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jeudi 25 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Le 5, Le procès de Nicolas Sarkozy dans « l’affaire Paul Bismuth »

Le lundi 1er mars, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné l’ex-chef d’Etat Nicolas Sarkozy à trois ans d’emprisonnement, dont une année de prison ferme, pour trafic d’influence et corruption active. C’est le premier ex-chef d’Etat de la Vème République à comparaître physiquement et à être condamné à de la prison ferme. Retour sur cette affaire qui fait grand bruit en 5 points.

 

1 – L’ « affaire des écoutes »

Fin 2013. Nicolas Sarkozy n’est plus Président de la République depuis mai 2012, battu par François Hollande à 51,64% des suffrages au second tour. Mais ce dernier est menacé par plusieurs affaires, notamment l’ « affaire Bettencourt », où il est soupçonné d’abus de faiblesse. Au cours de cette enquête, les agendas présidentiels sont saisis; ils répertorient toutes les entrées et sorties des bureaux de l’Elysée. Bien que conclue par un non-lieu faute de charges suffisantes, Nicolas Sarkozy décide de maintenir son recours en Cassation pour ne pas voir apparaître les informations contenues dans les agendas dans d’autres dossiers, comme l’affaire Tapie ou les supposés financements libyens de sa campagne présidentielle de 2007. C’est justement dans le cadre de cette dernière affaire que les juges du fond décident de mettre sur écoute l’ancien Président de la République. Mais ceux-ci s’aperçoivent rapidement que l’ancien chef d’Etat utilise une autre ligne pour converser avec son ami et avocat, Thierry Herzog. Préoccupés par la saisie des agendas présidentiels, les écoutes révèlent que les deux hommes tentent d’obtenir des informations sur la procédure de cassation par l’intermédiaire du premier avocat général près de la Haute Cour, Gilbert Azibert. En février 2014, Thierry Herzog déclare à Gilbert Azibert « Il m’a parlé d’un truc sur Monaco » en faisant visiblement référence à un service que pourrait rendre Nicolas Sarkozy en échange des informations demandées: un poste dans la principauté de Monaco.

 

2 – Paul, Thierry, Nicolas et les autres

Le juge d’instruction au pôle financier du Tribunal de Grande Instance de Paris (appelé aujourd’hui Tribunal Judiciaire de Paris) découvre que l’ex-chef d’Etat et son avocat discutent sur une autre ligne. En effet, début janvier, Thierry Herzog se rend à Nice pour acheter deux puces prépayées et des téléphones. Soucieux de rester dans l’anonymat, il réalise la transaction sous un faux nom, Paul Bismuth, qu’il donne presque par hasard. En effet, il se rappelle avoir reçu la veille un mail de la part d’un certain Paul Bismuth, ancien camarade d’école, qui cherchait à retrouver ses anciens condisciples sur des photos de classe. Dès lors, Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog conversent sur cette « ligne Bismuth » où l’avocat évoque « un poste qui se libère au conseil d’Etat monégasque ». Que veulent dire ces allusions? Gilbert Azibert aurait eu accès à l’avis du conseiller-rapporteur près de la Cour de cassation, qui n’est pourtant jamais rendu public, et pourrait éventuellement influencer la décision au sein de la Haute juridiction. En guise de monnaie d’échange, Herzog suggère à l’ex-Président de la République un poste de conseiller d’Etat à Monaco pour Azibert. À la fin du mois de février, Nicolas Sarkozy se rend dans la principauté de Monaco où il doit « dire un mot pour Gilbert ». Toutefois, il semble renoncer à intervenir en faveur du magistrat. Le ton de la conversation change; l’ex-Président de la République évoque « les juges qui écoutent ». Les « juges qui écoutent », eux, soupçonnent une taupe qui aurait mis au courant les deux hommes de l’écoute par la justice de la ligne Bismuth.

 

3 – Qui est la taupe?

Le Parquet National Financier ouvre une enquête pour le moins inhabituelle en 2014; les magistrats cherchent d’abord au sein du PNF lui-même, puis soupçonnent les grands cabinets d’avocats Parisiens. Le but? Trouver la « taupe » qui aurait révélé la connaissance de l’existence de la deuxième ligne téléphonique par les magistrats du Tribunal Judiciaire de Paris (anciennement appelé Tribunal de Grand Instance de Paris). Les cabinets Veil-Jourde, Témime, Haïk et Dupont-Moretti, toutes leurs factures téléphoniques sont épluchées. Éric Dupont-Moretti dépose même une plainte pour atteinte à la vie privée, évoquant des méthodes qu’il juge « de barbouze »; il la retire à sa nomination au poste de Garde des Sceaux. En décembre 2019, l’enquête est classée sans suite et l’hypothétique taupe reste introuvable. L’ex-ministre de la Justice, Nicole Belloubet, ordonne une enquête de l’Inspection de la Justice visant les deux magistrats chargés du dossiers et leur supérieure hiérarchique, suite aux indignations de nombreux avocats qui jugent cette « chasse à la taupe » hors des clous de la justice. En septembre 2020, l’inspection générale conclut que « des faits relevés seraient susceptibles d’être regardés comme des manquements au devoir de diligence, de rigueur professionnelle et de loyauté » mais ne relève pas de dysfonctionnement notoire.

Les magistrats étaient-ils en droit d’écouter les conversations entre M. Herzog et M. Sarkozy ? La Cour de cassation valide le 22 mars 2016 la quasi-totalité des écoutes entre l’avocat et son client. Si Thierry Herzog est soumis au secret professionnel, le fait qu’il soit soupçonné d’avoir commis une infraction et que son bâtonnier en soit informé permettent d’écarter cette protection particulière.

 

4 – Le jugement du Tribunal correctionnel de Paris

Les pièces rapportées au procès font état des faits: les renseignements fournis par Azibert s’avèrent être faux et le poste à Monaco n’est resté qu’au stade de promesse. Ni la justice, ni les autorités monégasques n’ont de preuve matérielle d’une démarche effective en faveur de l’obtention d’un poste de conseiller d’Etat à Monaco. Mais pour caractériser l’infraction de corruption et de trafic d’influence actif sur le fondement de l’article 433-1 du Code pénal, l’ordonnance de renvoi indique que « la seule sollicitation ou acceptation suffit à la consommation de l’infraction ». En effet, l’alinéa 4 indique que « Est puni des mêmes peines le fait de céder à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public qui sollicite sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui (…) ». Bien que ce qui a été promis ne s’est pas réalisé, Nicolas Sarkozy a vraisemblablement usé de son influence pour obtenir de l’autorité monégasque un emploi favorable au premier avocat général à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Gilbert Azibert), manoeuvre qui aurait pu être facilité par son ex-mandat et sa fonction. C’est sur ce fondement que le Tribunal correctionnel de Paris « condamne Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa à un emprisonnement délictuel de trois ans; dit qu’il sera sursis partiellement pour une durée de deux ans ». Thierry Herzog et Gilbert Azibert écopent de la même peine, légèrement inférieure aux quatre ans de prison dont deux avec sursis réclamés par le parquet.

5 – La suite?

« On me dit c’est un acte de corruption. Et la corruption, où est-elle? Y a pas un centime ! » s’indigne Nicolas Sarkozy sur le plateau de TF1. Les deux heures et demi de plaidoirie de l’avocat de la défense, Mme Jacqueline Laffont, ont eu pour but de réduire les écoutes de la ligne Bismuth à de simples conversations entre un avocat et son client, en vain. Néanmoins, l’affaire ne s’arrête pas là puisqu’il s’agit d’une condamnation en première instance qui n’est pas définitive; Nicolas Sarkozy a déjà annoncé vouloir interjeter appel. Le pourvoi en appel suspendant l’exécution de la peine, il n’a pour le moment pas à aller en prison en l’absence de demande d’exécution provisoire dans le jugement. Suivant la procédure, si la Cour d’appel le déboute, il pourra former un nouveau pourvoi en Cassation qui sera chargée de vérifier l’exacte application du droit. En cas d’épuisement de toutes les voies de recours internes et uniquement à titre subsidiaire, l’ex-chef d’Etat pourra éventuellement saisir la Cour européenne des droits de l’Homme sur la question de la légalité des écoutes téléphoniques et le respect du secret professionnel. Le jugement du Tribunal correctionnel de Paris prévoit que « la partie ferme de la peine sera aménagée sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique ». Ce sera au juge d’application des peines d’aménager favorablement la condamnation en cas « de conduite satisfaisante », et inversement si le condamné « vient à se soustraire aux mesures de contrôle et aux obligations particulières qui lui sont imposées ». Qu’en est-il pour les élections présidentielles de 2022? Le jugement n’indique aucune peine d’inéligibilité mais la procédure judiciaire étant souvent longue, il paraît évident qu’il faudra au moins attendre 2022 avant un deuxième procès en appel.

Sources :

Sources article :  

  • France Info
  • France 24
  • France Inter et France culture
  • Jugement délibéré du Tribunal correctionnel de Paris du 01/03/2021

 

Sources image : Wikipédia.

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