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samedi 20 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Le fonds de compensation des attentats du 9/11 : quel est le prix de la vie ? (inspiré du film Worth de Sara Colangelo)

Le 11 septembre à 8h46, le Boeing 767-223ER assurant le vol American Airlines 11 percute la Tour Nord. Seulement 18 minutes après le premier impact, le vol 175 d’United Airlines frappe le côté Sud de la Tour Sud. Peu de temps après, un autre avion s’écrase sur la partie ouest du Pentagone. À 9h57, à la suite des révoltes des passagers, le dernier vol détourné n’atteint finalement pas sa cible, Washington. Ces 4 événements dramatiques entraînent la mort de 2 977 personnes et entre 6 200 et 25 000 blessés. À la suite de ces drames, s’est posée la question de l’indemnisation des victimes. La piste de la poursuite des compagnies aériennes par le biais d’actions collectives a rapidement été écartée du fait que cela entraînerait potentiellement leur faillite. Le gouvernement a donc assuré la création d’une indemnisation pour apporter le soutien nécessaire aux familles dans un moment de deuil national. 

Naturellement nous pouvons penser qu’une indemnisation égalitaire a été mise en place mais ça n’a pas été l’avis du gouvernement américain. Le projet de loi signé par George W. Bush le 22 septembre, mettant en place le fonds d’indemnisation, a considéré qu’il était nécessaire d’établir des compensations différentes en raison de la diversité des parcours des victimes et des pressions des entreprises ayant perdu leurs cadres ou leur PDG dans l’événement. Ce projet de loi pose alors une question fondamentale, à savoir : quel est le prix de la vie ? Sur le plan philosophique, cette question semble sans réponse mais sur le plan juridique, Kenneth Feinberg a dû y répondre. Avocat spécialisé dans la médiation et le règlement extrajudiciaire des différends, il a été nommé « maître spécial » du fonds d’indemnisation. C’est lui et son équipe qui ont été chargés de déterminer comment serait calculée l’indemnité que recevraient les victimes. Ils ont alors eu un délai fixé à 33 mois dans le but de développer un calcul donnant une indemnité relativement juste et de convaincre les victimes d’accepter l’aide de ce fonds de compensation. Le calcul du montant s’est principalement basé sur une estimation des revenus futurs supposés de la personne décédée. De ce fait, cela a entraîné de grands écarts de compensation entre les personnes bien payées et celles aux revenus modestes. La première version de l’algorithme mise au point a fait l’objet de sérieuses contestations des familles, jugées comme un outrage à tous les niveaux. Il écrit notamment dans une tribune datant de 2004 dans le Los Angeles Time que “Le courtier qui s’est blessé dans une chute gagne plus que le serveur blessé dans un accident de voiture […] Tous les jours aux Etats-Unis, les jurys prennent en compte la situation financière des victimes”. Ainsi, Feinberg a longtemps rencontré des difficultés pour faire adhérer les victimes à ce mécanisme d’indemnisation.

À la suite d’une année entière à rencontrer les familles en entretien individuel en vue de les convaincre d’adhérer au fonds, l’avocat s’est rendu compte du désespoir et de la difficulté de leur quotidien. De même, il ne faut pas oublier la complexité de certaines relations familiales, le cas notamment d’une veuve d’un pompier décédé dans les tours : faut-il dire à sa femme qu’il avait une double vie, une maîtresse, deux autres enfants ? C’est à la suite de ces confrontations que Kenneth Feinberg et son équipe se sont donnés pour objectif de rendre l’indemnisation la plus égalitaire possible en réduisant l’écart entre les indemnisations les plus élevées et les plus faibles. Grâce à ce combat mené par l’équipe d’avocats, les familles ont commencé à adhérer aux fonds, l’objectif a alors été rempli avant la date butoir. Malgré le sentiment de victoire que pouvait ressentir l’équipe de Feinberg, un bon nombre de familles n’ont pas pu faire l’objet de l’indemnisation, notamment du fait des différences de législation entre Etats américains dont certaines victimes dépendaient. C’est le cas d’un couple homosexuel dont un des époux était décédé lors des attentats, celui-ci dépendait de l’Etat de Virginie qui interdisait à l’époque l’union homosexuelle, le veuf n’a donc pas pu percevoir le fonds en raison de cette législation. 

Le fonds a été officiellement clos en 2003. Au total, 7 milliards de dollars ont été reversés aux familles des victimes. Les indemnisations ont été acceptées par 97% des personnes éligibles soit 5 560 personnes. Kenneth Feinberg et son équipe ont ensuite ouvert d’autres fonds en 2010 sur demande du président Barack Obama à la suite de l’explosion d’une plateforme pétrolière et de la marée noire qu’elle a provoquée. Ce fut aussi le cas pour la fusillade de l’Université Virginia Tech en 2007, celle de l’école primaire Sandy Hook en 2012 et celle d’une salle de cinéma à Aurora en 2012, pour les attentats du marathon de Boston de 2013, les abus sexuels dans l’Eglise et les attentats de la synagogue de Pittsburgh. Pour ce qui est du fonds des attentats du 11 septembre 2001, la Loi Zadroga 9/11 Health and Compensation Act of 2010 (le nom d’un pompier décédé des suite d’une maladie provoqué par les attentats) a permis le prolongement de ces indemnisations en assurant le suivi de la santé et a apporté une aide financière aux travailleurs malades à la suite de ces attentats. Malgré les nombreux projets de lois (Never forget the heroes, renouvellement de la loi Zadroga en 2015). Les fonds se réduisent de plus en plus et laissent penser à une possible fin des aides pour ces victimes des attentats. 

Sources :
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