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vendredi 26 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

L’instrumentalisation islamophobe de la révolte des femmes iraniennes

Il y a un mois, Masha Amini, une jeune étudiante iranienne, est morte trois jours après son arrestation par la police des mœurs pour ne pas avoir porté son foulard de manière appropriée. 

Les proches de la victime accusent le gouvernement d’avoir diffusé une version erronée des faits qui n’incrimine pas les forces de l’ordre. En effet, les circonstances floues autour son décès laisseraient penser que Masha aurait succombé aux coups et blessures ayant eu lieu lors de son arrestation. 

Ce tragique événement a influé une flamme, d’ores et déjà naissante en Iran, de protestation contre le régime et ses lois oppressives, notamment en opposition à celles qui imposent un port obligatoire du hijab. 

Ce mouvement de libération de la condition des femmes iraniennes s’est propagé dans le monde entier, permettant à cette cause plus que nécessaire de prendre de l’ampleur. 

Néanmoins, comme chaque sujet d’actualité se rapportant au port du voile, ce mouvement a été détourné à travers une dialectique islamophobe à des fins politiques. 

 

Des lois régressives sous une couverture féministe

Le député des Républicains François Xavier Bellamy n’a pas hésité à utiliser la lutte des femmes iraniennes pour proposer le vote d’un amendement au Parlement Européen qui interdit aux institutions européennes de financer des campagnes qui promeuvent le hijab. 

Selon lui, le peuple iranien a “une leçon de courage à donner à l’Europe« , et il ne faudrait pas trahir les iraniennes en acceptant le voile dans nos sociétés. 

Il développe ensuite des arguments islamophobes, en expliquant que le Parlement devrait avoir honte et demander pardon aux femmes iraniennes d’avoir diffusé le message “la liberté est dans le hijab”, slogan créé dans le cadre d’une campagne contre les discriminations religieuses.

Cette proposition législative a été soutenue par le collectif féministe identitaire, Némésis. Ces militantes rappellent aussi que le Parlement Européen fait la “promotion d’un symbole d’oppression” tout en précisant leur soutien inconditionnel aux femmes iraniennes. 

Mais leur apporteraient-elles le même soutien en sachant que les femmes iraniennes ne sont pas contre le voile mais contre son port obligatoire ?

Les militantes iraniennes prennent justement la parole pour rejeter le discours des féministes islamophobes et repoussent ce type de soutien, nourri par des intérêts politiques d’extrême droite. 

D’autres féministes ont publiquement soutenu la résistance des iraniennes à travers un procédé de pensée discriminatoire. Par exemple, lors d’une récente interview d’Elisabeth Badinter, elle développe son opinion sur les récents événements.  

La philosophe émet un jugement sur ce qu’elle définit comme les “néo-féministes”, elle estime “ne pas être frappée par leurs indignations et pour une bonne raison :  elles défendent les filles voilées en France”. Selon sa dialectique, ne pas être contre le port du voile c’est ne pas soutenir la cause des femmes iraniennes. Cette vision généralisatrice diabolise le voile et infantilise les femmes voilées qui sont réduites par ce mouvement de féminisme universaliste à un combat de laïcité pour garantir les valeurs de la République. 

 

La libération des femmes voilées : un héritage colonial

Les femmes musulmanes voilées n’ont pas besoin d’être sauvées par les courants de pensées du féminisme blanc universaliste (ou “white feminism”) pour vivre librement.
Par ce discours, Elisabeth Badinter contribue à la reproduction des mécanismes orientalistes de l’époque coloniale, où les Etats Occidentaux luttaient pour “la libération des femmes voilées » de manière violente, notamment avec des rituels de dévoilement des femmes dans les rues des territoires colonisés. 

C’est ce mécanisme qui a été théorisé par Edward Saïd dans son ouvrage L’orientalisme : l’Orient créé par l’Occident. Selon l’auteur, les disciplines culturelles qui paraissent neutres et apolitiques reposent sur une histoire tout à fait sordide de l’idéologie impérialiste et de pratique colonialiste.

En France, la discipline culturelle souvent utilisée pour justifier la croisade politique contre le voile depuis des décennies, est celle du respect de la laïcité dans la continuité du mouvement des philosophes des Lumières.
Mais cette vision de laïcité est liberticide pour une catégorie de la population, et nuit à leur intégration dans la société, tout en les désignant comme coupables et responsables de reproduire un schéma oppressif. 

Une femme qui défend ou qui porte le voile n’est pas complice et ne soutient aucunement un régime totalitaire et répressif. L’existence des femmes voilées ne trahit pas la lutte féministe, bien au contraire, leur présence dans les milieux féministes permet de renforcer l’intersectionnalité et élargir la convergence des luttes. 

Ces prétendues féministes ne sont pas les seules à avoir utilisé la révolte iranienne pour critiquer le voile en France : certaines personnalités politiques, pourtant bien connues pour leur positionnement misogyne, se sont miraculeusement réinventées comme défenseuses de la cause des femmes. 

 

L’extrême droite : la liberté des femmes à géométrie variable

Eric Zemmour a bien évidemment saisi l’occasion pour attaquer ses adversaires politiques car selon lui “La gauche défend le droit de porter le voile partout. Mais en Iran, elle explique que c’est formidable de l’enlever. Il faut choisir !”. Mais ce que M. Zemmour ne saisit pas dans ce combat, c’est qu’il n’y a pas de choix à faire. Les femmes françaises n’ont pas besoin de retirer leur voile pour prouver leur soutien aux femmes iraniennes. 

L’extrême droite a réussi à créer un mythe d’un islam politique en France qui pousserait, comme en Iran, les femmes à se voiler de force. La juriste Louise El Yafi partage l’avis d’Eric Zemmour et clame que “le voile porté par les Françaises est le même que celui que brûlent les Iraniennes”.

Mais mettre l’état du voile en France au même niveau de dangerosité qu’en Iran, comme s’il s’immiscait dans nos sociétés françaises à travers un agenda islamiste, est sociologiquement et politiquement erroné.
En effet, l’Iran est aujourd’hui une théocratie, au régime répressif, qui dresse des mesures étatiques de contrôle du port du voile, renforçant une idéologie violente et liberticide mettant en danger la population. 

La France, quant à elle, est un pays laïque et démocratique qui n’a aucune idéologie religieuse sous-jacente qui contrôlerait les femmes, mais les hommes et femmes politiques d’extrême droite ont réussi à monter de toute pièce un prétendu mirage des islamistes prêts à voiler chaque Française. 

 

En France comme en Iran, une misogynie qui persiste

La propagation de ces idéaux entraîne des prises de positions surréalistes de certains Français, comme cela a été le cas pour un auditeur qui s’est exprimé à Sud Radio lors d’une émission de Jean Jacques Bourdin. Selon lui : “en France, nous avons aussi une police religieuse assurée par les pères et les frères de confession musulmane”. Il continue en ajoutant qu’il regrette “la disparition des beurettes, si jolies, qui avaient les cheveux longs et avec qui on pouvait sortir” 

Tous les hommes musulmans français sont alors grossièrement comparés à la police des mœurs iranienne,  meurtriers de Masha Amini, et les femmes musulmanes sont une nouvelle fois victimes d’un fétichisme orientaliste en les définissant comme des “beurettes” qui ne seraient plus à la libre disposition des autres hommes à cause du contrôle des figures masculines de leur famille. 

 

Le patriarcat :  au delà des frontières iraniennes

Cet auditeur, pensant défendre la liberté des femmes, renforce des idéaux sexistes et racistes qui viennent d’autant plus nuire à la lutte féministe, car la lutte contre le patriarcat n’a pas de frontières. En Iran comme en France, elle prend forme et se manifeste à travers des combats qui ont une source différente, mais une origine indissociable. 

Les politiques français dénoncent l’imposition du port du voile en Iran mais militent pour imposer aux femmes de le retirer en France. 

Une remise en question des lois sur le voile est plus que nécessaire pour l’avancée des droits des femmes dans la société française. L’Occident doit déconstruire son opinion sur le voile, qui a été instrumentalisé autour d’une vision coloniale qui suggèrerait qu’une femme voilée ne peut pas être libre et qu’elle serait nécessairement sous une emprise religieuse. 

Car comment une loi répressive serait libératrice en France mais meurtrière en Iran ?

La laïcité ne peut plus être manipulée à des fins politiques, anti-religieuses, qui finissent par effacer la place des femmes voilées en France progressivement. 

 

Islamophobes : hors de nos luttes

Vous soutenez le mouvement des Iraniennes mais vous êtes pour l’interdiction du port du voile pour les agents des services publics ? Vous n’êtes pas du côté des femmes iraniennes. 

Vous vous auto-proclamez féministe mais vous pensez que la place du voile est “à la maison”? Vous n’êtes pas du côté des femmes iraniennes. 

Vous n’êtes pas révolté par l’interdiction du burkini mais vous êtes allez manifester pour qu’en Iran les femmes puissent retirer leur voile ? Vous n’êtes pas du côté des femmes iraniennes. 

Vous êtes scandalisé par la violence de la police iranienne envers Masha Amani mais vous n’avez pas réagi lorsque deux femmes voilées en France se sont fait violenter par les forces de l’ordre ? Vous n’êtes pas du côté des femmes iraniennes. 

Soutenir des lois qui ont été imposées par des hommes occidentaux, c’est être du côté de l’oppresseur. 

Ce mouvement féministe se doit d’être anti-impérialiste, tolérant et intersectionnel. 

Il n’y a pas de place pour l’islamophobie politique dans les révoltes des femmes.
L’islam et le féminisme peuvent cohabiter, les iraniennes ne se battent pas contre l’islam ou contre le principe du voile. Elles se battent pour leur choix. Elles se battent contre le régime patriarcal. 

La lutte n’est pas pour ou contre le voile.
Elle est pour les femmes. 

Pour leur dignité. 

Pour leur liberté. 

Sources :
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