L’artiste est un fantasme, une entité en dehors de l’humanité, au-dessus du commun. Il est comme on aime à l’imaginer, une jeune créature éternelle, la cigarette au bord des lèvres, allongée sur le sol d’un atelier où elle lit Goethe en attendant sa prochaine fulgurance qui lui vaudra le titre de génie. Mais d’où vient ce mythe ? Comment s’est-il construit et pourquoi cette vision est tant dommageable pour l’artiste ?
L’origine du mythe romantique
On trouve deux origines à la figure de l’artiste maudit, premièrement c’est le courant impressionniste en peinture qui donne naissance, dès le milieu du XIXème siècle à ce dernier. C’est en réalité le moment où l’artiste commence réellement à se séparer de la société conventionnelle. Il n’est plus sous les ordres d’un commanditaire qui lui ordonne de pondre un énième portrait ou tableau de chasse. L’artiste s’émancipe des conventions mêmes de l’art pour donner lieu au plus beau mouvement qui soit. Van Gogh ou encore Gauguin (post
impressionnisme) sont les chantres de la naissance de ce mythe qui inspire encore. Mais rappelons-nous qu’avant d’être les maîtres de la discipline picturale ils ont avant tout vécu une vie de grande pauvreté, ostracisé par une société qui n’a pas su reconnaître la beauté de leurs oeuvres et qui a fini par les tuer, dans une solitude bénie, aux reflets éclatants.
Après les impressionnistes en peinture, vinrent les écrivains et écrivaines romantiques du même siècle, Oscar Wilde, Jane Austen, les sœurs Brontë. Des artistes eux-mêmes en marge de la société parce que femme écrivaine ou homosexuel scandaleux, et donc inspirant les personnages les plus dramatiques et torturés de toute la littérature anglaise. Un Dorian Gray qui se suicide pour un portrait, symbole de sa jeunesse éternelle, une Elizabeth Bennet qui court sous la pluie pour rejoindre un homme dont elle est tombée éperdument amoureuse, bref l’image n’a guère plus besoin d’être développée tant elle est encrée dans nos esprits malades.
La nécessaire prise de recul face à une figure incomprise
L’artiste n’est pas un personnage d’un film de Nicolas Bedos, qu’on aime à imaginer croupir dans un appartement luxueux, dénué de soucis du quotidien et où sa seule préoccupation serait de donner un sens à son existence sisyphique par l’art. Un endroit imaginaire où moulures au plafond et cadavre de pigeon cohabiteraient dans une harmonie singulière.
L’artiste se met en marge du capitalisme, tel un Sartre qui refuse le prix Nobel, l’artiste maudit n’a cure de la gloire, il produit de l’art par une sorte de transcendance existentielle qui dépasse les considérations misérables des simples salariés. Mais voilà, c’est encore une vision erronée qui amène à penser l’artiste comme un individu en dehors de la société. Non, les artistes ne s’épanouissent pas dans la précarité et non, il n’existe pas de vie où l’on puisse se refuser au système capitaliste et vivre dans une éclectique autosuffisance faite de champagne et de peinture à l’huile.
Le modèle économique tel qu’il est établi dans les sociétés occidentales n’est pas fait pour les artistes, il n’est donc pas nécessaire d’apporter une notion de romantisme à quelque chose, qui, dans la réalité des faits, relève de l’échec civilisationnel.
Il faut donc s’éloigner de cette vision tout en se la réappropriant en tant qu’artiste et modifier notre perception de cette figure en tant que société. Oui la souffrance peut être belle et donner lieu à des épiphanies qui relèvent du génie. Non il n’est pas vertueux de prôner la souffrance pour espérer donner naissance au génie. Mais l’on ne peut comprendre cela qu’en se rendant compte que la véritable beauté vient d’une affliction que l’on ne met pas en scène, mais qui est le fruit d’une sincérité ingénue et d’une vie qui s’apparente plus à la poésie qu’à la prose.
LVG.