L’univers de Barbie, le retour Top Gun au cinéma ou encore la Star Académie en France… Les références à l’époque de nos parents envahissent la pop culture aujourd’hui. On entend sans cesse des « c’était mieux avant », et même des marques de lessive comme le Bonux avec le cadeau à l’intérieur font leur retour, aucun domaine n’en est donc épargné. Le plus surprenant encore est que la Gen Z est qualifiée de génération nostalgique.
Tout d’abord, qu’est-ce que la nostalgie ?
A l’origine, la nostalgie vient du grec et signifie souffrance. Le terme est l’invention d’un médecin suisse, Johannes Hofer qui l’invente au XVIIe siècle pour qualifier le « mal du pays » que les soldats en mission à l’étranger, ou « le désir ardent de l’âme affligée à retourner dans sa patrie » en ses propres termes. Mais la connotation pathologique pend une tout autre dimension, avec les travaux de Fred Davis, sociologue américain qui la dissocie de la maladie et y associe du positif, notamment les souvenirs passés (souvent d’enfance) qui véhiculent un sentiment de sécurité. Il est donc intéressant de se demander pourquoi la génération actuelle est autant nostalgique du passé ?
La réponse n’est pas certaine, mais on peut la retrouver dans le réconfort qu’elle procure. La génération (Gen) Z (personnes nées entre 1997 et 2010) n’est certes pas la seule à éprouver de la nostalgie, cependant, il est intéressant de voir le rôle de la crise sanitaire en addition aux discours alarmants relatifs à l’avenir dans le retour de la nostalgie. « Je pense que beaucoup se tournent vers la nostalgie, même inconsciemment comme une force stabilisatrice et une façon de garder en tête ce qu’ils chérissent le plus », explique Clay Routledge, professeur de psychologie et auteure du livre Nostalgia : A Psychological Resource.
La nostalgie, des nostalgies ?
Il arrive qu’on soit nostalgique des dessins animés de notre enfance, qu’on regardait sans se prendre la tête, nostalgique des photos de nous-mêmes qu’on regarde et qui évoquent de bons souvenirs, cette nostalgie est personnelle et relative à notre vécue. Mais il arrive qu’on soit nostalgique d’une période qu’on n’a jamais vécu, cette nostalgie est historique et elle s’illustre par la popularité du rock, des années 1970-80s ou encore la fascination pour le cinéma classique chez la Gen Z qui n’a pas connu tout cela.
Tout cela explique pourquoi certaines productions deviennent aussi populaires, notamment la série Stranger Things dont l’intrigue se déroule en 1983, combinant la nostalgie personnelle de nos parents et la nostalgie historique des jeunes, qui n’ont que les aspects positifs de ces périodes en tête. D’un point de vue musical, on retrouve également un retour des sonorités des années 1970-1980 notamment chez des artistes comme Dua Lipa ou The Weeknd.
Un pansement face à l’incertitude
A priori, contrairement aux anciennes générations ayant vécu des crises, l’inquiétude liée aux discours anxiogènes relatifs à l’environnement, aux guerres et conflits impacte significativement la Gen Z, exposée en permanence à ces messages alarmants via les médias et réseaux sociaux. Beaucoup de jeunes disent ne pas vouloir d’enfants car ils craignent l’état du monde de demain, d’autant plus que la médiatisation des conflits actuels donne l’impression d’un monde chaotique, chassant tout espoir. C’est donc tout naturellement que la nostalgie devient un allié face au discours anxiogène. Du point de vue marketing, la nostalgie peut être perçue comme une stratégie : la crise étant une période d’incertitude, les marques ont tendance à « rassurer » les consommateurs et jouer sur la nostalgie pour augmenter les ventes. A titre d’exemple, on peut citer les paires « rétro » (Gazelle, Samba, Campus) chez Adidas qui ont fait leur grand retour dans la mode.
La Gen Z, une génération de crises
La nostalgie peut être perçue comme un élément social, avec cette volonté de retrouver le monde d’avant. On peut penser aux réunions de castings culte comme celui de Friends ou encore Harry Potter. Cela peut s’expliquer par la succession de crises, économiques, géopolitiques et sanitaires des dernières décennies dans laquelle cette génération s’est construite. Le confinement en a été le parfait exemple. Certains parlent même de « Newstalgia » à savoir l’envie de vivre à la fois quelque chose de familier et de totalement frais, proposer quelque chose de nouveau mêlant aussi anciennes tendances, l’ancien avec un aspect contemporain, dans le champ duquel entrent les éléments précédemment vus.
L’essor des réseaux sociaux et accentuation du phénomène
« Un voyageur peut toujours revenir sur ses pas. Mais sur l’axe du temps, il n’y pas de retour en arrière, ce qui est perdu l’est à tout jamais. » – Vladimir Jankélévitch.
A l’ère du numérique notamment avec l’essor de plateformes telles que Tiktok particulièrement, où chaque instant est capturé et diffusé, où les « trends » sont de plus en plus rapides et éphémères, la nostalgie prend la forme; non seulement celle de « refuge » mais elle aussi, s’intensifie. En effet, certains témoignent de leur nostalgie vis-à-vis du confinement, mais aussi des tendances virales de cette période sur les réseaux sociaux. Ainsi, on retient que le bon du passé : en étant nostalgique du « bon vieux temps », on passe à côté de la ségrégation, des guerres passées et de la pandémie, notre point de vue est donc biaisé. Un autre élément permettant d’expliquer l’accentuation de de la nostalgie chez les jeunes serait la facilité d’accès aux anciens films, séries et autres grâce aux plateformes de streaming.
La nostalgie, quelque chose de négatif ?
« Mettre un brin de nostalgie dans notre vie n’est pas une mauvaise chose mais elle doit rester un sentiment passager, épisodique, qui ne se transforme pas pour autant en regret ou en rumination », explique Patrick Estrade, professeur de psychologie.
La nostalgie a aussi ses effets néfastes, dans la mesure où elle peut nous mettre dans une situation confortable où le rejet, du moins les risques de rejet de la réalité existent. Notre vision altérée peut s’avérer être une expérience déceptive avec une insatisfaction qui ne saurait être comblée. A ce titre, on peut notamment penser à la déception des soldats qui pensaient retrouver le pays natal qu’ils avaient quittés chez lesquels un sentiment de frustration s’est manifesté.
En 1897, le sociologue Émile Durkheim écrivait Le Suicide, dans lequel il effectue une typologie du suicide qui est un fait social selon lui, lié aux manières d’agir et de penser qui sont perturbées par la société. Effectuant une typologie du suicide, on retrouve le suicide anomique qui serait causé par la perte des repères, des normes et la multitude de choix qui perturbent l’individu et ses attentes. Cela rejoint l’idée d’incertitude et d’instabilité qui risquent de provoquer des difficultés à évoluer et créant une tendance à se rattacher au passé. A contrario, le suicide fataliste serait lié à un surplus de normes importantes exerçant une pression sociale sur l’individu que les mesures prises durant la crise sanitaire illustrent parfaitement, créant elles aussi la nostalgie de l’époque pré-covid.
Ainsi, Durkheim écrivait « la mélancolie n’est donc morbide que quand elle tient trop de place dans la vie ; mais il n’est pas moins morbide qu’elle en soit totalement exclue », compte tenu de la confusion entre ces deux notions il est intéressant de constater qu’une forme d’équilibre est nécessaire dans nos vies.