Déposé le 20 octobre 2020 par les députés issus des groupe La République En Marche, Jean-Yves Fauvergue (député de la Seine-et-Marne) et Alice Thourot (députée de la Drôme) accompagnés par plusieurs de leurs collègues, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de la loi relatif à la sécurité globale, avec toutes ses modifications, quatre jours après. Projet soutenu par le Gouvernement et de nombreux syndicats de police, un article en particulier a provoqué la colère des journalistes et des associations de défense des droits: l’article 24. Retour en 5 points sur une proposition de loi qui divise.
1 – Le contexte de son adoption
L’exposé des motifs de la proposition de loi enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale nous permet de comprendre le contexte de son adoption. Il est rappelé que le Président de la République, alors candidat en 2017, avait fait de la sécurité « la première priorité de son quinquennat ». Les divers évènements de terrorisme sous le mandat de François Hollande avait déjà amené les députés de la majorité à l’Assemblée nationale à voter une loi venant renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme quelques mois après leur intronisation. En octobre 2018, la France est secouée par le mouvement des gilets jaunes – nom donné en référence à la couleur du vêtement porté par les manifestants – et ce durant plus d’un an. Trouvant son origine dans les médias sociaux, les militants sont descendus en masse dans les rues pour protester contre la politique fiscale et le déclassement social. Les protestations, parfois violentes, ont donné lieu à de graves altercations entre “gilets jaunes“ et forces de l’ordre, remettant en question les libertés individuelles et les moyens d’action des gardiens de la paix. Altercations souvent filmées et dénoncées sur les réseaux sociaux, c’est dans ce contexte que les parlementaires ont estimé que le renforcement de la sécurité ne pouvait être qu’impératif. Modifiée et complétée en première lecture par le gouvernement et les députés, la proposition de loi a fait état de près de 1500 amendements donc 178 d’entre eux ont été adoptés. Résultats des débats; 388 voies pour, 104 contre et 66 abstentions.
2 – Quelques précisions sur son contenu
La proposition de la loi a pour finalité une sécurité globale plus efficace « en traitant également la question du recours à de nouveaux moyens technologiques pour les forces, et en simplifiant leur cadre d’intervention » nous dit le texte. Cette dernière vient prolonger un rapport remis au gouvernement en 2018 par les mêmes députés à l’origine de la proposition. Composée de 7 titres et d’une centaine d’articles, nous pouvons en retenir les quelques dispositions suivantes. D’abord, de nouveaux pouvoirs sont donnés aux policiers municipaux dans le cadre d’une expérimentation. À titre d’exemple, ils pourront désormais constater par procès-verbal la consommation illicite de stupéfiants ou immobilier des véhicules. Il est également proposé de doter la capitale parisienne d’une police municipale dont elle est actuellement dépourvue. Principale préoccupation du Défenseur des droits comme exposé dans son avis du 3 novembre, la proposition de loi prévoit de créer un nouveau délit dans son article 24 relatif à la diffusion d’images des agents des forces de sécurité dans l’exercice de leurs fonctions. Il est également proposé d’autoriser l’accès à tous les établissements publics aux fonctionnaires de police et de gendarmerie en possession de leur arme alors même qu’ils sont en dehors de leurs fonctions. Concernant le secteur de la sécurité privée, il est également prévu un renforcement du contrôle du recrutement des agents en exigeant des conditions plus fermes. Par exemple, un étranger ne pourra pas travailler dans le domaine de la sécurité privée si cela ne fait pas cinq ans qu’il est sur le territoire de la République française. Toujours dans le cadre de la sécurité privée, les députés souhaitent renforcer la protection des agents en alignant les peines encourues en cas d’agression à leur encontre à celles prévues lorsque les agressions sont portées sur les membres des forces de l’ordre. Ces derniers verront leurs attributions renforcées, notamment dans le cadre des palpations de sécurité dont les conditions seront assouplies en supprimant l’agrément traditionnellement requis. Dans un souci de recrutement massif de personnes qualifiées pour les Jeux Olympiques de 2024, il est proposé de permettre aux policiers nationaux de cumuler leur retraite avec un salaire tiré d’une activité de sécurité privée, mais seulement à titre dérogatoire. L’usage de drone étant aujourd’hui dépourvu d’un cadre légal clair, de nouvelles dispositions viennent en préciser les modalités, notamment les situations où le recours aux drones est admis. Notons que, en plus des forces de l’ordre, les sapeurs pompiers et marins pompiers pourront en faire usage. Enfin, des dispositions prévoient une traçabilité de la vente d’articles pyrotechniques dans le but de pouvoir retrouver l’identité de l’acheteur qui en ferait un usage malveillant.
3 Quid de l’article 24?
Bien que l’article 24 ait été voté en première lecture à l’Assemblée nationale, ses dispositions n’ont fait qu’illustrer les divisions au sein de la majorité. L’article litigieux modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en mettant en évidence un nouveau délit; il sanctionne d’ « un an de prison et de 45 000€ d’amende la diffusion du visage ou de tout élément d’identification des membres des forces de l’ordre en l’opération, dans un but malveillant. ». L’amendement n°1363, déposé par le Gouvernement et adopté en séance publique, en précise la rédaction afin de mettre en exergue que ce nouveau délit « ne porte pas atteinte au droit d’informer ». La nuance est en cela que le délit n’est que constitué que si l’intention de porter atteinte à l’intégrité physique et psychique est « manifeste ». Si le texte a été plébiscité par les syndicats de police, il est loin de faire l’unanimité au sein de l’hémicycle puisque les débats se sont fait sur « fond d’inquiétudes vivres quant à de potentielles atteintes à la liberté d’informer » (Le Monde). Dans un avis rédigé en ces termes, le Défenseur des droits affirme être préoccupé « par les restrictions envisagées » et demande à ce que ne soient entravés « ni la liberté de la presse, ni le droit à l’information » (Source: avis du 3 novembre 2020 relatif à la proposition de loi relative à la sécurité globale). Les déclarations ambigües quant au floutage du visage des policiers faites par le ministre de l’intérieur Gérard Darmanin n’ont fait que rajouter de l’eau dans le gaz. Les députés se sont exprimés vendredi 20 novembre au soir et le vote est interpellant; 162 députés sont absents ce jour-là, et seuls 103 députés des 271 députés LREM votent en faveur. Au cœur de la controverse, l’article 24 est violemment critiqué par une trentaine d’associations de défense des libertés publiques et autant de sociétés de journalistes qui estiment qu’il ne peut que porter préjudice au droit d’informer.
4 – Tollé et mobilisations
Qualifiée de liberticide par ses détracteurs, la colère n’a été alimentée que davantage par les successions d’affaires présumées de violence policière. Le samedi 28 novembre, des manifestations contre la proposition de la loi relative à la sécurité globales ont éclatées dans tout le pays et c’est à Paris qu’ils étaient les plus nombreux; 500 000 manifestants enregistrés selon les organismes. Un soulèvement alimenté par la violente évacuation d’un campement de migrants à Paris la veille du vote. La plupart d’entre eux n’avaient nulle part où aller depuis l’évacuation d’un grand nombre de camps la semaine précédente et ont dressé près de 500 tentes place de la République en guise de protestation. La dispersion par les forces de l’ordre s’est faite sous les tirs de gaz lacrymogènes et de nombreuses images d’une violence inouïe ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Le ministre de l‘intérieur a demandé à l’inspection générale de la police nationale « de remettre ses conclusions sous quarante-huit heures » le lendemain. Les protestations du samedi suivant ne se sont pas déroulées sans heurt, tant du côté des manifestants que des gendarmes et policiers, bien que le cortège ait débuté dans le calme l’après-midi. Les pancarte décrient à l’unanimité les violences policières et le racisme. « Justice floutée, justice aveugle », « Floutage de gueule », « On veut des gardiens de la paix, pas des forces de l’ordre » « La caméra est l’arme des désarmés »; les manifestants dénoncent en choeur la mesure. La veille, 31 auteurs et autrices de bandes dessinées publient le portait des 388 députés qui ont voté la proposition de loi avec pour mantra de « montrer le visage de ceux qui interdisent que des visages soient montrés » (Médiapart). Ils sont également affichés dans les rues de Paris le samedi suivant.
5 – La suite?
Suite aux bruyantes divisions au sein de l’Assemblée nationale et à la colère des journalistes, Gérard Darmanin rédige une lettre à l’intention du premier ministre lui proposant « de désigner une commission ad hoc visant à étudier les pistes d’évolution possible de sa rédaction » (source: France Télévisions). Jean Castex annonce dans la soirée du jeudi 26 novembre la future création de ladite commission indépendante, suscitant l’insurrection de plusieurs parlementaires. Ses derniers s’estiment méprisés dans leur rôle de législateur puisque la commission sera chargée de réécrire l’article 24 voté trois jours plus tôt au palais Bourbon. Sur Twitter, il est possible de lire le ministre chargé des Relations avec le Parlement s’exprimer en ces termes: « Un autre Article 24 (Constitution de 1958 celui-là): « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » Voilà. Simple, clair, net. Confiance pleine et entière à la démocratie représentative. ». Dans une lettre du 27 novembre, le premier ministre annonce que les travaux de la commission sont attendus pour le 15 janvier prochain et en justifie l’utilité pour « nourrir la réflexion » du Gouvernement « au regard du débat qui s’est installé dans la société » (source: France Télévisions). Dans son rôle de seconde chambre au Parlement, le Sénat examinera la proposition de loi en janvier 2021. Affaire à suivre.