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jeudi 28 mars 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

La couverture médiatique du procès du 13 novembre 2015 : retour sur une conférence éloquente

Le 24 janvier dernier se tenait la conférence organisée par le Collège de droit sur la couverture médiatique des procès et notamment du procès du 13 novembre à la Manufacture des Tabacs. A cette occasion, trois dessinateurs et un journaliste ont pu témoigner et partager leur expérience. En effet, lors de cette conférence ont pu intervenir Emmanuel Prost, Benoit Springer et Corentin Rouge, tous trois dessinateurs ainsi que Xavier Thomman, journaliste de presse écrite. Plusieurs questions ont été abordées quant à la technicité propre du dessin de presse mais aussi quant à la réception et aux objectifs de couverture d’un procès d’une telle envergure. Cet article s’efforcera de revenir sur les questions abordées lors de cette conférence extrêmement intéressante et très éclairante. 

Tout d’abord, les quatre intervenants ont précisé que le procès du 13 novembre était leur premier, un procès impressionnant pour une première expérience tout aussi saisissante. Pour certains, aucune préparation en amont n’a été faite. En effet, Corentin Rouge explique que c’est un milieu qu’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter et que leur seul souci était de répondre aux attentes du journal Charlie Hebdo qui souhaitait notamment un suivi quotidien du procès sur le web. Ainsi, des dessins accompagnés de textes, écrits notamment par Xavier Thomman, sortaient chaque jour. Dans la même logique, Benoît Springer explique la volonté qu’il avait d’être vierge de toute expérience et la nécessité qu’il fallait d’être à la hauteur de l’évènement. Ce dernier s’est préparé d’une manière plus technique dans la mesure où il a choisi son matériel et s’est exercé à faire du croquis en extérieur. Xavier Thomman, quant à lui, s’est préparé pour ce procès en lisant des livres sur le djihadisme et une partie du dossier (l’ordonnance de mise en accusation comptait quatre-cent pages).

Les dessinateurs ont ensuite expliqué le rapport si différent qu’il y a entre l’activité de dessin pour une bande dessinée et les dessins réalisés lors du procès du 13 novembre. La bande dessinée est beaucoup plus confortable ; au procès, il y avait une force de propos que la fiction ne peut pas atteindre, mais également une ambivalence déroutante, la beauté et l’horreur se croisant dans un même discours. De plus, la qualité du dessin dépend de ce qu’il se passe en face. L’émotion poignante des témoignages va stimuler les dessins alors que c’est l’imagination qui va être importante dans un dessin de bande dessinée, il faudra creuser, chercher dans sa tête. Pour Emmanuel Prost, dessiner dans un procès c’est arriver la tête vide mais également repartir la tête vide, alors qu’une bande dessinée est une prise de tête constante. Cela demande moins d’efforts tout en étant plus pénétrant émotionnellement. Corentin Rouge précise qu’il y a des typologies qui sont « tout de suite dans le crayon » et d’autres avec lesquelles ce sera plus difficile. Par ailleurs, certaines personnes restaient à la barre quelques minutes quand d’autres restaient quelques heures. Ainsi, le dessin se fait parfois dans l’urgence. Le plus important étant de ne pas inventer : le travail en audience est un travail d’observation et il ne faut pas inventer ou transformer ce qu’il se passe sous ses yeux. Le dessin d’imagination n’a pas sa place dans ce genre d’exercice et Benoît Springer explique que, quand il n’avait pas eu le temps de finir un bras, il ne le finissait pas en l’imaginant. Parfois, pour donner de la richesse les dessinateurs reproduisent des scènes depuis d’autres angles, mais il faut toujours chercher à être le plus vrai possible. 

Au procès, ce sont quatre cent parties civiles qui ont témoigné. Se pose alors la question de savoir comment faire un choix entre tous ces témoignages – l’entièreté ne pouvant pas être montrée. Pour Benoît Springer s’est imposée la volonté de dessiner tous ceux qui passaient à la barre sans exception, qu’ils restent cinq minutes ou deux heures. Pour le compte rendu quotidien fait par Charlie Hebdo, les choix se sont faits en fonction de ce qui a le plus touché ou des témoignages qui ont apporté des éléments nouveaux. 

Par ailleurs, Xavier Thomman explique que le procès en lui-même était exemplaire et extrêmement bien organisé. Les trois dessinateurs et le journaliste ont donc assisté à la meilleure version de la justice française lors de ce procès qui a duré près d’un an. Emmanuel Prost, Benoit Springer et Corentin Rouge se relayaient et se rendaient donc chacun au procès une semaine sur trois ; Xavier Thomman, quant à lui, se relayait également avec une collègue et se rendait là-bas une semaine sur deux. Ce dernier explique qu’il n’est pas possible de se départir de son regard personnel, l’important étant d’être le plus honnête possible dans son travail. Les quatre intervenants ont également évoqué la question de la routine qui se mettait en place et qu’il fallait éviter : ne pas tomber dans des automatismes et garder les yeux et l’esprit ouverts. Pendant les pauses entre les audiences chacun a pu découvrir, au travers de discussions, des personnes : avocats, parties civiles… Les interprétations différaient et ces moments informels permettaient d’écouter les avis divers. Cette année de procès a donc été très riche humainement. 

Enfin, Xavier Thomman s’est exprimé sur la question de l’influence de la violence, des sentiments et ressentiments dans le cadre de son écriture. Le fait d’y aller dans le cadre de son travail mettait de la distance ; le cadre professionnel a ainsi érigé une sorte de protection psychologique. Pour celui-ci, son écriture n’a pas été influencée par la violence. Il ajoute qu’une réaction revenait souvent dans les témoignages : celle de la culpabilité. Ceux qui ont témoigné ont exprimé leur sentiment d’impuissance face à la situation traumatisante qu’ils ont vécue et beaucoup se sont excusés de ne pas avoir pu faire plus. La culpabilité et l’humilité transparaissaient grandement. Le journaliste avait-il conscience que le sujet était historique et que le discours et les articles qui en ressortiraient l’étaient tout autant ? « Il faut avoir conscience d’où l’on est, se dire que ce n’est pas n’importe quel procès et pas n’importe quel journal, mais pour le reste il faut aussi se faire confiance et faire son travail de la meilleure manière possible ; ne pas trop réfléchir pour que cela ne se fige pas ». Emmanuel Prost ajoute tout de même que beaucoup de victimes venaient avec des témoignages très bien pensés et particulièrement émouvants par la manière dont ils étaient racontés. Dans les plaidoiries des avocats transparaissait également le poids des mots et la conscience que ces mots constitueraient la mémoire collective. 

Cette conférence a donc mis en lumière l’importance et le travail éminemment délicat des dessinateurs de presse mais également des journalistes dans la couverture médiatique des procès, et notamment de ce procès du 13 novembre, si particulier par sa charge émotionnelle et son sens historique. Ce dernier a permis à de nombreuses victimes de se considérer comme telles, elles ont été écoutées et regardées et leur peine a été reconnue. Xavier Thomman rappelle l’importance de laisser s’exprimer toutes les victimes, d’entendre leur parole et de ne pas mettre de côté les personnes en colère pour privilégier celles qui sont dans le pardon.

Sources :
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