La fragilité du droit au retour des réfugiés palestiniens : de la Nakba à la bande de Gaza
Jalal Abukhater est un Jérusalémite vivant aux États-Unis. En revenant sur les terres de son grand-père confisquées par l’État israélien, en août 2022, il déclarait dans un article
pour Al Jazeera : « Ils prétendent que Jérusalem n’est pas une ville divisée, alors que deux lois régissent deux peuples de la manière la plus inégale qui soit. Ils prétendent que nous
avons des droits, mais je crois qu’ils se contentent de tolérer notre existence. Nous n’avons pas le droit de vote, le droit au logement, le droit à la propriété – et avec nos maisons ancestrales volées, le droit à notre histoire.»
La situation à Jérusalem est effectivement particulièrement précaire pour les Palestiniens, dans cette ville où la culture rayonne, grand foyer des religions monothéistes, où fut bâti le premier Temple par le roi Salomon, où commença le voyage nocturne de Mohammed.
Commençons par un bref rappel sur l’histoire contemporaine de Jérusalem.
Le 15 janvier 1948, jour suivant sa proclamation par Ben Gourion, l’État nouvellement formé est attaqué par cinq pays arabes : au nord par le Liban, à l’Est par la Syrie, l’Irak et la Jordanie, et au sud par l’Égypte.
À l’issue des combats, l’armée israélienne remporte finalement la victoire en mars 1949. Cette dernière s’accompagne d’un très grand gain de territoire pour l’État hébreu, formalisé par les accords signés avec les États vaincus. Ces accords mettent en place la « ligne verte », ligne de démarcation et de partage de la Palestine reconnue internationalement. Suite à cela, deux enclaves seront contrôlées par les arabes : la Cisjordanie et Jérusalem Est, sous l’autorité de la Jordanie ; la bande de Gaza administrée par l’Égypte.
La ville sainte est elle aussi séparée en deux : Jérusalem Ouest, partie du territoire israélien, et Jérusalem Est, où se trouve la vieille ville, évolue sous le contrôle de la Jordanie.
Ce partage donna suite à la Nakba (catastrophe), c’est-à-dire la fuite, ou l’expulsion forcée, de 1947 à 1949, de plus de 700 000 des 900 000 Palestiniens vivant sur le territoire qui forme, à l’issue de la guerre de 1948, Israël.
Si l’Assemblée générale des Nations unies, dans sa résolution 194 du 11 décembre 1948, avait voté pour un droit au retour des Palestiniens sur leurs terres en Israël, les désaccords entre Israël et les États arabes furent si forts qu’aucune solution commune ne fut adoptée.
Le non-respect du droit au retour des réfugiés palestiniens à l’issue de la première guerre israélo-arabe
En 1950 fut adoptée “the Absentee Property Law”, un texte permettant à Israël de systématiser la confiscation de propriétés des réfugiés de la Nakba.
Il a ainsi permis à l’État israélien de confisquer des propriétés appartenant au peuple palestinien, et ce, dans le but de les mettre à disposition des colons israéliens. En effet, ces derniers ayant quitté leur propriété, qu’ils aient été contraints soit de quitter leur domicile, soit de fuir la guerre, ont vu leur propriété devenir “absentee” sous le coup de cette loi.
En pratique, comment marche la loi ?
Pour que ces propriétés, mobilières ou immobilières, soient vacantes aux yeux de la loi, les Palestiniens doivent avoir fui dans des pays dits « ennemis », préalablement mentionnés dans le texte (à savoir l’Égypte, le Liban, la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite, la Jordanie), ou encore en Palestine, ante 1948.
Ainsi, si une famille palestinienne avait quitté Jérusalem Ouest pour fuir dans l’une de ces zones et ce, durant la période indiquée par la loi, leur propriété devrait être, à l’heure actuelle, perdue.
Cette loi, en plus d’être en contradiction directe avec la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies relative à un droit au retour pour les réfugiés palestiniens, rend précaire les titres de propriétés des Palestiniens sur leurs terres.
De cette manière, à Jérusalem Ouest, lors de la vente de leur maison ou d’une demande de permis de construire, des Palestiniens se sont aperçus qu’ils avaient en réalité perdu leur propriété, cette dernière étant tombée devenue une “absentee property”.
Une nouvelle extension du territoire par l’État hébreu
En 1967, une nouvelle guerre israélo-arabe éclate, notamment en raison de la présence israélienne au Sinaï et dans la bande de Gaza. Les tensions entre l’Égypte de Nasser et l’État Hébreu atteignirent un point de non-retour. Les hostilités prennent la forme d’un court conflit, qui se clôtura par une humiliation de l’Égypte à l’Ouest grâce à une stratégie aérienne efficace, et la Jordanie à l’Est par sa supériorité militaire.
Cette guerre, véritable triomphe pour Israël, lui a permis d’occuper de façon illégale de nouveaux territoires, et ce, jusqu’à aujourd’hui, sur la bande de Gaza, à Jérusalem Est en Cisjordanie.
Suite à cette occupation, l’unification de Jérusalem a été l’option choisie par le gouvernement israélien. Cette occupation illégale au regard du droit international, a rapidement été suivie par l’application de lois et de juridictions israéliennes sur ces territoires nouvellement occupés.
“We are the government and the only government in the area. That is to say we have obligations and privileges, and duties there.” – Moshe Dayan – Ministre de la Défense israélienne.
Si aujourd’hui la ville sainte est considérée comme une partie du territoire israélien à part entière, la loi de 1950 a pu voir son application s’y établir. Ainsi, les personnes qui possèdent des propriétés à Jérusalem Est et qui résident en Cisjordanie sont destinés à perdre leurs biens.
La pratique de l’expropriation étendue à Jérusalem Est
Dans cet effort intense de récupération des possessions à Jérusalem dans la perspective de coloniser la ville, la “Legal and Administrative Matters Law” est adoptée en 1970. Elle donne le droit aux juifs ayant perdu leur propriété à Jérusalem Est avant 1948, de la récupérer.
Cette loi est exploitée par des groupes radicaux ayant pour objectif de judaïser Jérusalem Est, tout en étant soutenus par le gouvernement. C’est donc les lois et les Cours israéliennes qui rendent possible la réalisation de ce projet de colonisation de la vieille ville en collaborant avec les structures de pouvoir, les longs processus d’expropriation se faisant évidemment devant la Cour suprême israélienne.
A Jérusalem Est, on estime à 160 le nombre de familles ayant été expulsées depuis 1970, et selon l’OCHA ce sont 200 d’entre elles qui risquent aujourd’hui d’être expulsées. Deux quartiers sont principalement concernés : le quartier Sheikh Jarrah et Silwan.
Un droit au retour plus que jamais en péril pour les réfugiés palestiniens dans le cadre du conflit dans la Bande de Gaza
Le cas de Jérusalem témoigne d’une situation d’urgence pour les Palestiniens qui y vivent. À la suite de deux guerres mentionnées dans cet article, leur droit au retour n’a pas été respecté, rendant leur situation actuelle particulièrement précaire.
Par analogie, cette situation permet aussi d’analyser et de se projeter sur le sort des Gazaouis, qui voient aujourd’hui leurs toits détruits par les bombardements.
Le droit au retour des Palestiniens est-il aussi en danger dans la bande de Gaza ?
En décembre 1949, un an après la résolution 194, l’Assemblée des Nations unies adopte la résolution 302 pour créer l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Cette agence joue un rôle majeur dans l’assistance alimentaire, la santé, l’éducation et la création d’emplois pour ces derniers. Elle est aujourd’hui très menacée.
En effet, à la suite des attaques du 7 octobre 2023, l’armée israélienne n’a cessé de bombarder la bande de Gaza cherchant à éliminer la menace sécuritaire que représente le Hamas pour le pays et ses citoyens.
Ce 26 décembre 2024, la Cour a répondu à la plainte déposée par l’Afrique du Sud contre le gouvernement israélien, en affirmant que la situation à Gaza relevait en effet de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
Le même jour, l’État hébreu s’en est une nouvelle fois pris à l’UNRWA. Cette agence, dans le collimateur d’Israël depuis sa création, est accusée d’avoir participé aux crimes du 7 octobre. Ce sont en effet 12 employés sur 13 000 au total qui sont vivement soupçonnés d’y avoir participé.
En conséquence de ces accusations d’Israël envers les employés de l’UNRWA, plusieurs pays occidentaux dont la France, ont cessé d’apporter leur aide à l’UNRWA, portant préjudice à tous les réfugiés palestiniens.
Selon Johann Soufi, avocat spécialisé en droit pénal international, la réaction des États occidentaux est d’autant plus surprenante qu’elle s’associe à un silence pesant à l’égard des accusations sud-africaines, pourtant confirmée par la Cour internationale de justice. Le retrait des financements risque en effet d’empêcher l’organisme de fournir une aide humanitaire à la population, aggravant encore les problématiques d’approvisionnement en nourriture, en eau et en médicaments des Palestiniens. Cette conjonction de facteurs a en outre permis à la Cour de caractériser le risque imminent de génocide.