Le terme « Sámi » désigne les peuples autochtones du nord de la Scandinavie, établis au nord de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, et sur la péninsule de Kola en Russie. Désignée sous le nom de « Sápmi », cette zone compterait entre 80 000 et 100 000 autochtones, dont 20 000 à 40 000 sur le territoire suédois ; l’identité Sámi reposant sur un critère d’autoidentification culturelle, il est difficile d’estimer leur nombre avec précision. En Suède, les relations avec ces peuples ont accompagné l’histoire, et constituent encore aujourd’hui une question politique et sociale en constante évolution.
Qui sont les Sámi ?
Les origines du peuple Sámi remontent à environ 10 000 avant J-C, lorsque la fonte de la calotte glaciaire permit à des populations de chasseurs-cueilleurs de s’installer au nord de la Scandinavie actuelle. On trouve mention écrite de l’existence de sociétés nomades dans ces régions reculées dès 98 avant J-C. À cette époque, leur vie s’organise autour de la chasse, de la pêche et du duodji, un artisanat exploitant les ressources naturelles (bois de bouleau, écorce, cuir, bois de renne…). La chasse et le développement de l’élevage de rennes en transhumance leur fournissent d’épaisses peaux animales, qu’ils revêtent pour se protéger du froid. À l’ère Viking, des relations commerciales avec les populations nordiques s’établissent autour de leur savoir-faire ; les peuples Sámi sont ainsi peu à peu intégrés aux contes, poèmes et chroniques islandaises et norvégiennes.
Au fil du temps se forment des cultures Sámi qui, bien qu’ayant une base commune, varient en fonction des territoires. On a notamment conservé la connaissance d’une religion Sámi, dont la pratique ancestrale a aujourd’hui disparu. Ces croyances s’appuyaient sur une nature souveraine (la terre et l’eau étant considérés et respectés comme des êtres vivants) et l’existence d’un monde spirituel, lié au monde humain par les transes extatiques des chamanes (les noaide). Les idiomes Sámi, appartenant à la famille des langues finno-ougriennes, ont également été entretenus jusqu’à nos jours. On distingue aujourd’hui neuf aires linguistiques (dont celles du Sámi du sud, de Lule, de Pite, d’Ulme et du nord en Suède) pour 30 000 locuteurs. Récits oraux, costumes de peaux colorées, chant traditionnel yoïk et bien d’autres aspects complètent la variété de ces cultures.
À partir du XIVème siècle, les rois suédois commencent à revendiquer des droits sur la région Sápmi, et en encouragent la colonisation. Des impôts en nature sont prélevés par les États des pays nordiques et par la Russie sur certaines populations ; en 1526, le roi Gustav Vasa déclare que la loi suédoise s’applique en Laponie. Les droits accordés aux locaux sont cependant violés par les colons, tandis que s’organise l’expulsion des Sámi habitant des territoires non lapons. Dès le XVIIème siècle, les gouvernements nordiques accompagnent leurs efforts de conquête d’un processus de christianisation. L’obligation d’assister aux offices religieux va alors de pair avec l’interdiction de pratiquer les rites traditionnels, notamment la vénération des ancêtres, très chère aux Sámi. Amendes, emprisonnements, incinération de tambours rituels, saccage des lieux sacrés : la conversion est violente, et écrase lentement la religion traditionnelle.
La colonisation s’intensifie au XIXème siècle, avec les nouveaux enjeux de l’industrialisation. Le développement de l’hydroélectricité a lieu au détriment des droits territoriaux des Sámi, dont l’environnement se détériore. La transformation du paysage a d’importantes conséquences sur leurs activités (élevage de rennes, pêche, récolte de baies…), tandis qu’assimilation et discriminations (notamment dans les « écoles nomades » pour enfants Sámi) se poursuivent, au nom du progrès et d’une unité linguistique et culturelle scandinave.
Ce n’est qu’à la deuxième moitié du XXème siècle, lorsqu’apparaissent les premiers débats internationaux autour des populations minoritaires, qu’est véritablement remis en question le traitement des peuples Sámi en Suède. Leur reconnaissance en tant que peuple autochtone par le Parlement advient en 1977 ; s’ensuit une enquête sur leurs droits (lancée en 1982), qui débouche sur la création d’un Parlement Sámi en 1993.
Quelle relations les Sámi entretiennent-ils aujourd’hui avec la Suède ?
Interview de M. Torbjörn Söder, maître de conférences en langues finno-ougriennes et enseignant-chercheur en linguistique du Sámi du Nord et du Sud à l’université d’Uppsala (traduit de l’anglais).
- Les peuples Sámi vivant sur le territoire suédois ont-ils des particularités par rapport aux Sámi d’autres régions (Laponie norvégienne, Russie…) ?
Il est difficile de répondre à cette question, car la culture Sámi est variée. À bien des égards, les cultures Sámi régionales ont beaucoup en commun. Toutefois, comme les régions Sápmi (également définies en tant que zones dialectales ou linguistiques) ne suivent pas les frontières nationales, il serait plus approprié de mettre en contraste les cultures des Sámi du Nord et du Sud, qui, outre l’aspect linguistique, présentent également des caractéristiques culturelles différentes. Le Sámi du Sud se parle en Norvège et en Suède, tandis que le Sámi du Nord se parle en Norvège, en Finlande et en Suède. Il est cependant possible de discerner des différences liées aux frontières nationales. Par exemple, la culture Sámi en Russie a été fortement influencée par la culture russe, ce qui n’est pas le cas en Suède.
- Selon vous, quels facteurs ont permis de préserver la culture Sámi ? De nos jours, diriez-vous qu’il existe une forte identité Sámi ?
Bien qu’il y ait eu de fortes pressions de la part des États scandinaves à l’assimilation des Sàmi à la population majoritaire, leur identité (qui comprend les moyens de subsistance traditionnels, la langue et les expressions culturelles) a été suffisamment forte pour préserver et développer leur culture. Cependant, le tableau est complexe et, dans certaines régions, la culture et l’identité Sámi locales ont été gravement détériorées. Il est assez courant aujourd’hui que des suédois se découvrent une ascendance Sámi que leurs ancêtres ont à un moment donné caché, au profit d’une identité suédoise plus appropriée du point de vue de l’État. De mon point de vue, ceux qui s’identifient aujourd’hui comme appartenant à ce peuple ont une forte identité Sámi.
- Considérez-vous ce peuple comme une minorité opprimée ?
D’un point de vue historique, les Sámi ont été sévèrement opprimés, en particulier aux XIXe et XXe siècles. Le début de l’oppression remonte cependant plus loin encore (au XVIe siècle), lorsque l’État a forcé les Sámi à abandonner leur religion traditionnelle et à devenir chrétiens. La longue période d’oppression, à différents niveaux, affecte également la situation actuelle.
La catégorisation des Sámi est un élément important : à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, l’État suédois considérait que seuls les emplois liés à l’élevage de rennes donnaient le statut de Sámi, et que ceux qui exerçaient d’autres activités traditionnelles devaient être assimilés. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains suédois redécouvrent aujourd’hui leur origine Sámi. Le droit territorial est également important, les terres historiques ayant été progressivement prises aux Sámi à partir du XVIIe siècle. À certains égards, la situation s’est améliorée et certaines décisions de justice ont établi le droit territorial des Sámi. Ce droit est cependant souvent menacé par les initiatives d’entreprises industrielles, telles que des projets miniers, des centrales hydroélectriques et des projets d’éoliennes.
- Dans quelle mesure les Sámi sont-ils intégrés dans la population suédoise ? Qu’en pensez-vous ?
On peut dire que la culture Sami et la langue Sami ont gagné en visibilité au sein de la société suédoise d’aujourd’hui. L’actualité sur les questions Sámi est souvent rapportée dans les médias, et les autorités ont tendance à essayer d’inclure la perspective Sámi dans le traitement de ces sujets, ce qui peut affecter ces peuples. Il existe des lois donnant aux Sámi le droit d’utiliser leur langue dans leur relation avec les autorités et dans l’enseignement scolaire. C’est un pas en avant, mais la mise en œuvre de ces droits n’est pas encore satisfaisante.
- La connaissance du peuple Sámi est-elle intégrée à l’éducation suédoise ?
Dans le programme de l’école primaire suédoise est soulignée l’importance des thèmes suivants : « Autochtones Sámi et autres minorités nationales en Suède » (« Urfolket samerna och övriga nationella minoriteter i Sverige »), et « Les droits des minorités nationales » (« De nationella minoriteternas rättigheter. »).
À l’université d’Uppsala, la langue Sámi est une matière qui existe depuis la fin du XIXème siècle, soit depuis relativement longtemps. Le Sámi est aujourd’hui (et depuis le milieu des années 1970 il me semble) également enseigné à l’université d’Umeå.
- Quelle est l’opinion globale des Suédois (non-Sámi) sur ce peuple ? Aimeriez-vous voir la perception et les connaissances sur le peuple Sámi évoluer à l’avenir ?
C’est très difficile à dire. La plupart des gens que je rencontre ont une opinion positive des Sámi, mais il y a également des rapports de haine, en particulier à l’égard des Sámi éleveurs de rennes. Il est bien sûr difficile de dire combien de personnes ont une telle opinion
Je pense que les connaissances générales sur les Sámi ont évolué, sont devenues plus profondes et moins stéréotypées, mais la société manque toujours de connaissances à ce sujet.
- Avez-vous des ouvrages à recommander à ceux qui souhaiteraient en apprendre plus sur les peuples Sámi ?
Je vous propose ici trois livres sur la question :
- Fernandez, M. M. Jocelyne (1997). Parlons lapon : les Sames, langue et culture. Paris : L’Harmattan
- [en anglais] Lehtola, Veli-Pekka (2004). The Sámi people: traditions in transition. Fairbanks, Alaska: University of Alaska Press
- [en anglais] Hansen, Lars Ivar & Olsen, Bjørnar (2014). Hunters in transition: an outline of early Sámi history. Leiden: Brill
Quel avenir pour les relations entre la Suède et les Sámi ?
Malgré les récents progrès dans la reconnaissance des droits des Sámi, certaines problématiques autour de leur place dans la société suédoise demeurent. Ainsi, la protection des activités liées à l’élevage de rennes, l’éducation à la culture et à la langue Sámi, la rétrocession des restes humains conservés dans les collections nationales suédoises (dont certains ont fait l’objet d’expériences scientifiques controversées), de même que certains droits (droit territorial, droit à l’eau et aux ressources naturelles, droit à l’autodétermination) sont autant de points que le Parlement Sámi fait aujourd’hui valoir auprès du gouvernement.
La question des peuples autochtones dans nos sociétés modernes est complexe, car elle comprend des problématiques sociales, économiques, politiques et culturelles. La relation passée et présente de la Suède avec les peuples Sámi en est l’exemple ; elle met en lumière les défis que pose la reconnaissance des droits des populations autochtones dans un monde globalisé, où l’équilibre entre monde moderne et modes de vie traditionnels reste à trouver.