La musique classique fait partie de mon capital culturel. Je la pratique et la consomme depuis plus de dix ans. Coutumière des concerts de classique, dernièrement j’ai remarqué quelque chose de particulier : j’ai souvent tendance à ne pas tolérer certains aspects du public, surtout en ce qui concerne les applaudissements.
En effet, ça n’a l’air de rien dit comme ça mais applaudir à un concert de classique est tout un art. Du moins c’est ce qu’on me fait croire depuis l’enfance. Après coup, en repensant à ce concert où j’étais agacée par ces gens osant applaudir entre les mouvements, je me suis finalement dit : « Est-ce vraiment si grave ? ».
Parce qu’en y réfléchissant, ces règles de bienséance je ne les ai jamais réellement apprises, juste assimilées au fil du temps. Mais le plus important, c’est que l’on ne m’a jamais expliqué d’où venaient ces règles et pourquoi les applique-on. La musicienne en moi serait tentée de dire que c’est pour apprécier le silence, qui est tout aussi primordial que le son en musique, ou encore de montrer du respect à l’égard des musiciens.
Mais il n’en est rien, car lorsque l’on remonte un peu dans le temps, on découvre que l’ambiance d’une salle de concert n’est pas du tout la même. A l’époque baroque (début du XVIIème siècle jusqu’au milieu du XVIIIème siècle), les concerts se jouent dans des églises ou chez des particuliers, la musique sert alors à ponctuer les repas et les discussions. On le retrouve également dans la période suivante, le classique, qui s’étend jusqu’au milieu du XIXème siècle, où les gens acclament les musiciens comme bon leur semblent et sont même encouragés par les compositeurs lors des représentations. Les Français, notamment les parisiens, sont d’ailleurs réputés comme étant un public particulièrement euphorique.
C’est lors de la période suivante que le changement d’ambiance s’opère. En effet, durant l’époque romantique, les compositeurs cherchent avant tout à émouvoir le public et pensent les pièces comme des œuvres complètes qu’il faut jouer sans pauses : Félix Mendelssohn souhaitait que sa 3ème symphonie soit jouée sans interruption. Richard Wagner imposait le silence et le noir complet dans sa salle car il considérait son œuvre comme sacrée.
Les salles parisiennes ont alors l’idée d’embaucher des personnes chargées de guider le public un peu bousculé dans ses habitudes : les claqueurs. Cette institution des claqueurs dure jusqu’au début du XXème siècle où l’on considère que le public est désormais mélomane et éduqué. Et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le phénomène s’amplifie. Cela peut s’expliquer par l’avènement de la radio et des disques où un morceau s’apprécie dans sa globalité et sans interruption, ce modèle d’écoute s’est donc appliqué aux concerts.
Ce qui est à la base un changement d’habitude du public dû à l’évolution de la musique semble surtout être un moyen d’exclure les non-initiés. Encore aujourd’hui, applaudir par mégarde devient une faute grave sévèrement punie par des regards désapprobateurs. Et en allant plus loin, ne serait-ce pas un moyen d’entretenir encore plus l’opposition entre la musique classique et la musique populaire ?
L’opposition est vaine tant les deux s’influencent sans cesse mutuellement depuis des siècles. Mais cette opposition persiste seulement pour servir l’idée qu’il existerait une musique légitime et l’autre pas.
Finalement, est-ce que c’est si grave cette histoire d’applaudissements ? Je ne pense pas, et l’on se doit d’être plus tolérant, moi la première. Il ne sert à rien de vouloir brimer des personnes qui s’ouvrent à un genre qu’ils n’écouteraient pas forcément en temps normal ou à des parents venus encourager leurs enfants dans leur passion. C’est normal de ne pas connaître ces règles sur le bout des doigts, d’une part car elles ne sont pas gravées dans le marbre – comme le sont celles d’un sport et d’une autre – car elles changent avec le public. Avec la récente démocratisation du classique, il ne serait pas étonnant que l’ambiance change pour quelque chose de moins austère et guindé. La musique, aussi savante qu’elle peut l’être, se vit et se ressent, il serait idiot de couper l’enthousiasme des gens.
Renaud Capuçon, grand violoniste français, disait en 2016 au micro de France Inter :
Quand quelqu’un applaudit entre les mouvements ça veut dire que ce sont des gens qui ne sont pas habitués, et que l’on a gagné un nouveau public. Si nous, les musiciens classiques, disons : « Attention il ne faut surtout pas applaudir », nous allons continuer à faire peur à ces gens qui n’osent pas venir au concert parce qu’il y a des abrutis qui pensent que c’est dangereux d’applaudir entre les mouvements. Applaudissez entre les mouvements, ça n’a aucune importance !