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mercredi 24 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

L’instrumentalisation du féminisme par les candidat·e·s à l’élection présidentielle française

La date symbolique du 8 mars est arrivée quasiment un mois avant le premier tour des élections présidentielles, et c’était l’occasion parfaite pour les candidat·e·s de mettre en avant leur programme, mais aussi leurs opinions sur les problématiques liées aux droits des femmes. 

L’égalité femmes-hommes était supposée être “la grande cause du quinquennat » d’Emmanuel Macron, et il renouvelle sa promesse en précisant que cette thématique sera “de nouveau” au centre de son mandat.
Cette promesse électorale provoque un rire jaune des associations féministes qui rappellent le bilan désastreux de Macron en matière de féminisme.
Nous allons décortiquer ensemble le profil, le discours et les actions des candidat·e·s qui relèvent souvent une instrumentalisation de la lutte féministe à des fins politiques. 

 

Emmanuel Macron : grande cause mais petit résultat

En surface, on pourrait croire que le gouvernement macroniste a respecté sa promesse , avec une parité des ministres, et une augmentation du budget alloué aux droits des femmes, des transformations dans les procédures de plaintes pour les victimes de violences sexistes et sexuelles.
Mais en se penchant sur la réalité de ces mesures, on découvre que, certes, 50% des postes de ministres sont tenus par des femmes, mais les places de pouvoir restent dominées par la gente masculine, et l’on constate que 80% des cabinets ministériels sont dirigés par des hommes. 

Avant son élection, Emmanuel Macron avait exprimé son souhait “ que sa première ministre soit une femme” : durant ces cinq ans, le poste de premier ministre était à pourvoir deux fois, mais ce furent Edouard Philipe et Jean Castex qui l’ont occupé. 

Quant à la hausse du budget du Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, il reste dérisoire par rapport aux ressources de l’Etat, passant de 27 millions à 50 millions d’euros, représentant 0.01% du budget étatique.
En comparaison, lors de sa dernière allocution concernant la position de la France face à la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron précise qu’en moyenne le budget militaire était de 39.6 milliards d’euros par an.
Les 23 millions d’augmentation du budget de la “grande cause du quinquennat” paraissent assez faibles aux côtés de ces sommes astronomiques en matière de défense militaire.

Vis-à-vis des mesures concernant les violences sexistes et sexuelles, la nomination de Gérald Darmanin, accusé plusieurs fois de viol, au Ministère de l’intérieur, pour s’emparer des problématiques des dépots de plaintes de viols et d’agressions sexuelles au commissariat, fût la cerise sur le gâteau de l’ironie de ce mandat.
Il présente un nouveau système encore plus stigmatisant, avec un principe de couleur de file d’attente, les victimes devront se tenir derrière un rond orange si elles ont été victimes de viols ou de violences sexistes ou sexuelles.
Une incompréhension totale de la détresse, rendant encore plus difficile le dépôt de plainte pour les victimes. 

Emmanuel Macron met alors au main de personnes incompétentes le sort de millions de Françaises et promet de “renouveler cette grande cause”. Il n’exclut d’ailleurs pas la possibilité que la candidate Valérie Pécresse fasse partie de son gouvernement. Une proposition d’apparence féministe, mais en s’intéressant au programme de Pécresse on comprends que mettre cette femme au pouvoir n’améliorera pas nécessairement la condition des droits des femmes. 

 

Valérie Pécresse : femme ne veut pas dire féministe

S’imposant comme la première femme désignée comme candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse se présente comme le symbole de la femme française, avec des visuels de campagne où son visage se confondrait presque avec celui de Marianne. Elle prend position sur les problématiques de violences sexistes et sexuelles, qu’elle dit avoir elle-même subi lors d’un bizutage à HEC.
Derrière cet élan d’engagement pour le droit des femmes, se cache un féminisme blanc dangereux, qui exclut les femmes issues de minorités éthniques et religieuses. Lors d’un discours, elle clame que “le voile est un signe de soumission, moi présidente, aucune femmes ne sera soumise. Marianne n’est pas une femme voilée”. 

Ces propos islamophobes s’accompagnent d’un programme tout aussi discriminatoire pour les femmes musulmanes, avec sans étonnement l’interdiction du burkini, l’interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires mais aussi une mesure très vague qui interdit le port du voile dit “forcé”.
Valérie Pécresse utilise le féminisme pour justifier cet agenda de “libération des femmes”, un projet politique similaire aux anciennes mesures colonisatrices dans les pays arabo-musulmans, où l’un des objectifs des colons était de “libérer les femmes de soumission du voile.” 

Les femmes musulmanes ne sont pas les seules qui pourront subir la politique discriminatoire de Valérie Pécresse, la candidate instrumentalise également les problématiques de harcèlement et d’agression des femmes dans la rue. Dans un tweet elle déclare que “dans beaucoup de quartiers d’Ile de France les femmes évitent l’espace public” ; elle continue en comparant les quartiers à un “véritable apartheid urbain”. Ces propos violents et stigmatisants diabolisent les hommes issus des quartiers et les désignent comme les responsables de l’insécurité des femmes.
Au lieu de critiquer tout un système misogyne qu’il faut combattre avec de la prévention et de l’éducation, Valérie Pécresse assimile cette violence faite aux femmes aux hommes présents dans les quartiers. On comprend que le harcèlement n’est qu’un prétexte pour, comme elle le dit “ressortir le Karcher de la cave et nettoyer les quartiers”.  

Une autre candidate qui utilise les mêmes rhétoriques discriminatoires sous prétexte de la défense des droits des femmes est Marine Le Pen. 

 

Marine Le Pen : un fémonationalisme manipulateur

Récemment lors d’une interview avec Brut, Marine Le Pen répond à la question “Etes vous féministe?” par l’affirmative, tout en précisant qu’elle n’est ni “néo-féministe” ni pour “la haine des hommes”. 

Mais la revendication publique de son engagement pour le droit des femmes, n’est qu’une façade qui cache les idées historiquement misogynes de son parti, le Rassemblement National (RN). 

Au Parlement européen, les membres du parti ont systématiquement voté contre tous les textes portant sur l’égalité des genres, que ce soit contre des lois pour la parité ou des lois luttant contre la discrimination salariale des femmes, mais aussi l’opposition ferme à l’accès à la PMA pour toutes. Dans une interview pour Brut, Marine Le Pen explique son désaccord par le fait “que laisser écrire sur un acte d’état civil que l’enfant a deux mères est un mensonge d’Etat. Tout en se proclamant féministe, elle néglige les droits des femmes en couple à avoir accès à leur droit à l’enfant. 

Cet agenda politique se voulant féministe est particulièrement dangereux pour les minorités, et l’une des minorités les plus visées par la politique du RN sont les migrant·e·s, mais Marine Le Pen justifie les décisions de voter contre les lois pour l’égalité des genres par le fait que “l’intégralité des lois qui défendent les droits des femmes sont en réalité truffées de mesures pour aider les migrant·e·s et donc nous y sommes opposé·e·s”. 

Ce complotisme sur les politiques migratoires est l’outil principal de son idéologie féministe, qui peut se définir par le terme de fémonationalisme, développé par la chercheuse Sara R. Farris, qui désigne l’intrumentalisation par les nationalistes, néolibéraux, islamophobes et fémocrates d’un discours féministe à des fins électorales”

Les membres du RN justifient les violences faites aux femmes par la présence d’hommes migrants sur le territoire français.
La présidente du parti écrit dans une tribune “j’ai peur que la crise migratoire signe le début de la fin des droits des femmes”, suite à la vague d’agressions sexuelles et de viols la nuit du nouvel an de 2016 à Cologne en Allemagne. 

Marine Le Pen mentionne le sujet du féminisme, dans le seul but d’utiliser la souffrance des femmes pour accuser comme uniques responsables les flux migratoires.
Tandis qu’en réalité, selon une enquête du Collectif féministe contre le viol, près de 80% des agresseur·se·s font parti du cercle proche de la victime. L’idée transmise par les politicien·ne·s d’extrême qui sous-entend qu’un pays sans migrant·e·s est un pays sans agresseur·se·s est donc totalement faussée et purement xénophobe et discriminatoire.

Sa politique qui se veut féministe stigmatise aussi les femmes musulmanes voilées, Marine Le Pen qualifie le voile “d’une régression pour les libertés des femmes et il faut y imposer des limites”. 

L’opposition obsessionnelle au voile ne fait pas uniquement partie de la politique du Rassemblement National, le président du parti Reconquête, Eric Zemmour, reste un des leaders des discours fémonationalistes mais aussi d’innombrables comportements sexistes et problématiques. 

 

Eric Zemmour : un danger pour les femmes

Entre huit accusations d’agressions sexuelles et un nombre incalculable de remarques ouvertement sexistes, un paragraphe ne sera guère suffisant pour résumer le profil misogyne d’Eric Zemmour. 

Lors d’un meeting, après qu’un journaliste lui ait demandé une réaction face à toutes ces accusations, il se justifie d’une manière assez comique en rétorquant “cela surprendrait beaucoup de nos ami·e·s néo féministes mais à la maison je fais la vaisselle, je trie les poubelles, j’adore faire mes courses !”

Une réponse assez disproportionnée face à des accusations de violences sexistes et sexuelles, mais ce n’est pas la seule fois où Eric Zemmour a osé se présenter comme un défenseur de l’égalité des genres. 

Mais la majorité des femmes n’est pas favorable à une défense de sa part : en effet, selon un sondage de l’IFOP, 66% des Françaises déclarent qu’elles auraient peur pour leurs droits si Eric Zemmour était élu. Face à ce chiffre alarmant, le candidat scande une manipulation, que les femmes ont tort d’avoir peur et qu’il est “le défenseur le plus avisé de leurs droits, de leurs libertés et de leur sécurité’”. 

Pourtant, si l’on s’intéresse à son programme, la plupart des propositions mentionnant la protection des femmes concernent essentiellement des mesures anti-migratoires, tout comme Valérie Pécresse et Marine Le Pen. Il instrumentalise les violences faites aux femmes et la cause féministe et n’a aucune réponse autre que la lutte contre l’immigration comme solution pour diminuer les violences. Lors d’une interview pour ELLE, la journaliste rappelle à Eric Zemmour que la quasi-totalité des féminicides sont perpétrés par des hommes Français, et, démuni d’argument, sa seule réponse fût “Mais regardez le climat d’insécurité général chez les femmes”. 

L’autre moitié de son programme qui ne traite pas l’immigration, a pour but d’appliquer une politique nataliste, avec une priorité d’indemnité aux mères françaises. Un délaissement total de toute autre problématique d’inégalité salariale ou de parité qu’il estime “humiliante pour les femmes”

Eric Zemmour est l’incarnation d’une politique hypocrite, qui prétend comprendre la souffrance des femmes dans l’unique but de parvenir à ses mesures racistes et xénophobes, tout en ayant un discours et un comportement profondément misogynes et dangereux pour les femmes. 

 

Jean Lassalle : l’absent de la cause féministe

Le candidat a, comme Eric Zemmour, été accusé de comportements sexistes et même d’agressions sexuelles, mais Jean Lassalle nie cependant les faits. 

Mis à part ces graves accusations, son programme électoral reste quasiment vide de toute proposition à l’égard des droits des femmes, mis à part un souhait de lutter contre les inégalités salariales. Aucune autre mesure n’est comprise dans ses projets. 

 

Yannick Jadot et Anne Hidalgo : un “feminist washing”

Yannick Jadot, quant à lui, enchaîne les prises de positions féministes dans les médias, mais il frôle néanmoins quelquefois les clichés. Lors de son interview avec ELLE où, à la Eric Zemmour et son lavage de vaisselle, Yannick Jadot a affirmé “repasser les chemises à la maison”

Des commentaires qui tentent de prouver de manière forcée une répartition des tâches ménagères, mais le comportement paritaire des hommes politiques dans la sphère privée ne rime pas avec une politique féministe. 

Certaines associations féministes l’accusent de feminist-washing, soit le fait de mettre en avant un combat pour les femmes dans l’unique but d’attirer les électeurs et électrices sensibilisé·e·s à cette cause. 

D’un autre côté, on retrouve Anne Hidalgo, qui affirme que son premier engagement fût le féminisme, et qu’elle continue à l’exercer à travers sa politique. Néanmoins elle reste réticente à l’idée d’un féminisme plus radical, mis en avant par des minorités de femmes engagées. 

Elle critique la position anti-patriarcale de la militante Alice Coffin, autrice de l’ ouvrage Le Génie lesbien, et lui reproche de ne pas se battre pour l’égalité des droits, d’exclure les hommes et de militer pour une suprématie des femmes. 

Ce n’était pas l’unique fois où Anne Hidalgo s’est placée en défaveur des idées de certaines femmes minoritaires : après une pression médiatique et politique de l’extrême droite, elle avait modifié le programme du festival afroféministe Nyansapo à Paris, où les organisatrices ont souhaité être en non-mixité choisie, soit sans personnes blanches. 

La candidate avait fermement condamné cette volonté d’avoir un espace réservé aux femmes noires pour échanger des problématiques féministes entre femmes concernées. 

Anne Hidalgo se dresse le portrait d’une éternelle féministe tout en étant opposée à des formes de féminisme plus progressistes, ouvertes aux minorités, elle ne s’adresse donc pas à la totalité des Françaises à travers son programme de défense des droits des femmes. 

 

Nicolas Dupont Aignan, Nathalie Arthaud et Fabien Roussel : un féminisme qui divise

Joindre ces trois candidats opposé·e·s dans l’échiquier politique pourrait étonner, néanmoins tou·te·s ont porté des propos qui divisent les femmes et les féministes.
Nicolas Dupont-Aignan précise notamment qu’il souhaite bannir le voile, qu’il qualifie de “prison textile”, une comparaison et une mesure qui s’avèrent totalement stigmatisantes, à l’encontre du choix des femmes et de leur liberté individuelle, qui constitue les principes mêmes du féminisme. 

Pour Nathalie Arthaud, “le voile est une oppression et un symbole de soumission”, elle se définit pourtant comme féministe et défenseuse des libertés des femmes, mais rejette et stigmatise une minorité déjà oppressée par l’extrême droite et la droite en politique.
Elle estime que “l’athéisme est le socle du communisme” et que les femmes voilées sont soumises à Dieu et ne peuvent pas être “maître de leur destin”. Ces généralités et cette réduction vont totalement à l’encontre des idéaux censés être partagés par la lutte ouvrière, qui devrait être ouverte à tou·te·s citoyen·ne·s anticapitalistes. Mais elle rappelle que les femmes voilées peuvent “bien évidemment la soutenir dans sa campagne”
Elle exclut donc catégoriquement les femmes musulmanes voilées de sa révolution sociale, tout en acceptant par opportunisme leur soutien électoral.

Pour rester dans la lutte communiste, Fabien Roussel tente de rassembler le soutien des femmes françaises et met en avant son programme en rappelant que “l’heure de la révolution féministe est arrivée”. Cependant, lors d’une interview pour ELLE, il explique que selon lui “le courant intersectionnel divise les femmes” : ces propos reflètent un manque de renseignement sur les théories des différents courants féministes. En effet, l’intersectionnalité se définit par le fait de prendre en compte toutes les formes de discrimination subies dans la société afin de s’unir dans un même combat. 

Soit l’inverse total d’une dite division des femmes. Fabien Roussel proclame donc une opinion vide d’approfondissement et qui montre une incompréhension du mouvement féministe. 

 

Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou : des promesses sans actions concrètes

Jean-Luc Mélenchon s’est récemment vanté sur Twitter d’avoir été noté par l’association Osez le féminisme comme le candidat le plus féministe. Une notation plutôt subjective, car le collectif fait tout de même débat au sein des milieux militants féministes, accusé de transphobie, d’islamophobie et d’opposition des travailleu·se·s du sexe. L’association n’est donc pas un badge de fierté féministe à afficher.
L’écrivaine Rokhaya Diallo explique que “Osez le féminisme comme tout institution reste très blanc et bourgeois” et que les femmes voilées, musulmanes et racisées ne seraient pas certaines d’avoir une place au sein de cette association. 

Leur opinion sur le voile reste similaire à celle de Jean-Luc Mélenchon en 2010 qui considérait qu’il s’agissait d’un “signe de soumission des femmes”. 

L’avis de Mélenchon sur le port du voile a évolué depuis plus de dix ans, mais il en reste que tout de même, être qualifié de féministe par une association ne signifie pas que l’on est irréprochable sur les thématiques de droit des femmes. 

Lors de l’émission Elysée 2022 sur France 2, Jean-Luc Mélenchon a mentionné le sujet des violences sexistes et sexuelles pendant une minute, pour un total 2h20 d’antenne. 

Il y a donc un énorme fossé entre les volontés d’action pour le droit des femmes et la verbalisation publique de cette problématique dans les médias. 

Un autre candidat s’étant exprimé dans un média sur le sujet du féminisme, fût Philippe Poutou, qui en 2017 avait annoncé qu’il ne se représenterait pas. Dans une interview avec Hugo Décrypte, il répond à son ancienne annonce de démission politique, en précisant qu’il souhaitait à l’origine qu’une candidate du Nouveau Parti Anticapitaliste prenne sa place dans la course électorale. Néanmoins, en raison de complications liées à la crise sanitaire et à la difficulté de rassembler les parrainages, ce projet d’une candidate à la tête du parti n’a pas abouti. 

Des promesses de mise en avant des femmes en politique sont affirmées par le candidat, mais l’on continue tout de même à voir des têtes d’affiche masculines similaires à chaque présidentielle. 

 

Ce résumé des positions féministes dans les programmes des candidat·e·s montre la dangerosité d’instrumentaliser cette cause, et l’hypocrisie de certain·e·s candidat·e·s de tenir des propos et des comportements misogynes tout en s’imposant comme défenseur·se·s des droits des femmes. 

De l’extrême droite à l’extrême gauche, les femmes issues des minorités ethniques et religieuses continuent d’être exclues et méprisées des programmes féministes, qui s’adressent majoritairement à une population privilégiée des femmes françaises. 

Un changement est nécessaire, et l’engagement politique a urgemment besoin de plus de représentativité par des personnes concernées et compétentes, afin d’adresser et proposer des mesures concrètes et réalistes concernant la lutte pour les droits des femmes, malheureusement loin d’être acquise.

 

Sources :
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