Se dessine alors une sorte de question en filigrane à l’égard du lecteur : qui est-on vraiment ?
L’éducation érigée en priorité
Au sein d’un temple universitaire comme le sanctuaire de Jean Moulin, où le Droit et la Science politique écument l’essentiel du quotidien estudiantin, Edouard Philippe a aimé rappeler ses appétences en la matière, que son parcours illustre volontiers. En effet, en tant qu’ancien magistrat au Conseil d’État, ancien législateur, actuel premier magistrat du Havre, ou encore « justiciable » désormais, l’accommodation à une telle sphère s’avère consumée il y a de cela quelques vies.
Il est alors de ces moments qui apparaissent presque comique, lorsqu’en cette Manufacture des tabacs, fruit d’une histoire ouvrière et d’une mue universitaire à contre-courant du mouvement soixante-huitard, l’ancien Premier ministre choisit d’amorcer de manière incisive un discours sur l’école. Dressant un constat et une analyse loin d’être fringante de cette maison qui selon lui s’étiole à bas bruit mais à vive allure, il induit explicitement la nécessité d’engager maintes réformes.
Son mantra démarre alors par une critique appuyée de la politique publique en la matière de ces quarante dernières années, dénonçant un investissement étatique détourné de ce qu’il considère comme l’élément cardinal de cette institution : l’humain. Vantant la nécessité de placer ce dernier au cœur de tout ce qui relève du domaine de l’éducation, il esquisse lors d’une question posée par une étudiante quatre lignes directrices, trahissant, malgré qu’il le réfute, une logique un brin programmatique.
Semblant redouter que de son affaissement découle son effondrement, il envisage tout d’abord donner la priorité aux petites classes, et argue ainsi que la maternelle et la primaire constituent le socle essentiel et préalable à toute tentative visant à régénérer le niveau scolaire. De nos jours, où l’effectivité de l’égalité des chances se dessine pour beaucoup déjà telle une chimère, il émet l’idée d’une potentielle période de remise à niveau pour certains élèves, en rognant une partie de leurs vacances estivales, couplée à un projet d’autonomisation accrue des établissements, embrayant la logique décentralisatrice, mais qui pour l’instant semble n’être qu’une idée embryonnaire. Parallèlement, l’originel juppéiste a développé sa volonté presque farouche de s’attaquer au sens même de l’école, et d’ériger en priorité la redynamisation du corps professoral, n’éludant ni les revendications salariales, ni les nécessaires réflexions autour des conditions de travail ou la délinéarisation des carrières.
La religion et la laïcité, une dialectique à l’allure d’une ligne de crête
D’aucuns la qualifient d’opium du peuple, tandis que d’autres y escomptent leur salut, la religion a depuis des millénaires plongé le coeur des hommes dans une profonde perplexité. Outil d’influence, refuge spirituel, doctrine comportementale, ou encore détonateur de violences, le culte se vit et s’exerce de mille et une façons, toutes propres à tout un chacun. Lorsqu’il aborde ce sujet au combien abrasif pour bon nombre de nos concitoyens, notamment en raison de la conjoncture actuelle, l’ancien Premier ministre entreprend d’abord d’énoncer son profond respect pour tout ce qui relève du sacré et de la foi, alors même que, singulièrement, il ne croit pas. Semblant amorcer un propos s’apparentant davantage à un combat politique que personnel, il s’attèle ensuite à dresser le constat de la sécularisation exponentielle de notre société lors des soixante-dix dernières années, phénomène selon lui sans précédent depuis au moins mille cinq cent ans. Jadis un pays couvert d’églises qui foisonnaient de pratiquants, Édouard Philippe alerte sur l’effondrement du catholicisme, que cultivent de nos jours plus que seulement 6,6% des français, qu’il prend le soin de comparer à la progression fulgurante de l’islam. C’est alors qu’il choisit d’engager la nécessaire thématique inhérente à tout débat cultuel ; la laïcité.
L’ancien hôte de Matignon débute ainsi son argumentaire par un préambule rétrospectif, imprégné d’une approche pédagogique, paraissant apprécier rappeler à une jeune génération, que la laïcité à la française, comme il est coutume de la nommer, tire son origine et son essence de la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État. En effet, « fruit de l’union d’un amour profond de la souveraineté étatique, couplée à une polémique religieuse », elle ambitionne en premier lieu selon le maire havrais de reconnaitre et garantir la liberté religieuse à chaque individu, mais également d’établir une neutralité absolue de l’État vis-à-vis de cette dernière. En outre, il ajoute que jamais la laïcité n’a été conçue en tant qu’instrument prônant que la foi se devait de relever uniquement de la sphère privée.
C’est alors que l’homme politique se décide à outrepasser le précepteur, et martèle que religion signifiant originellement « relier », il est inconcevable de renier les fondements sociaux inhérents au culte, et érige en priorité la conduite d’un combat politique face à ceux concevant la suprématie de la loi religieuse à la loi civile et républicaine.
Un projet littéraire, préface d’un avenir politique
La rédaction d’un ouvrage, tout comme sa promotion, abrite souvent certaines arrières pensées, dont les auteurs rejettent un temps, la réalité. Lorsqu’il est sujet d’une personnalité politique, qui plus est d’un probable candidat à la magistrature suprême, la logique ne suscite guère de doutes. À l’image de nombre de ses prédécesseurs, Édouard Philippe semble avoir entrepris d’établir au gré des parutions, le lit de l’aventure d’une vie. À quatre années de ce qu’il a coutume de dénommer en public « le moment venu », notre conférencier d’une matinée paraît pour l’instant davantage pencher pour l’expression littéraire, aux dépens de la parole publique, semblant embrasser pleinement la maxime de Charles Péguy : « Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte. ».