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mardi 10 décembre 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

La répression Ouïghour sous l’angle du droit européen et international : droit incapable, mais silence impossible. 

“ Chaque fois qu’il y a crime contre l’humanité, le cerveau pense que c’est une réminiscence du passé. Pourtant ici, ce n’est pas le cas, c’est un laboratoire d’avenir “ Raphaël Glucksmann 

L’avenir, c’était le fil rouge de la conférence sur la répression Ouïghour sous l’angle du droit européen et international, mardi 12 octobre, à la manufacture des Tabacs. L’échange a proposé un triptyque pour l’avenir : un public, majoritairement composé d’étudiants, la “génération qui va tout changer”, un questionnement juridique et politique vers les actions futures, et pour finir un projet d’avenir : vers une prise de conscience collective. 

Les intervenants, de plusieurs horizons, se sont succédé afin d’apporter un regard pluridisciplinaire, émouvant, juridique, activiste, mais surtout militant. 

 

Le regard d’Amnesty International

En juin dernier, l’ONG apporte un nouvel éclairage sur la situation humanitaire chinoise, en publiant un rapport « comme si nous étions ennemis de guerre ». Amnesty International se fait porte-parole des minorités persécutées et accuse la Chine. Le rapport rappelle avant tout la situation pour tous, depuis plusieurs années. Dans les régions du Xinjiang, des centaines de milliers de musulmans (plusieurs confessions confondues) sont internées et subissent un certain nombre de tortures, dans des camps dits de « transformation par l’éducation ». Le but étant pour l’état chinois en apparence de lutter contre le terrorisme et de protéger sa population, mais surtout d’éliminer totalement les traditions culturelles et religieuses de ces populations, vers un idéal gouvernemental de nation homogène et laïque. 

Dans son rapport, Amnesty ose et expose, et qualifie le comportement de l’État chinois de crime contre l’humanité. En effet, le gouvernement chinois est complice, acteur et spectateur. L’ONG condamne les autorités d’un oeil juridique par cette qualification lourde de sens et d’histoire, mais elle revendique aussi la libération de plusieurs détenus. 

Amnesty International; désormais saisi de cette question, devient et sera encore longtemps, un acteur du changement, et un porte parole des droits des hommes, de la liberté des peuples et donc, un défenseur de la communauté Ouïghour et autres minorités religieuses. 

 

L’impuissance et l’inaction du droit international

L’intervention de Madame Neri, professeure en droit international, a permis un éclaircissement plus technique sur la répression Ouïghour, sujet souvent traité dans les médias, par un prisme activiste et militant. 

Quels sont les outils dont nous disposons en droit international pour appréhender la répression chinoise des Ouïghours ? Comment notre droit international protège les intérêts humains,ou surtout comment, en l’espèce, il ne les protège pas. 

Il y a tout d’abord une confusion de la qualification juridique des crimes orchestrés par le régime chinois. Comment qualifier ces faits ? Génocide, ethnocide, violences d’Etat, violences systémiques… La définition des violences commises à l’encontre de la population ouïghoure est un exercice essentiel mais complexe, de par les implications juridiques de certaines catégories de crimes, notamment celles du génocide. 

Les ONG sont divisés, certaines parlent de crime contre l’humanité, comme Amnesty, mais d’autre, parle de crime de génocide (le Newlines Institute for strategy and Policy). Ces deux crimes sont souvent confondus et mêlés, dans les têtes mais aussi dans les textes de loi nationaux. En effet ces deux crimes ont des actes matériels identiques, ce qui permet cette confusion et l’excuse autant qu’elle l’explique, pourtant il réside pourtant une différence majeure, lorsqu’on parle de génocide : « la mens rea », l’intention génocidaire. Cette intention est, depuis quelques mois, caractérisée par la plupart des juristes internationaux sur le cas de la répression Ouïghour. 

 

Quels sont les mécanismes de protection prévus par le droit international ?

Le premier organe qui vient à l’esprit est celui du conseil de sécurité, qui a la responsabilité de protéger, qui devrait permettre aux nations unis de se substituer à l’État pour protéger une population. Mais alors que se passe t-il ? L’explication de l’incapacité d’action du Conseil de Sécurité est aussi simpliste que lunaire : la place de la Chine au conseil des cinq, qui dispose donc d’un véto à toutes les actions. L’Organisation des Nations Unis est confrontée à une vraie lutte interne diplomatique. La première coalition, composée d’États d’Europe de l’Ouest, du Canada, du Japon et d’autres, dénonce la politique chinoise de persécution à l’encontre des Ouïghours. La seconde, constituée de la Russie, de l’Argentine, de l’Inde, ainsi que de pays du Moyen-Orient et d’autres, salue au contraire la politique du Président Xi Jinping, et sa « lutte efficace contre le terrorisme ». Resurgirait-il une division entre les démocraties libérales occidentales et des régimes autoritaires dont les réformes restreignent l’exercice de droits et libertés politiques ? 

Le deuxième organe des Nations Unis, est celui du Conseil des Droit de l’Homme. Une efficacité réelle de production de normes juridiques, nécessiterait une autorisation chinoise de la présence d’enquêteurs au Xinjiang, et ce n’est, évidemment, pas le cas. 

L’ONU impuissante ? Oui, et surtout coincée par sa propre structure, obsolète et passive. La cour internationale de justice quant à elle n’est guère plus utile car la Chine n’a jamais reconnu cette juridiction. L’impuissance du droit international concernant la répression ouïghoure atteint son paroxysme, quand on se rend compte qu’il n’existe pas de mécanisme de protection individuelle, puisqu’il n’y a pas de Cour régionale pour l’Asie protectrice des droits de l’Homme. 

Les actions de barbarie perpétrées par le gouvernement chinois, ne rencontrent pas d’obstacles en droit international, puisque celui-ci est bloqué, insuffisant, et surtout passif. 

Alice POULAIN 

 

Le droit européen, une action amorcée mais qui demeure insuffisante

Madame Marti, professeure de droit public, nous a apporté, lors de la conférence, des précisions concernant la situation des Ouïghours sous l’angle du droit européen. Le 22 mars 2021, le Conseil « Affaires étrangères » de l’Union européenne a adopté des mesures restrictives pour graves violations des droits de l’homme contre 4 responsables chinois en réaction au sort réservé aux Ouïghours dans la région du Xinjiang. 

Cette mesure attendue par une partie de l’opinion publique, lassée par cette inaction politique et juridique reste inédite considérant le fait que la première et dernière sanction venant de l’Union européenne visant la Chine n’est autre que l’embargo sur les armes. Celui-ci faisait suite aux événements de la place Tiananmen en 1989 où l’armée, sous décision du gouvernement, a réprimé de façon sanglante des milliers de manifestants étudiants réclamant plus de démocratie. 32 ans après, qu’en est-il des droits humains ? Le temps défile mais les crimes contre les droits de l’Homme se répètent. Ceux-ci, toujours bafoués, ont entraîné l’Union européenne à finalement agir en prenant ces mesures restrictives. 

 

Une sanction permise par un renouveau dans le cadre juridique pour faire face aux lacunes et à la lenteur du droit européen

Le 7 décembre 2020, une loi « Magnitsky » européenne (en référence au Magnitsky Act adopté par le Congrès des Etats-Unis suite au décès de l’avocat Sergueï Magnitski dans les prisons de Moscou) est adoptée. 

Auparavant, il était possible pour l’Union européenne, de prendre uniquement des sanctions territorialisées et sectorielles ciblées. En décembre 2020, lors d’un discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déplorait la lenteur et les lacunes de l’Union européenne : “Que ce soit à Hong Kong, à Moscou ou à Minsk, l’Europe doit prendre position clairement et rapidement […] L’Europe doit réagir de manière plus ferme aux événements qui se déroulent sur la scène internationale”. Par le biais de ce nouveau régime de sanctions européen permis par cette loi, il est dorénavant possible de sanctionner personnellement des personnes, physiques ou morales, suite à une violation des droits de l’homme. En effet comme évoqué dans l’article 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. » Ce mécanisme juridique donne plus de poids à l’Union européenne, qui peut réagir plus facilement et plus rapidement et sans risque de porter préjudice aux populations civiles du pays ciblé par la mesure en contraignant seulement une personne. 

Surveillance massive, endoctrinement de la population, violation systémique de la liberté de religion et de convictions, torture, stérilisation forcée des femmes ouïghoures… Autant de situations factuelles qualifiables comme violation des droits de l’homme qui conduisent le Conseil « Affaires étrangères » à prendre deux sanctions. Tout d’abord, la première consiste en une interdiction de voyager et de transiter par l’Union européenne et la deuxième, en un blocage des ressources financières. 

Les dirigeants ciblés par ces mesures sont quatre dirigeants (actuels ou anciens) de la région autonome ouïghoure du Xinjiang à savoir Zhu Hailun, Wang Junzheng, Wang Mingshan et Chen Mingguo. Une entité, le Bureau de la sécurité publique du corps de production et de construction du Xinjiang est également visé par ces sanctions pour « graves violations des droits de l’homme, dont le recours à grande échelle à la détention arbitraire et à des traitements dégradants à l’encontre de Ouïghours et de personnes issues d’autres minorités ethniques musulmanes de la région autonome ouïghoure du Xinjiang. » 

En ce qui concerne l’effectivité des incidences de ce régime de sanctions, la renonciation de sa politique actuelle de répression et d’oppression ne semble pas encore à l’ordre du jour mais la réaction et la réponse donnée par Pékin confirment bien la gêne occasionnée sur le plan international. En effet, cette sanction a été, sans grande surprise, mal accueillie par Pékin qui réfute toute accusation. Le ministère chinois des affaires étrangères, tout en accusant l’Union européenne d’ingérence, a ainsi déclaré dans un communiqué que « cette décision, qui ne repose sur rien d’autre que des mensonges et de la désinformation, ignore et déforme les faits ». 

Les accusations à l’égard de la Chine sont pourtant bien documentées par le dévoilement progressif de témoignages toujours plus nombreux. Les survivantes et les survivants témoignent de l’atrocité et des traitements inhumains subis. Un ancien inspecteur de police dans la région Ouïghoure, Jiang, a également fait part de l’arrestation de 900 000 personnes issus de minorités, à propos desquels il déclare qu’il s’agit de « gens ordinaires ». Le chercheur Adrian Zenz, connu pour ses études sur la politique chinoise dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang et au Tibet, a mis au jour un document de l’administration chinoise provenant de la ville de Hotan mandatant la mairie à stériliser 14 872 femmes ouïghoures.

En réaction à cette sanction, Pékin a pris à son tour des contre-sanctions, consistant en une interdiction de séjourner et de faire des affaires en Chine à l’égard de quatre entités et de dix responsables européens dont l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann et le chercheur allemand Adrian Zenz. En retour, le Parlement européen a déclaré que tant que la Chine ne lèverait pas ces sanctions, aucun accord global entre celle-ci et l’Union européenne ne serait ratifié. Par le biais de cette décision, l’Union européenne, première puissance économique mondiale, peut faire pression sur la Chine, qui reste son premier partenaire commercial en matière d’exportation. 

D’autres sanctions européennes pourraient intervenir dans la lignée de ces premières mesures. Ainsi, le 14 septembre 2021, Ursula von der Leyen a annoncé une prochaine proposition portant sur l’interdiction de la vente de produits fabriqués par le biais du travail forcé, ajoutant que le « commerce mondial ne peut jamais se faire au détriment de la liberté et de la dignité des personnes. » Tout récemment, la Commission européenne a annoncé qu’elle présenterait en septembre 2022 le règlement bannissant l’importation de produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union. Ce règlement, initialement prévu en 2024, verrait le jour deux ans plus tôt. Ce qui semble démontrer une nouvelle dynamique de l’Union, qui comme l’a communiqué la Commission européenne souhaite élaborer tout une « stratégie visant à promouvoir le travail décent dans le monde ». 

Agathe FOURCAUD

 

La dictature numérique derrière laquelle se cache la répression ouïghoure

« Remettre le génie dans sa bouteille », il s’agit là de l’une des dernières phrases qui clôturent le documentaire Tous surveillés : 7 milliards de suspects réalisé par Ludovic Gaillard et Sylvain Louvet. Ils entendent montrer que notre quête infinie en matière de sécurité menace chaque jour un peu plus nos libertés individuelles. Nos dirigeants mènent une guerre sans relâche contre l’insécurité depuis des décennies. Particulièrement, en France depuis l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice où un camion a foncé sur la foule en ce jour de fête nationale, tuant 82 personnes et alimentant par la même occasion, le sentiment de peur grandissant des français. 

La lutte contre la peur, c’est ce qui va amener la ville de Nice à expérimenter pour la première fois en France, un système de reconnaissance faciale. C’est l’entreprise Any Vision qui va lui fournir, dont le fondateur, Amir Kain est un ancien responsable du contre-espionnage israélien comme la plupart des créateurs de ces entreprises spécialisées dans la cyber-sécurité. Ainsi, de nombreux partenariats vont naître entre des entreprises privées et des États afin de répondre à ce besoin croissant de sécurité chez les populations, et ceux-ci financés par l’agent public. 

Leur enquête va les mener jusqu’en Chine, berceau de l’intelligence artificielle, le nouvel outil fétiche de Xi Jinping pour asseoir un peu plus son pouvoir sur la population. En effet, entre 2013 et 2020, le nombre de caméras à reconnaissance faciale a été multiplié par 6, soit 1 caméra pour 2 habitants. Il a instauré un système de notation des citoyens, avec des notes allant de A jusqu’à D, et des sanctions qui y sont associées. Les moins bien notés voient alors leur photo affichée dans les centres commerciaux afin de les humilier et sont limités dans leurs déplacements. Mais c’est en arrivant dans la province du Xinjiang que la surveillance électronique par le Parti communiste chinois est la plus frappante. Le 5 juillet 2009, de violentes émeutes opposant Ouïghours et Hans, le groupe ethnique chinois majoritaire, éclatent à Ürümqi. Cet affrontement interethnique marque un véritable tournant dans leurs relations puisque le gouvernement va mener une véritable compagne de surveillance de masse et d’emprisonnement du peuple Ouighours sous couvert de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme religieux. Ainsi des dispositifs tels que des enregistreurs vocaux dans les voitures de police, capables d’enregistrer les conversations dans la rue. Ou encore des décodeurs sont installés dans les familles afin d’enregistrer leurs moindres mots. Mais également, des QR codes sont collés sur chaque porte, pour qu’en les scannant les policiers voient le nombre de personnes présentes dans le foyer. Et même, certains cadres, appelés des « faux cousins » passent 1 mois dans les familles pour surveiller leurs moindres faits et gestes. 

Enfin, le dispositif le plus révoltant est une application nommée « la plateforme d’utilisation conjointe intégrée » utilisée par les policiers. Il s’agit d’un algorithme sélectionnant les Ouïghours envoyés dans des « camps d’enseignement » sur des critères totalement aléatoires. En effet, le seul fait d’avoir une consommation d’électricité plus élevée, l’achat de matériel de sport, d’un coran ou encore la couleur d’un véhicule, sont des prétextes pour être incarcérés. 

Ainsi, il manque 3 à 4 personnes dans chaque famille. Celles-ci sont envoyées dans des camps et très peu en réchappent. L’objectif de cette rééducation est de briser l’identité des Ouïghours selon Sophie Richardson. On les force à parler le mandarin, à prêter allégeance au régime, ils sont entassés dans des cellules à 60, enchaînés, sans aucune hygiène, et constamment sous médicaments. Une réfugiée aux USA, Mihrigul Tursun a survécu à ces camps et elle raconte qu’elle en garde des séquelles terribles, notamment inconsciemment, elle chantonne les airs des chansons du parti, que ses bourreaux la forçaient à réciter à longueur de journée. Lors de leurs investigations, Sylvain Louvet et son équipe ont été constamment suivis par des policiers. On a tenté de leur faire supprimer leurs images, ce qui montre la volonté de la République populaire de Chine de cacher cette répression qu’elle mène contre les Ouïghours. Mais Xi Jinping ne compte pas s’arrêter là, puisque de nouvelles routes de la soie numérique sont en train de se créer, avec à la clé, les technologies de surveillance chinoises s’exportant en Europe. 

Une tendance inquiétante, renforcée par la pandémie qui alimente un peu plus la peur de la population. Cette technologie est maintenant à notre portée, ne serait-ce qu’en entrant dans un restaurant, nous scannons et sommes scannés. 

Cette tendance s’exporte partout dans le monde. Aux USA, le FBI est même capable de reconnaître 50% des personnes du pays en 1 photo. Mais une ville résiste encore et toujours à l’envahisseur, San Francisco qui est la première ville au monde à bannir la reconnaissance faciale de ses rues avec la volonté de « remettre le génie dans sa bouteille » avant qu’il ne soit trop tard pour nos libertés individuelles. 

Lili CHOMETTE

Sources :

Source image : Illustration Alice Poulain.

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