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vendredi 26 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

L’île de Halmahera ou la face cachée de la voiture électrique

Autrefois société agraire ouverte sur l’océan Pacifique, Halmahera vivait « en local » de la pêche et de l’agriculture. Les habitants de ce petit îlot volcanique indonésien cultivaient les côtes et exportaient leurs productions de riz, de cacao ou même d’épices. Aujourd’hui, la mer d’Halmahera ne connaît plus ses activités d’antan. Depuis plusieurs années, les pêcheurs locaux ont déserté la mer, les agriculteurs ont délaissé leurs terres, tous happés par l’industrie minière.

A l’origine de ce constat frappant, le travail du journaliste Haris Prabowo, un javanais qui s’est directement rendu sur l’île de Halmahera à près de 2000 km de Jakarta pour étudier l’impact de l’exploitation des sous-sols locaux. A son arrivée, il note les étales de marché quasi-vides et les ports désertés des bateaux de pêche, pourtant caractéristiques de la région il y a encore 20 ans. Le rapport du Bureau Central des Statistiques, publié annuellement dans la capitale, fait écho du volume d’extraction du nickel sur l’île qui est passé d’un peu plus de 700 000 tonnes par an en 2006 à presque 10 millions de tonnes par an en 2013. Le reporter indonésien s’est donc intéressé de plus près à la question et dresse un tableau davantage noirci que celui proposé par les autorités de Jakarta.

 

Que se passe-t-il à Halmahera ?

L’île d’Halmahera est l’îlot de terre le plus au nord de l’archipel des Moluques, rattaché politiquement à l’Indonésie. Il y a encore 20 ans de cela, l’île vivait dans un cadre culturel et sociétal qui lui était propre, bien loin du mode de vie de l’immense mégapole de Jakarta. Les quelque 150 000 habitants vivaient de l’agriculture qu’ils arrivaient même à exporter et de la pêche qui représentait l’activité incontournable dans chaque village et famille locale. Des fortes traditions de partage et de communauté étaient installées depuis bien longtemps malgré les différences historiques des deux groupes linguistiques qui composent la région. L’île ne vivait que sur son littoral et les populations n’exploraient que très peu ses terres profondes, volcaniques et forestières.

Outre sa richesse marine et sa culture de sagou, une sorte de fécule de palmier, les terres de l’île d’Halmahera jouissaient en réalité d’une richesse qui s’avère très fructueuse. Les gisements de cuivre et d’or avaient toujours attisé la convoitise, mais ce sont les gisements de nickel qui scelleront le sort de cette petite île. Pour rappel, le nickel est un métal très prisé aujourd’hui car il est un élément essentiel des batteries. Le gouvernement de Jakarta, loin des considérations locales, s’est alors lancé dans la folle course au nickel, de plus en plus nécessaire dans la démarche du « tout-électrique » des voitures, vendues principalement en Occident. Progressivement, des gisements ont été cédés sous formes de concessions, d’abord par le pouvoir central de Java, puis par les entités locales qui entendaient à leur tour bénéficier de ce nouvel attrait pour l’île. Au total, ce sont au moins 14 sociétés minières qui se sont vues confier la gestion de l’extraction du nickel.

Dépendantes d’une main d’œuvre locale, les sociétés sont donc allées chercher dans les ports et dans les champs la main d’œuvres dont elles avaient besoin. Par un procédé d’une extrême simplicité, les firmes internationales ont alors proposé des salaires plus élevés que ce que pouvaient gagner les producteurs locaux dans leurs activités traditionnelles (pêche, agriculture) et arrivaient assez naturellement à convaincre les habitants à rejoindre les mines. D’une part, les grandes sociétés minières occidentales, mais aussi javanaises, avaient les moyens financiers de convaincre leur auditoire. D’autre part, les habitants locaux ont facilement été convaincus par l’appât du gain. Un consensus a donc été trouvé.

L’idée d’un accord consensuel est importante à noter. Bien que certaines firmes minières soient venues tout droit d’Occident pour extraire les minerais du petit îlot volcanique, la démarche d’extraction et d’exploitation – pour ne pas dire de surexploitation – est avant tout un projet « local ». Joko Widodo, le président indonésien, porte depuis son accession au pouvoir en 2014 l’ambition de faire de son pays, premier producteur mondial de nickel, une référence dans les batteries de voiture électrique. En organisant des forums où le président reçoit lui-même les grands directeurs de sociétés minières, l’Indonésie entend bien s’offrir une place concurrentielle sur le marché de la voiture électrique.

 

Quel constat peut-on dresser ?

Halmahera vivait autrefois dans un cadre traditionnel que ses propres ressources souterraines sont venues lui ôter. La découverte du trésor minier que l’île renfermait, mais aussi et surtout l’intérêt que l’industrie allait vouer à ce trésor, étaient en passe de bouleverser le destin de ce volcan du Pacifique. Amadoués par les gains, les différents gouvernements successifs, centraux comme locaux, n’ont pas su limiter les investissements et leurs investisseurs, éblouis par la place que le nickel allait leur offrir dans l’économie mondiale. Toutefois, justifier l’actuelle surexploitation et la disparition d’un mode de vie qui était propre aux autochtones par la décision des gouvernants qu’ils ont choisis reviendrait à sous-entendre que les habitants de Halmahera ont eux-mêmes décidé du destin qui est le leur. Il serait malhonnête de se limiter à cette réflexion.

Aussi, toute la complexité d’un tel sujet réside dans l’arbitrage que l’on décide d’effectuer entre l’augmentation d’un niveau de vie, qui d’un point de vue factuel est bel et bien réel, et la disparition de coutumes ancestrales. D’une part, la réalité de cette situation est que le niveau de vie des habitants de l’île de Halmahera a considérablement évolué à la hausse. Les locaux jouissent désormais de moyens qu’ils n’auraient jamais eu sans l’industrie minière. D’autre part, ces mêmes locaux ont été pervertis par leurs nouveaux moyens, délaissant la nature autour de laquelle ce peuple s’est construit et oubliant la solidarité d’antan qui lui était propre. Lors de son reportage sur le terrain, le journaliste javanais Haris Prabowo est allé à la rencontre d’anciens pêcheurs. L’un d’eux raconte notamment une coutume oubliée, celle du partage de tous les biens du village lorsqu’un couple se mariait ; la coutume s’est envolée lorsque les villageois ont goûté au niveau de vie proposé grâce à la mine.

Enfin, le constat qui est à faire est celui de la nuance quant au culte voué à l’électrique. Les impacts sociétaux mais aussi écologiques sont aujourd’hui beaucoup trop importants. Les résidus miniers qui, en mai 2021, se déversaient par « accident » dans la baie de Maronopo ne représentent en rien la voiture « verte ». Les mines de l’île de Halmahera offrent en réalité un triste exemple souvent mu en Occident, où la voiture électrique tend à s’imposer ou du moins à se présenter comme la voiture « propre du futur ».

Sources :

Image : Pixabay Banque d’images libre de droit

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