Où en est le monde sur le sujet épineux de l’avortement ?
Aujourd’hui reconnu par de nombreux traités internationaux et régionaux, le droit à l’avortement est un droit fondamental encore loin d’être acquis aux quatre coins du globe. Soumis à des législations très inégalitaires, il se heurte non seulement aux convictions religieuses conservatrices et réductrices de la liberté des femmes de disposer de leur corps, mais aussi aux mœurs politiques, sociales et culturelles stigmatisant sans cesse les personnes en bénéficiant.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénombre chaque année 121 millions de grossesses non désirées donnant lieu à 73 millions d’avortements. À l’échelle planétaire, 41% des femmes en âge de procréer, soit près de 700 millions de femmes vivent dans un pays dont les lois restreignent gravement ce droit. Ces chiffres ne trompent pas : interdire l’avortement n’en empêche pas la pratique mais encourage la mise en danger des femmes contraintes de se tourner vers des méthodes clandestines non-médicales et dangereuses.
Chaque année, 25 millions d’avortements non-sécurisés sont pratiqués dans le monde et selon l’OMS, entre 4,7 et 13,2% des décès maternels peuvent leur être attribués.
« Une femme meurt toutes les neuf minutes d’un avortement clandestin dans le monde. »
Affirmait Véronique Séhier, co-présidente du planning familial français au Parisien. Le statut juridique de l’avortement éclaire ainsi bien plus que l’accès à un droit. Il en va de l’égalité avec laquelle les femmes sont traitées dans le monde et de la possibilité pour elles de diriger le cours de leur vie comme elles le souhaitent.
Témoins des disparités persistantes dans le monde en matière d’avortement, embarquons dans un voyage en dix points entre les continents, éloquent de ce combat encore loin d’être gagné.
1. Le Bénin : dernière légalisation en date
Notre voyage débute au Bénin où l’Assemblée nationale a voté, jeudi 21 octobre 2021, la légalisation de l’avortement. Auparavant autorisé dans de rares cas, l’IVG est aujourd’hui possible jusqu’à douze semaines « lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale pour la femme ». Cette mesure a déclenché la fureur de la société béninoise religieuse mais permettra probablement d’empêcher la mort de nombreuses femmes. Selon les chiffres du gouvernement, 200 femmes meurent chaque année au Bénin des suites de complications d’un avortement. Le Bénin rejoint ainsi la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert, le Mozambique et la Zambie, seuls États africains ayant déjà dépénalisé l’avortement.
2. L’Afrique : l’interdiction encore en vigueur pour une grande majorité
Chaque année, plus de huit millions d’avortements ont lieu sur le sol africain. Selon l’OMS, seul 3% de ces IVG se font dans des conditions médicalisées et sûres pour les femmes comme en témoignent les 15 000 décès annuels recensés en Afrique subsaharienne à la suite d’un avortement à risque.
La très large majorité des États africains interdit encore l’accès à l’avortement et rares sont ceux qui l’ont d’ores et déjà dépénalisé. Le Code pénal malgache puni par exemple les médecins réalisant des IVG « en cachette » d’une peine allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement.
3. L’Amérique latine : entre inégalités et évolutions
À présent, partons en Amérique latine où le Sénat argentin à majorité conservatrice a récemment légalisé l’avortement jusqu’à quatorze semaines de grossesse. Cette loi, portée par le président de centre-gauche Alberto Fernandez, n’a pu voir le jour qu’avec la mobilisation sans faille de la société civile argentine qui, à l’image de celle du reste du continent a manifesté et manifeste encore ardemment pour la défense des droits des femmes. Elle va de pair avec la décision, du mardi 7 septembre 2021, de la Cour Suprême du Mexique votant à l’unanimité l’inconstitutionnalité de la criminalisation de l’avortement. C’est une avancée « historique » pour les défenseurs des droits de ce pays très conservateur mais qui ne s’applique cependant pas à tout le pays. Seul l’État de Coahuila est concerné mais en créant un précédent jurisprudentiel, cette décision va permettre aux centaines de mexicaines emprisonnées pour avoir avorté de recouvrer la liberté. Dans le reste du pays l’IVG reste interdit sauf en cas de viol. Nombre de pays du continent tels que le Honduras, le Salvador ou le Nicaragua considèrent l’avortement comme un crime passible de prison et ce même en cas de viol ou de danger pour la femme ou l’embryon.
4. Le Salvador : législateur le plus restrictif du monde en matière d’IVG
Dans les années 1990, le Salvador a adopté une législation drastique interdisant l’IVG en toutes circonstances et passible de deux à huit ans de prison. Dans les faits, les juges considèrent toute perte du bébé – fausse couche comprise – comme un « homicide aggravé » puni de 30 à 50 ans de réclusion criminelle. Actuellement, une vingtaine de femmes sont détenues en raison de cette loi selon des organisations non gouvernementales.
À la mi-septembre, le président d’extrême gauche Nayib Bukele a refusé de garder dans la nouvelle Constitution du pays un passage reconnaissant « le droit à la vie, aussi bien de l’enfant à naitre que de la mère enceinte » qui aurait ouvert la voie à l’avortement thérapeutique dans certains cas.
5. Les États-Unis : une année dévastatrice pour le droit à l’avortement
Menacé par une loi texane visant l’interdiction de tout IVG passé un délai de six semaines de grossesse (cf. article sur la loi texane), le droit à l’avortement est fréquemment mis à mal aux États-Unis. L’année 2021 est témoin de l’adoption de 97 restrictions de ce droit fondamental pourtant reconnu en 1973. C’est donc une année bien tragique pour la première puissance mondiale, marquée au fer rouge par l’administration conservatrice de Donald Trump. Qui plus est, un rapport du Guttmacher Institute a révélé qu’aux États-Unis, seulement 38% des femmes âgées de 13 à 44 ans vivent dans un État leur permettant d’avorter.
6. L’Asie : une tendance globale à l’acceptation
En février 2021, la Thaïlande a décriminalisé l’avortement qui peut désormais être pratiqué jusqu’à douze semaines d’aménorrhée (absence de menstruations) et plus récemment, la Corée du Sud l’a légalisé bien qu’aucune législation ne soit venue remplacer l’ancienne. Il est en revanche interdit d’avorter aux Philippines et au Laos et autorisé seulement dans de rares cas au Bangladesh, en Birmanie et au Sri Lanka.
Cependant, les motivations de certains États peuvent paraître douteuses. En Chine, la politique de l’enfant unique instaurée en 1979 a suscité jusqu’en 2015 un recours massif à l’avortement. Face à une population vieillissante et un grand déficit féminin, le gouvernement chinois est peu à peu revenu sur cette politique et veut désormais limiter les avortements pratiqués à des fins « non-médicales ». Il en va de même pour l’Inde où l’avortement peut s’avérer être un véritable parcours du combattant. La loi autorise l’avortement au cours du premier trimestre mais seulement avec l’approbation de plusieurs médecins. Tout est donc fait pour compliquer les procédures et inverser la tendance d’avortement sélectif longtemps encouragée. En vertu de cette loi, environ huit femmes meurent chaque jour en Inde de complications liées à des avortements risqués.
7. L’Océanie : seul continent où tous les pays autorisent l’avortement
Notre voyage se poursuit en Océanie qui, depuis mars 2020 est le seul continent du globe à autoriser pleinement l’avortement. La Nouvelle Zélande, dernier pays en date à le décriminaliser suit de près la Nouvelle-Galle du Sud qui l’a décriminalisé en septembre 2019. Cette décision tardive pour un pays réputé progressiste peut étonner mais relève en fait d’une loi datant de 1961 qui considérait l’avortement comme un délit passible de 14 ans d’emprisonnement. Ce texte n’était en réalité pas appliqué et face aux pressions exercées par l’Organisation des Nations Unies, le ministre de la justice Andrew Little a estimé qu’un changement était nécessaire.
8. L’Europe : protectrice des droits de l’Homme ?
Enfin, terminons ce voyage par l’Europe. En 2019, l’Irlande a légalisé l’IVG à douze semaines à la suite d’un référendum. Aujourd’hui seuls Malte – où le catholicisme est la religion d’État et puni l’avortement de 18 mois à trois ans d’emprisonnement – Andorre, le Vatican et plus récemment la Pologne interdisent l’avortement.
Il ne faut cependant pas penser que le droit à l’avortement est acquis. En effet, la Convention européenne des droits de l’homme est marquée par l’absence de droit conventionnel à l’avortement et la protection de la femme enceinte et de ses choix est ainsi remise aux mains de chaque État quasi-souverainement. En Italie par exemple, l’IVG est fortement limitée par une « clause de conscience » qui autorise les médecins à ne pas pratiquer d’acte pouvant heurter leurs convictions éthiques, morales et religieuse. Ainsi, près de 70% des gynécologues refusent de pratiquer des IVG, obligeant ainsi bon nombre de femmes à se tourner vers des avortements clandestins.
9. La France : En retard sur ses voisins ?
Le 20 janvier 2021, le Sénat français dominé par l’opposition de droite a rejeté une proposition de loi visant à allonger le délai légal pour avorter de 12 à 14 semaines. Olivier Véran, ministre de la santé a déclaré que le « pays de Simone Veil » était en retard sur ses voisins mais est-ce vrai ?
Il est difficile d’évoquer la moyenne européenne des délais légaux d’avortement car il existe un certain flou en Europe sur la notion de « semaines de grossesses », tous les pays ne retiennent pas le même « point de départ ». De plus, il y a de grandes disparités de délai entre les pays : pour la plupart il est fixé entre dix et douze semaines mais certains comme les Pays-Bas, la Suède et le Royaume unis affichent des délais beaucoup plus longs allant de 18 à 24 semaines. Il convient donc de prendre la médiane européenne qui se situe à douze semaines légales. La France n’est donc pas en retard mais ne peut se vanter d’être en avance sur les autres. Étonnant pour le « pays des droits de l’Homme ».
10. L’Europe de l’Est se ravise peu à peu
En octobre 2020, la Pologne a rendu l’avortement presque illégal en ne l’autorisant qu’en cas de menace pour la vie de la mère et si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste. Le parti Droit et Justice, extrêmement conservateur et catholique s’est efforcé de restreindre de façon toujours plus sévère les droits liés à la santé sexuelle et reproductive et ce, malgré les mouvements massifs de protestation au sein de la population. Selon les estimations des experts des nations unies, environ 100 000 femmes polonaises se rendent à l’étranger chaque année pour se faire avorter et la pratique d’avortements clandestins ne cesse de s’accroitre dans le pays.
Ce recul en matière de droits des femmes inspire des pays voisins tels que la Roumanie qui a profité de la pandémie pour restreindre l’accès à l’IVG en ne la considérant pas comme une opération urgente. L’intervention n’est possible dans le pays que dans un hôpital sur dix, alors même que de nombreux hôpitaux la refusent pour des motifs religieux. Le Parlement slovaque se ravise aussi en prévoyant de rendre plus difficile l’accès à l’IVG. Il faudra maintenant demander deux certificats médicaux au lieu d’un seul pour y avoir accès. C’est la onzième proposition de loi en deux ans sur le sujet, traduisant la volonté de restreindre « morceau par morceau » ce droit.
Enfin, la Hongrie adopte des politiques de plus en plus anti-avortement financées par Viktor Orbán, premier ministre hongrois d’extrême gauche. Il tente, par des messages culpabilisateurs, de compliquer la procédure afin de dissuader les femmes d’y recourir.
Le droit à l’avortement ne doit donc absolument pas être tenu pour acquis. C’est un combat que mènent courageusement des millions de femmes dans le monde chaque jour. Confronté aux dogmes religieux, aux volontés politiques restrictives et aux préjugés moraux moralisateurs et stigmatisants, le chemin de la légalisation semble encore long. Protéger ne veut pas dire réprimer. Les prisons ne peuvent se remplir de femmes ayant exercé un droit qui leur est fondamental, universel et ce, quel que soit l’endroit où elles résident dans le monde.