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vendredi 26 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

La fausse information en temps de crise : Colin Powell et l’anthrax irakien

Avec l’avènement de la notion de « fake news », la fausse information entre au cœur du débat. Les médias se saisissent du « fact checking », s’amusent à illustrer l’erreur dans un discours. À travers la « fake news », il existe par ailleurs une notion moins médiatisée qui est celle de la fausse information créée, instrumentalisée et utilisée par un acteur censé être digne de confiance. User de fausses informations lorsque l’époque exige une médiatisation contrôlée autour d’un sujet n’est pas un concept récent. Les crises, en tout temps, s’alimentent et se contrôlent par la désinformation, laquelle est orientée en faveur ou en défaveur d’une action ou d’un discours. Parmi les nombreux exemples historiques dans lesquels une entité arrange l’information au profit de la gestion d’une crise, le discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité des Nations Unis le 5 février 2003 restera à jamais dans la mémoire.

 

Les événements du 11 septembre 2001,  nouvelle source d’antagonisme entre Hussein et les Etats-Unis

Le contexte dans lequel les Etats-Unis d’Amérique envahiront l’Irak, au tout début du XXIe siècle, est aujourd’hui maîtrisé de tous. Au lendemain du 11 septembre 2001, George W. Bush a à cœur de frapper fort. Le drame du World Trade Center et du Pentagone ne saurait être impuni. Oussama Ben Laden, hébergé par les Talibans afghans, est vite reconnu responsable. L’Afghanistan doit alors extrader celui à qui le roi d’Arabie Saoudite retirera la nationalité saoudienne sous peine de conséquences. Le 7 octobre 2001, une coalition internationale lance une vaste offensive contre le pouvoir en place. Les Talibans capituleront deux mois plus tard. 

Dans les esprits américains, les Afghans ne sont alors peut-être pas les seuls responsables de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire. Très rapidement à la Maison Blanche naîtront des interrogations sur une éventuelle implication du régime Baasiste de Saddam Hussein. Condoleezza Rice, responsable des questions de sécurité, informera aussitôt la rumeur. La CIA, par la voix de son directeur, envisagera une expression plus douteuse, notant un « mariage très fructueux entre Saddam Hussein et Ben Laden ».

La vérité autour de l’Irak est alors complexe. Bush rêvait de faire tomber Hussein avant même l’effondrement des « deux tours jumelles ». Le 11 septembre devient alors une occasion, un moyen de justifier l’anéantissement du pouvoir de Bagdad. Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense, le propose : « pourquoi pas l’Irak ? ». Le président Bush refuse dans un premier temps. Dans le plus grand secret, il demandera toutefois que soient pensés des plans autour d’une intervention en Irak.

 

Le discours du 5 février 2003, le mensonge puis la guerre

Le 5 février 2003, pendant plus d’une heure, Colin Powell, secrétaire d’Etat, monte à la tribune de l’ONU pour justifier une intervention militaire en Irak. Devant le Conseil de Sécurité, le représentant américain use du siège permanent, de la notoriété de la première puissance mondiale et du souvenir encore vif des attentats du 11 septembre 2001. Il y présente une liste de menaces imputables au régime de Saddam Hussein, parmi lesquelles l’usage d’armes de destruction massive (ADM).

Colin Powell, devant ses homologues ministres des Affaires étrangères, évoque des usines d’armes chimiques, des laboratoires mobiles, il y dévoile des photos satellites, des bunkers. Le secrétaire d’Etat ira même jusqu’à diffuser un enregistrement dans lequel on y entend des prétendus officiers irakiens parler « d’agents neurotoxiques ». Mais les Américains iront plus loin. En plein discours, Colin Powell décide de s’enliser dans ce qui restera l’un des plus grands mensonges de l’histoire. Il brandit alors une fiole d’anthrax, de « maladie du charbon », une maladie infectieuse grave que les irakiens développeraient comme arme de guerre.

En détournant le système onusien, américains et britanniques, coalisés avec des puissances militaires moins importantes, lanceront en mars 2003 l’opération « Liberté pour l’Irak ». Le pouvoir irakien chutera en une vingtaine de jours. Saddam Hussein, qui avait fui en avril, sera arrêté en décembre. Le pays se divise, la résistance à l’occupation s’organise tandis que les opposants de Saddam jubilent. L’Irak plonge dans la guerre civile.

 

« ADM », terrorisme et démocratie aux origines d’une intervention militaire

Aux origines de la guerre, George W. Bush invoque sa grande « guerre contre le terrorisme », avec tout ce qu’inclut la formulation maladroite. La première justification d’une guerre en Irak est alors douteuse. La deuxième, visant à accuser Saddam Hussein de préparer et de faire usage d’ADM se révèlera toute aussi fausse. Durant la guerre, les Nations Unis mèneront l’enquête. Dans un premier temps, les rapports ne trouveront aucune trace de l’anthrax brandi par Powell quelques années plus tôt. Dans un second temps, il sera même démontré que l’Irak avait abandonné le processus visant à acquérir la puissance nucléaire. 

Alors, il convient de s’interroger sur les raisons d’un tel mensonge, surtout lorsqu’on en maîtrise aujourd’hui les conséquences. Tout d’abord, il y a bien sûr la prévention du terrorisme et la destruction des armes de destruction massive ; ce sont là les justifications officielles. Ensuite, il y a ce que l’on pourrait qualifier de justifications officieuses. Les enjeux autour du pétrole sont les plus « connus », les plus évidents mais sont souvent mal interprétés. George W. Bush, qui a débuté dans l’industrie pétrolière et dont les financements de campagne provenaient en partie du même secteur, n’a pas voulu une intervention dans l’unique but de faire baisser les prix du pétrole. Le 43ème président des Etats-Unis d’Amérique s’inquiétait surtout de la toute-puissance de Saddam dans le Golfe. Dans la lutte contre l’ « axe du mal », les néoconservateurs avaient aussi à cœur de faire de Saddam Hussein un exemple. Les enjeux autour d’une démonstration de force sont, pour certains, le cœur de l’intervention en Irak. Dans la lignée, les Etats-Unis, forts de leur victoire devant le monde entier, en auraient profité pour exporter la démocratie, un concept alors en vogue. Ce qu’il faut comprendre derrière la création d’une Irak démocratique, c’est la diminution de la dépendance américaine vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, pour le coup réel allié du terrorisme islamique. 

 

Une « tâche » en Amérique, un drame au Moyen-Orient

En définitive, le mensonge de Colin Powell au Conseil de Sécurité des Nations Unis du 5 février 2003 restera gravé dans les mémoires. Si son auteur, récemment décédé de la Covid 19, qualifiait son discours de « tâche » dans sa carrière dans un ouvrage J’ai eu de la chance publié en 2013, la qualification ne sera qu’un euphémisme. Les conséquences seront immenses pour l’Irak, pour les Irakiens, mais les conséquences seront voulues. Plus de dix ans avant l’intervention britanno-américaine de 2003, George H. W. Bush, le père, avait dû se limiter au Koweït. En 1993, Bush-père s’y rendra et évitera une voiture piégée. FBI et CIA attribueront la tentative à Saddam Hussein. « C’est un type qui a essayé de tuer mon papa ! » lancera dix ans plus tard le fils, devenu président des Etats-Unis d’Amérique. Histoire de mensonge ou histoire de vengeance, l’invasion de l’Irak sera à jamais l’illustration de la « fake news » en temps de crise.

Sources :
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