Le 26 septembre 2021 s’impose dans les cœurs du peuple suisse comme « un jour historique », ouvrant enfin aux couples homosexuels les portes du mariage.
Nos voisins helvétiques ont en effet été invités à participer à un référendum visant à légaliser non seulement le mariage pour tou.te.s mais aussi l’adoption pour les couples homosexuels et la PMA pour les couples lesbiens. La peuple a parlé et le peuple a dit OUI, à sa grande majorité, réunissant 1,8 millions de scrutins en faveur de l’égalité de toutes et de tous. Le plébiscite porté par 64,1 % des votants est d’autant plus significatif qu’il est corroboré à une majorité dans tous les cantons suisses, donnant en quelque sorte une double légitimité au référendum.
Ce dimanche a relégué au passé vingt ans de débats autour de la question du mariage pour tou.te.s, mise en exergue pour la première fois en 1998 par une députée écologiste, Ruth Genner. Voguant entre conservatisme et idéologies réactionnaires ou religieuses, les droits des LGBT+ ont longtemps été ébranlés au sein du pays alpin, qui n’a dépénalisé l’homosexualité qu’en 1949. Si aimer une personne du même sexe n’est dès lors plus un crime, la discrimination persiste à rendre à la communauté LGBT la vie pesante. Jusqu’en 1990, les commissariats détiendront des dossiers répertoriant les homosexuels de leur commune, faisant peser sur ceux-ci des circonstances aggravantes en cas de délit.
De fil en aiguille, les mœurs ont évolué et une première victoire éclate en 2007, permettant aux couples homosexuels de conclure un PEPS (partenariat enregistré entre personnes de même sexe). Le PEPS, symbole de libéralisation des normes sociales offre les mêmes droits que le mariage, au détail près qu’il ne permet ni l’adoption plénière, ni la PMA pour les couples lesbiens. Un détail de taille qui entérine encore une fois des inégalités entre les couples homosexuels et hétérosexuels, sous l’éternel prétexte de la perpétuation de la cellule familiale traditionnelle.
À l’occasion d’un référendum d’initiative populaire proposé par le parti démocrate chrétien en 2013, visant notamment à cristalliser dans la constitution le mariage comme étant « l’union d’un homme et d’une femme », le débat autour du mariage pour tou.te.s qui s’était quelque peu tari renaît de ses cendres. L’indignation provoquée par cette proposition incite les Vert’libéraux à porter au Parlement une initiative dénommée « mariage pour tous », dont la ratification fut l’objet de 8 ans de combats. À la fin de l’année 2020, le Parlement donne finalement son feu vert, suivi par son peuple en cette fin de mois de septembre. Gage d’évolution des mœurs et de progressisme – notamment de la part des jeunes et des populations urbaines – tous les couples pourront désormais célébrer leur union à partir du 1er juillet 2022.
Chaque progrès, chaque évolution, chaque révolution, se heurte évidemment à une forme de conservatisme soucieuse de ne pas bousculer dogmes et traditions. Les principaux opposants à la légalisation du mariage pour tou.te.s, le parti du « NON », sont incarnés par les partis suisses conservateurs, de l’Union Démocrate du Centre (UDC) à l’Union Démocratique Fédérale (UDF), sans oublier le parti démocrate chrétien. Face aux sondages qui révèlent peu avant les élections une opinion publique plutôt favorable à l’élargissement des droits des LGBT+, le parti du « NON » axe sa campagne autour de la légalisation de la PMA pour les femmes lesbiennes et de l’adoption pour tous les couples. Usant d’une rhétorique percutante visant à regagner de la place dans l’opinion publique, les différents partis précédemment cités s’érigent en défenseurs des enfants, dont l’éducation saine serait nécessairement tributaire d’une cellule familiale composée d’un père et d’une mère. Ils arborent des slogans tels que « la PMA tue le père » et placardent des affiches montrant des jeunes enfants arborant des étiquettes perforées à leurs oreilles : des bébés-bétail, victimes de l’adoption pour tous qui tendrait à faire de l’enfant une marchandise, des parents des consommateurs.
Bien que tardive, cette campagne « choc » a tout de même conduit environ 1 million de votants à s’opposer à l’ouverture de nouveaux droits pour les couples homosexuels.
En tant que 29e pays à légaliser le mariage homosexuel, la Suisse est quelque peu en retard à l’égard de ses voisins européens, qui ont, pour leur grande majorité, procédé depuis longtemps à la résolution de cette problématique. Les Pays-Bas sont les premiers à s’être souciés du mariage pour tou.te.s, qu’ils ont rendu légal dès 2004. Le Portugal, le Danemark, l’Espagne, la Suède, la Belgique pour ne donner que quelques exemples, ont suivi cette dynamique au cours de ces vingts dernières années, laissant loin derrière l’Italie qui ne se préoccupe guère des droits des LGBT+ pour le moment. À l’échelle de l’Europe occidentale, tous les pays ont ainsi ouvert de plus en plus de droits aux couples homosexuels à l’exception de l’Italie, ce qui dépeint une évidente libéralisation des mœurs et un certain progrès de la lutte contre les discriminations.
Seulement, le monde entier n’a pas été épris de cette dynamique libérale, au regard du nombre de pays où l’État exerce une oppression à l’égard de la communauté LGBT+. Soixante-neuf pays interdisent encore l’homosexualité et la persécutent, à l’image de la Tchétchénie, de l’Iran, ou du Yémen. Loin du petit nuage occidental, la terreur continue de planer au-dessus des têtes de ceux qui sont considérés comme anormaux, du simple fait de leur sexualité. À titre d’illustration, une femme hongroise s’est faite emprisonner récemment pour avoir collé des cœurs aux couleurs du drapeau LGBT+ sur une affiche du gouvernement. Le président V. Poutine, quant à lui, souhaite inscrire le mariage hétérosexuel dans la Constitution russe avant de terminer son quatrième mandat.
Entre recul et progrès des droits des homosexuels, les clivages ne cessent de se creuser de pays en pays, dépeignant un tableau hétérogène à l’échelle du monde. Alors que les couples suisses homosexuels pourront très prochainement célébrer leur union maritale, certains croupiront en prison, punis du crime honteux de ne pas aimer « comme tout le monde ». Il est néanmoins indéniable que le XXIe siècle reste rempli d’espoir, au regard de l’évolution des mœurs depuis ces cents dernières années. Peut être que cycliquement, l’histoire nous emportera dans une société sexuellement libertaire, outrepassant sa criminalisation, à l’instar de la Grèce antique dans laquelle l’homosexualité courante est rendue au naturel.