Le 10 juillet 2023, la Cour des Comptes a publié un rapport issu d’une consultation citoyenne portant sur le recours aux cabinets de conseils privés par les autorités publiques. Sur l’année 2021, c’est environ 890 millions d’euros qui ont été alloués à des cabinets de conseils. Si près des 3/4 de ces dépenses concernent des prestations dans le domaine du numérique, c’est davantage vers les 230 millions d’euros concernant les prestations intellectuelles que la Cour des Comptes s’appesantit. Bien que ces chiffres ne représentent que 0,06% des dépenses totales de l’État, reste que ces derniers ont triplé entre 2017 et 2022.
Depuis le scandale McKinsey et ses relations avec le gouvernement français à l’occasion de la crise sanitaire, les cabinets de conseils ne sont pas exempts de critiques. Taxés d’être des procédés opaques, de voir la mise en place d’une politique managériale jusqu’au terme de « gouvernement des experts », le recours à ce type d’organisations interroge. Mais que sont réellement les cabinets de conseils et à quoi servent-ils ?
Les cabinets de conseils : une industrie du savoir
Les cabinets de conseils (ou société de conseils) permettent à une personne publique ou privée de recourir à une expertise dans des domaines particuliers, de façon ponctuelle afin de répondre à une problématique donnée. Ils permettent entre autres de fournir des modes d’emploi, des plans d’action et de planification, ou encore d’évaluer de façon prévisionnelle les effets d’une mesure. Pour Daniela Restreto, consultante chez EY consulting, « le plus souvent, le client recourt à un cabinet de conseil pour répondre à une question ».
S’il apparaît difficile de dater précisément la genèse du recours à ce type d’organisme nous pouvons observer une recrudescence de leur sollicitation en France à compter du mandat du président Sarkozy, en 2007. Sollicitation d’ailleurs issue d’un projet de révision générale des politiques publiques, et essentiellement conduite par l’ancien ministre du budget Éric Woerth, lui-même ancien consultant. Mais le recours à ces méthodes était encore anecdotique, en témoignent les dépenses en 2014 ne s’élevant qu’à 25 millions d’euros, tout ministère civil confondu. Ce chiffre contraste naturellement avec les quelques 200 millions actuels.
Les sociétés de consulting : une armada d’acteurs différents
Si c’est vers McKinsey que tous les regards se sont tournés, le recours à ce type d’organismes est en réalité très diversifié. Le Sénat ne dénombre pas moins de 2070 cabinets différents, dont seulement une vingtaine représenteraient à eux seuls 55% du marché. Parmi eux, les plus importants sont les cabinets américains McKinsey et Accenture, et le cabinet français Citwell, ayant des secteurs d’activités très variés.
Pour quelle raison le recours à ce type d’activité est critiqué ?
L’on entend généralement que le recours à ce type de technique conduirait à une externalisation de la conduite politique. Le sentiment que les décisions ne pèsent plus sur les élus mais sur des consultants, agissant dans l’ombre via des procédés opaques. Le rapport de la Cour des Comptes déplore à ce titre une assez large participation de ces cabinets au sein des missions régaliennes. Nous pouvons d’ailleurs y retrouver la phrase suivante : « Le recours à des cabinets de conseil privés s’effectue en outre parfois dans des conditions, notamment de concentration sur un nombre limité de partenaires, qui peuvent favoriser une perte de maîtrise par les services et un risque de dépendance à leur égard. » Emmanuel Belluteau, rapporteur à la Cour des Comptes, explique également que les missions de conseils sont assez mal définies. Il est difficile de retracer leur utilisation, de savoir exactement l’objet sur lequel elles portent, de les contrôler et d’en déterminer le montant exact.
Toujours selon la Cour des Comptes, si le recours aux sociétés de consulting peut être assimilé à une modernité et une rapidité administrative, il prive en fait l’administration de ses compétences. Généralement justifiés par l’urgence, de tels procédés conduiraient en réalité à ne pas exploiter les ressources internes de l’administration. Cela induirait alors une lassitude ainsi qu’une dérésponsabilisation et une déqualification des agents publics.
Enfin, le rapport illustre un certain écartement des normes juridiques via ce type de procédés. En effet, ce dernier met en lumière qu’entre 2019 et 2022, les autorités ont eu un recours excessif à certaines procédures et facilités, quelques imprécisions ou dépassement d’enveloppes financières ou délais par exemple. Ces quelques infractions demeurent minimes, mais participent au flou politique et juridique tout en nourrissant les fantasmes qui entourent les cabinets de conseils.
Quelles solutions pour apporter plus de clarté sur la situation ?
La Cour a alors formulé des recommandations afin de clarifier la situation des sociétés consultantes. Figurent parmi elles : une définition claire de l’objet, un besoin nécessaire, que de tels recours n’interviennent que lorsque sont impossibles des expertises internes ou encore la mise en place de contrôles a priori ainsi que d’une évaluation a posteriori. Ces mesures permettraient, selon la Cour, de mieux encadrer ces activités tout en ôtant ce caractère opaque à ces sociétés.
En somme, le recours à ce type de structures n’est pas sans conséquences, puisqu’elles influencent la mise en œuvre des politiques publiques. Toutefois, fantasmes et fascinations sont souvent importants à leurs sujets. En réalité, s’il existe effectivement un certain flou autour de leurs activités et de leur appréhension, c’est surtout le cadre normatif qui mériterait d’être éclairé. Bien loin d’un gouvernement des experts, les cabinets de conseils permettent de combler certaines lacunes dans des domaines, peu, voire mal maîtrisés, et sont appelés à être des acteurs prégnants des politiques de demain.