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jeudi 18 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

La première marche féministe antiraciste à Saint Denis Réponse à un féminisme blanc dominant en France

Cette marche, c’est celle d’amies qui n’avaient pas de place dans aucune mobilisation”, explique Hanane Ameqrane, co-organisatrice de la manifestation qui a eu lieu le 15 octobre 2022 à Saint Denis, dans la banlieue parisienne.

Une instrumentalisation de la souffrance des femmes
à des fins politiques discriminatoires 

Le lieu et la date sont significatifs pour les militantes ayant mis en place la marche : le 15 octobre commémore les 20 ans du féminicide de Sohane Benziane, brûlée vive dans un local poubelle à Vitry sur Seine, à seulement 17 ans. 

Cette tragédie avait entraîné plusieurs mobilisations qui ont conduit à la création de l’association Ni pute ni soumises, qui s’est malheureusement éloignée de sa volonté principale de mettre en lumière les discriminations que subissent les femmes issus de milieux populaires.

Mis à part les critiques relatives au nom de l’association, perçu comme putophobe par les travailleuses du sexe, l’association a également mené plusieurs campagnes stigmatisant les hommes racisés des quartiers en les désignant comme responsables de toutes les violences subies par les femmes. L’amplification médiatique de ces campagnes ont provoqué une ethnicisation du sexisme.

En plus de la diabolisation des hommes des banlieues, Ni putes ni soumises a connu d’autres vives critiques concernant sa présidente, Fadela Amara, qui a été sujette à de nombreuses polémiques après avoir intégré le gouvernement de François Fillon. Certains considèrent que la présidente de l’association aurait instrumentalisé la mort de Sohane Benziane pour propulser sa carrière politique.

La double peine des femmes racisées :
victimes du sexisme, exclues du féminisme 

Les militantes de Saint Denis souhaitent donc réécrire l’histoire du féminisme des quartiers et se détacher de cet héritage qui a contribué à la démocratisation d’un fémonationalisme aux idées universalistes discriminatoires des minorités ethniques et religieuses.
Au sein de cette marche, on retrouve entre autres des collectifs et associations luttant contre l’islamophobie, contre les violences policières et les violences faites aux minorités LGBTQIA+, pour un féminisme décolonial ou encore pour les droits des femmes d’Outre-mer. 

L’initiative des organisatrices était de créer un espace où une convergence de toutes les luttes deviendrait possible, en opposition à un féminisme blanc et bourgeois bien trop envahissant dans les milieux militants en France.
En effet, lorsque l’on cumule des oppressions, qu’elles soient reliées aux origines, à la religion, à la sexualité ou encore à la précarité, se sentir à sa place dans le militantisme d’aujourd’hui devient quasi impossible.

Le mouvement féministe a certes gagné en popularité, en mettant  néanmoins souvent de côté les revendications des femmes issues des minorités. Une réelle invisibilisation de leurs  problématiques est lourdement ressentie, en plus d’un oubli du passé féministe français colonialiste. Par exemple, derrière la célébration des figures politiques qui ont permis l’acquisition du droit de vote des femmes en France,  se cache la réalité des millions de femmes racisées des anciennes colonies françaises, qui ont acquis leur droit une dizaine, voire une vingtaine d’années après leur “soeurs” blanches.

“Les hommes nous violentent, les blanches nous trahissent” : ce slogan peut être lu sur une pancarte lors de la marche, qui prouve que la hiérarchie des droits entre les femmes blanches et les femmes racisées est toujours d’actualité. 

Pour une démocratisation des espaces militants intersectionnels :
vers une convergence des luttes 

L’histoire du féminisme colonial est donc restée ancrée en France : celui-ci s’illustre parfaitement à travers la récupération politique des violences subies par les femmes et  par la sur-médiatisation des cas de féminicides commis par des hommes racisés.
Un collectif connu pour son « féministe identitaire » est  Némésis, qui fait reposer l’entièreté de sa campagne sur le racisme, l’islamophobie, et la lutte contre l’immigration.

Pour les militantes de ce collectif, si les hommes immigrés n’étaient pas présents en France, les violences sexistes et sexuelles diminueraient considérablement. Elles n’hésitent donc pas à préciser sur leurs affiches, à chaque nouvelle agression, viol ou féminicide, l’origine étrangère de son auteur (exemple : “Une femme violée par un algérien”, “Une femme violée par trois migrants soudanais”).

Un élément souvent éludé dans leurs revendications racistes est le fait que  90% des victimes de viol en France connaissent leur agresseur ; ce qui signifie que dans l’écrasante majorité des cas, la violence ne correspond pas au schéma stéréotypique dans lequel l’agresseur est un homme issu de l’immigration qui violente une femme blanche.
Cela étant, vous ne verrez pourtant jamais les collectifs des femmes racisées produire ce type d’affiches portant comme inscription “Une femme violée par son mari blanc” “Une femme sexuellement aggressée par son oncle blanc”. Cette inversion de la situation paraît grotesque, mais elle met en lumière la réalité de certaines luttes féministes des femmes blanches aujourd’hui en France. 

Les femmes racisées sont donc instrumentalisées dans un combat de politique de haine, qui dresse leurs pères, leurs frères, leurs proches, comme responsables de toutes les atrocités perpétrées à l’encontre des femmes. Les femmes racisées n’ont pas à choisir entre l’antiracisme et le féminisme pour rejoindre la lutte contre les violences patriarcales.

La création d’espaces comme la marche féministe antiraciste est donc plus qu’un besoin, c’est une urgence pour les femmes racisées, les femmes musulmanes, les femmes sans papiers, les femmes pauvres, les femmes des quartiers.
Il est urgent de redéfinir le féminisme. 

Le féminisme sera antiraciste, décolonial, anti-capitaliste, ou ne sera pas. 

Luttons pour un féminisme qui nous unit. 

Un féminisme qui lutte pour toutes les femmes. 

 

Sources :
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