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jeudi 25 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

L’auto-censure dans la caricature, mythe ou réalité ?

Les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015 ont généré quantité d’avis divergents sur la place de la caricature dans la presse, sur son bien-fondé et sur la liberté des dessinateurs. C’est à la question de l’auto-censure dans le processus artistique que les intervenants ont tenté de répondre, en ce lundi 23 janvier. Y aurait-il des raisons pour lesquelles les dessinateurs s’empêchent de faire certaines caricatures ? Dans quelle mesure le droit restreint la liberté d’expression dans le dessin ? 

Entourée de Rosalie Le Moing, doctorante en droit public, l’association du Collège de droit a tenté d’éclairer les problématiques juridiques que soulève le dessin de presse. En effet, la quantité d’affaires entourant la publication des caricatures pose la question du cadre juridique qui structure leur publication. Celui-ci est assuré par trois droits différents : le droit de l’Union européenne, le droit produit par la Cour européenne des droits de l’homme, et le droit français. 

En ce qui concerne le droit français, la liberté d’expression n’est pas conçue comme absolue mais elle n’en demeure pas moins fortement liée à la démocratie et est, du reste, très protégée. Les « seules » limites à cette liberté sont en réalité la protection de la morale, de l’ordre public et l’interdiction de l’incitation à la haine et à la violence. Mais en ce qui concerne la morale, le sujet est délicat ; qu’est-ce que la morale ? N’est-ce pas une notion qui évolue sans cesse ? Comment déterminer des critères objectifs de ce qui est moral ou immoral ?

De ces questions une autre en découle : Du fait de son appartenance à la presse, est-ce que l’on s’autocensure ? 

Lodi Marasescu est membre de l’association Dessinez Créez Liberté, qui a vu le jour après les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015. Celle-ci a pour but d’initier la nouvelle génération au dessin caricatural et à sa compréhension. L’objectif est de passer dans les écoles pour que les jeunes s’interrogent sur les dessins de presse et leur signification. 

Lui qui est dessinateur se pose des limites seulement parce qu’il ne connaît pas suffisamment un sujet. Effectivement, la caricature exige un travail de recherche et de lecture conséquent, ce n’est pas simplement une idée en tête couchée sur du papier dans la minute. Il faut maîtriser le thème abordé et en saisir les enjeux pour les représenter.

Lodi en profite pour ajouter que le concept d’humour est universel, mais les sujets de convergence en humour sont très subjectifs, d’où des frictions récurrentes à ce propos. Un dessinateur souhaite dire quelque chose et partager son point de vue. Ainsi, la publication de son dessin rend accessible à n’importe qui quelque chose de très subjectif. Cette hyper accessibilité peut justement être problématique s’il y a une incompréhension de l’humour. La limite à la liberté d’expression peut également résider dans le « ça se fait pas » que diront les spectateurs du dessin, qui veut en fait dire « je ne comprends pas ». On fait alors face à un « tribunal informel » du dessin.  

Agathe André, membre de l’association et ancienne grand reporter à Charlie Hebdo, précise que pour comprendre un dessin d’humour il faut prendre le temps de le détailler, de regarder la ligne éditoriale du journal, de décrypter le contexte et de chercher la signature. Ces éléments permettent également de réfléchir à ce à quoi l’on rit et à quel type d’humour on a affaire : humour noir, sarcastique, parodique ? Il existe différents registres du rire pour transmettre un message. 

En ce qui concerne la caricature religieuse, qui a fait un retour en force ces dernières décennies, Agathe explique qu’elles s’inscrivent dans une longue tradition historique. De tout temps, la caricature a existé et a accompagné les mouvements d’émancipation, politiques, religieux ou de toute autre sorte. Par exemple, en 1905 des caricatures religieuses étaient déjà dessinées, mais ne seraient plus acceptées aujourd’hui. Désormais le problème réside dans le fait que, souvent, le public s’attarde seulement sur la une d’un journal satirique qui fait polémique, sans le feuilleter et lire les pages. Dans ce cas-là, il est difficile d’abolir ses a priori et prendre conscience que le journal traite de toute l’actualité, et pas seulement du sujet à la une. 

Une autre difficulté, selon Rosalie Le Moing, est qu’il y a aujourd’hui un amalgame récurrent entre une critique portée à l’islam et islamophobie, dont sont accusés certains dessins de presse. Plusieurs siècles auparavant le sujet principal était les catholiques intégristes. Morale : le dessin évolue et s’adapte à l’actualité, sans pour autant stigmatiser une religion spécifiquement. 

Rosalie précise que le droit français censure les atteintes individuelles aux croyants. Cela signifie qu’il y a une injure, c’est-à-dire une offense gratuite sans participation à un débat d’intérêt général. La liberté d’expression est renforcée principalement quand elle touche à la démocratie : débat d’intérêt général, discours politique…

A contrario, la critique d’une religion dans sa globalité est rarement censurée. Mais, l’arrêt Otto-Preminger rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 1994 a été le premier à tenter de concilier liberté d’expression et de religion. Il affirmait que la censure d’un film qui fait la satire des libertés chrétiennes, dans un pays où la communauté religieuse est majoritairement chrétienne, est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et respecte ces deux libertés.

Quoiqu’il en soit, les intervenants concluent en affirmant que la caricature sert à désacraliser des sujets sensibles. Ainsi, elle pousse à nous interroger sur ce qui choque dans ce que l’on voit : le dessin lui-même ou la réalité représentée ?

Sources :
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