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mercredi 24 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

New Wave: Feel the rain like an English summer

Imaginons un voyage en voiture des plus classiques au milieu des années 2000. Ce détail a son importance puisque le Spotify de l’époque, c’est la pochette à CD des parents. Étant soumis à la règle universelle du « celui qui conduit choisit la musique », les enfants sont bien obligés de se coltiner les goûts parfois douteux de leurs vieux. Mais on peut parfois tomber sur de belles perles et je ne pense pas qu’il faille sous-estimer l’influence de nos parents sur nos propres goûts musicaux. Puisque c’est dans cette configuration précise, par le biais d’une compilation de tubes des années 80 parmi tant d’autres, que j’ai découvert un de mes genres de prédilection : la New Wave. 

Définition du terme et début du genre au Royaume-Uni : à la croisée des styles

Tout d’abord qu’est-ce que l’on entend par New Wave ? Bien que la définition ait beaucoup évoluée -tantôt utilisée pour parler d’une catégorie spécifique de groupes de rock, tantôt désignant les groupes faisant partie de la même scène que le punk mais n’étant pas catégorisés comme tel- le terme désigne finalement un large éventail de styles venus des scènes alternatives plutôt orientées pop et rock apparues à la fin des années 70 et au début des années 80, en Europe et surtout au Royaume-Uni. Elle est principalement alimentée par la musique électronique et les différents groupes de rock ayant émergés après l’explosion du punk, on peut par exemple citer le groupe Joy Division qui s’inscrit totalement dans cette mouvance dite « Post-Punk ». Mais on peut également englober dans cette appellation le ska, ancêtre du reggae importé par les diasporas caribéennes en Angleterre et qui a connu un boom de popularité dans les années 80 avec des groupes comme Madness ou The Specials. On a donc un panel de sons et d’inspirations assez large, ce qui pourrait entretenir une certaine confusion. Cependant on retrouve globalement un état d’esprit de « Do It Yourself ».

Vers le début des années 80, les groupes considérés comme de futurs pionniers commencent à se former, dans un premier temps dans les villes de province de l’Angleterre (sur le modèle de Joy Division à Manchester) : Depeche Mode à Basildon, Soft Cell à Leeds, The Cure à Crawley, Tears For Fears à Bath etc. La vague se propage ensuite dans la capitale, et s’enrichit de nouvelles formations : Eurythmics, Simple Minds, Frankie Goes To Hollywood ou encore Pet Shop Boys sont parmi les plus connues.

Les autres pays européens ne sont pas en reste. En Allemagne par exemple, où l’on parle de Neue Deutsche Welle, des artistes comme Nena, Klaus Nomi, Propaganda ou encore Alphaville arrivent à tirer leur épingle du jeu. En France, on découvre via des labels indépendants une scène nationale où s’illustrent Etienne Daho, Niagara, Indochine, Taxi Girl et les Rita Mitsouko.

Il faut noter tout de même la présence du mouvement outre-Atlantique, représenté par le groupe génialement barré The B-52’s. 

La New-Wave doit son avènement d’une part par un regain du rock vers la fin des années 70, mais ce sont surtout les synthétiseurs et autres boîtes à rythme devenus beaucoup plus abordables qui changeront la donne. Sans compter d’autres influences antérieures comme David Bowie ou le groupe de musique électronique allemand Kraftwerk, autant en termes d’esthétique que de musicalité. 

Et c’est avant tout ce qui caractérise, à mon avis, la New Wave et la distingue du reste de la musique populaire de cette période. Tout d’abord, un soin tout particulier est apporté à l’esthétique globale, les pochettes d’albums et les clips musicaux proposent une grande richesse d’images iconiques, Depeche Mode est une référence de ce côté-là. De même le look des artistes est plus travaillé, mémorable et vient bousculer les habitudes et les normes de genre. Nos parents se souviennent encore de Robert Smith (The Cure) et de ses yeux entourés de khôl ou de l’aspect très androgyne de Pete Burns (Dead Or Alive) et de Boy George (Culture Club). Ensuite on a une musique plus recherchée exploitant pleinement les possibilités permises par le synthétiseur et la boîte à rythme. Ils permettent en effet une plus large palette de sons à exploiter ou de simuler des instruments existants dans le cas du synthétiseur. La plupart des chansons de New Wave se reposent d’ailleurs sur ces instruments. La basse rythmique est bien plus marquée et on constate souvent la présence d’un riff ou d’un gimmick joué au synthétiseur, à la guitare ou à la basse. Tous ces éléments combinés contribuent à cette ambiance si singulière qui sonne futuriste mais résolument ancrée dans son époque.

La Bande-Originale de son époque : les années 80

Les années 80, et on a souvent tendance à l’omettre sans doute à cause de la nostalgie, ce ne sont pas que des couleurs pétantes, des épaulettes et des choix capillaires discutables. Les néons éclairent justement une réalité beaucoup plus morose. Ce « n’était pas mieux avant ». Nous sommes toujours en pleine Guerre Froide (le mur de Berlin dont la chute signe le début de la fin ne tombera qu’en 1989), et les pays occidentaux subissent encore les conséquences des deux chocs pétroliers survenus dans les années 70 : ralentissement de la croissance, inflation et chômage de masse entre autres. Cette décennie marque également un basculement politique dans ces mêmes pays vers le libéralisme économique et un retour aux idées conservatrices, on emploie même le terme de Révolution conservatrice. 

Au Royaume-Uni, ce basculement est symbolisé par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979, à la suite de l’échec du gouvernement travailliste et à un épisode exceptionnel de grève généralisée dans tout le pays à l’hiver 1978 (le fameux Winter of Discountent). Avec sa dureté assumée lui valant le surnom de « Dame de Fer », Thatcher est loin de faire l’unanimité et son bilan en tant que Première Ministre est encore aujourd’hui sujet à débat. Elle a en effet mené pendant ses onze ans au pouvoir une politique libérale très ferme à base de privatisations, de dérégulation du marché, de baisses des dépenses de l’Etat, de réduction du pouvoir des syndicats, ou encore une désindustrialisation accélérée. En bref, une série de mesures très controversées ayant mis à mal toute une frange de la population. Ce n’est donc pas un hasard si les artistes de la mouvance New Wave, pour la plupart issus des classes moyennes, populaires ou de villes provinciales (laissées pour compte dans le passage à une société de service centrée sur Londres), ont pris part à la contestation de sa politique par le biais de la musique. Une contestation dans la tradition du mouvement Punk, bien que celle-ci soit moins frontale et virulente. Elle peut passer par le sous-texte, comme le fait Depeche Mode pour encore les citer. Les paroles de « Everything counts » peuvent nous évoquer le monde des affaires et de la finance, grandement mis en avant dans les années 80, et le fait que l’argent et la compétition occupent désormais une place prépondérante dans la société. « Ghost Town », chanson la plus connue de The Specials, traite du phénomène des villes fantômes, ces villes anglaises frappées par la désindustrialisation et le chômage en proie à la violence. 

La réponse au conservatisme passe par la musique donc, et celle-ci devient alors plus provocante. Comme dit plus haut, les artistes de New Wave osent l’extravagance et envoient balader les normes esthétiques à grands coups de khôl et de bas résille. Mais ce n’est pas la seule marque de provocation, disons que les thèmes abordés sont eux-aussi plus osés et plutôt en bas de la ceinture dans certains cas. Relax du groupe Frankie Goes to Hollywood en est le meilleur exemple, avec ses paroles très explicites à propos d’une éjaculation qui lui ont valu à l’époque un bannissement de la BBC. A savoir qu’un certain nombre de chansons ont subi la censure étatique en Angleterre, que ce soit durant ou bien après leur sortie comme cela a été le cas lors de la Guerre du Golfe. Killing An Arab de the Cure, qui est une référence au passage le plus célèbre de l’Etranger d’ Albert Camus, a par exemple été censurée presque dix ans après sa sortie.

Mais la New Wave va au-delà du message purement politique, c’est aussi un état d’esprit, à la fois festif et désabusé. On a une sensation assez étrange en écoutant ces chansons, comme s’il fallait continuer de danser malgré une ambiance peu propice à la bamboche. J’appelle ça la distanciation ironique, lorsque les paroles sont en décalage complet avec l’instrumentale. C’est par exemple quand Morrissey des Smiths se déhanche comme jamais tout en chantant que le paradis sait qu’il est misérable. Ou quand Curt Smith des Tears For Fears sur fond d’une musique beaucoup trop entraînante chante que les rêves dans lesquels il meurt sont les meilleurs qu’il n’a jamais eus. Cette ironie teintée d’hédonisme imprègne vraiment toute la mouvance et permet encore une fois cette ambiance si particulière. 

Influences et échos :

Ce sentiment de fête au milieu du brouillard d’incertitude, il prend un peu partout en Europe mais surtout aux Etats-Unis, on parle même de Seconde Invasion Britannique (la première datant des années 60 avec un certain groupe pas très connu : les Beatles). Comme en Angleterre, le conservatisme y est de nouveau au pouvoir, personnifié par Ronald Reagan. Celui-ci applique à la manière de Thatcher une politique libérale poussée à l’extrême avec les effets qu’on lui connaît. Le succès de la New Wave chez l’oncle Sam n’est donc pas étonnant. On retrouve même cette distanciation ironique chez certains artistes américains, comme Madonna et son tube Material Girl. 

La popularisation du genre au Etats-Unis coïncide de plus avec la création de MTV en 1981. Celui-ci va réellement se concrétiser sur la chaîne musicale, le tout premier clip vidéo diffusé sur la jeune chaîne est d’ailleurs Video Killed The Radio Star des Buggles, un groupe britannique de New Wave. Preuve de l’importance donnée à l’esthétique, puisque MTV a contribué à la valorisation des clips vidéo qui deviennent plus que de simples outils promotionnels à partir des années 80 et participent à rendre les chansons encore plus mémorables.

Et même musicalement, l’héritage de la New Wave est loin d’être négligeable. D’abord avec la pléthore de sous-genres qu’elle a engendrée. Le rock gothique représenté à ses débuts par the Cure et Siouxsie and the Banshees, la cold wave initiée entre autres par Joy Division (pensez au groupe biélorusse Molchat Doma), la synthwave que l’on connaît aujourd’hui grâce à Kavinsky et la bande-son de Drive, la dream pop, le shoegaze, et tant d’autres. En bref tout ce qui fait le bonheur des amateurs de musique indie. Mais son influence va au-delà des cercles alternatifs qui s’en servent comme source d’inspiration, la musique au sens large en est également très friande. Soft Cell est samplé par Rihanna, Depeche Mode est repris par un large spectre d’artistes allant de Johnny Cash à Rammstein et le nombre de remixes de « Sweet Dreams Are Made of This » de Eurythmics doit dépasser le nombre d’habitants du village de Fontenu dans le Jura. 

J’observe aussi ces dernières années une certaine résurgence des codes musicaux de la New Wave et de la musique des années 80, avec des chansons aux basses rythmiques très marquées et reposant beaucoup sur des gimmicks comme récemment chez The Weeknd ou Dua Lipa par exemple. 

 

C’est un phénomène qui je pense s’explique certes par la nostalgie mais peut-être aussi par le fait que nos angoisses actuelles et nos révoltes rejoignent celles de l’époque. Le sentiment d’incertitude est grandissant, surtout pour notre génération. J’ai l’impression que l’on a passé un cap dans la musique et la culture de nos jours, on a conscience que le monde va mal mais on veut tout de même continuer à danser. En bref, à sentir la pluie comme un été anglais.

 

Playlist : 

https://www.youtube.com/playlist?list=PLVErcNpMWpNeZCTdFy7cMcSwo-qdbEAvt

 

 

Sources :
  • Podcasts : 

Radio France, Pop N’Co Depeche Mode, 1981-1990 : la bande son des années Thatcher (diffusé le 13/11/2021 sur France Inter) : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/pop-n-co/pop-n-co-du-samedi-13-novembre-2021-9021035

Radio France, Pop N’ Cure, le bon remède (diffusé le 14/05/2022 sur France Inter) : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/pop-n-co/pop-n-co-du-samedi-14-mai-2022-9927268

  • Wikipédia :

New Wave : https://fr.wikipedia.org/wiki/New_wave?tableofcontents=1

Révolution conservatrice (sens moderne) :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Révolution_conservatrice_(sens_moderne)

MTV (Etats-Unis) : https://fr.wikipedia.org/wiki/MTV_(%C3%89tats-Unis)

Clip : https://fr.wikipedia.org/wiki/Clip

  • Articles :

Le Monde Diplomatique, Les années Thatcher : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/95/PIRONET/18664

Le Monde Diplomatique, Les années Reagan : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/95/PIRONET/16543

Geo, Quels sont les plus grands chocs pétroliers de l’Histoire ? : https://www.geo.fr/histoire/les-grands-chocs-petroliers-de-lhistoire-205462

  • Genius :

The Specials, Ghost Town : https://genius.com/The-specials-ghost-town-lyrics

Depeche Mode, Everything Counts : https://genius.com/Depeche-mode-everything-counts-lyrics

Madonna, Material Girl : https://genius.com/Madonna-material-girl-lyrics

Frankie Goes To Hollywood, Relax : https://genius.com/Frankie-goes-to-hollywood-relax-lyrics

  • Source Image : stockolib
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