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mardi 17 juin 2025

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

La contemplation de l’art ou la thérapie de l’Homme

On parle souvent de l’art-thérapie comme la démarche d’accompagnement thérapeutique qui utilise les matériaux artistiques, le processus créatif, l’image et le dialogue, et vise l’expression de soi et/ou la conscience de soi. Cette définition implique un geste actif de la part du sujet, mais comment désigner les effets d’un art sur son spectateur ?

Photo de l’autrice du tableau « Renaud présentant un miroir à Armide » de Dominiquin au XVIIème siècle, exposé au musée du Louvre à Paris.

Le mot thérapie (therapéuô en grec ancien) signifie « servir, prendre soin de, soigner, traiter ». L’être humain, dans toute sa complexité, a historiquement toujours eu à se soigner, qu’il s’agisse d’un mal physique, ou psychique. Mais alors que certains se soignent traditionnellement par des médicaments, une infusion et beaucoup de sommeil, d’autres se rendent dans un musée, mettent leurs écouteurs ou vont au cinéma…

Le cerveau face à l’art

Lorsque l’on contemple une œuvre, qu’elle soit visuelle, auditive, ou les deux, notre cerveau ne reste pas insensible. En effet, de nombreuses études ont été menées et leurs résultats ont été reconnus par la communauté médicale internationale comme le montre un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé en 2019 intitulé What is the evidence on the role of the arts in improving health and well-being? (soit Quelles sont les preuves du rôle des arts dans l’amélioration de la santé et du bien-être ?)

Les auteurs de ce rapport se basent sur plus de 900 articles scientifiques traitant de ce sujet et reposant sur des études de cas. Dans une interview avec Radio France, le neurologue Pierre Lemarquis, grand auteur de cette thématique (notamment avec son livre L’art qui guérit publié en 2020) explique la présence de deux réactions.

Notre cerveau peut être partagé en deux parties distinctes. Une partie qui prend en compte les informations qu’on lui fournit (par des capteurs sensoriels) et d’autre part, une partie qui fait un lien entre ces informations et notre mémoire afin d’engendrer une prise de décision quant à notre réaction face à ces informations. L’art agit sur ces deux parties, puisque ce dernier nous parvient à travers nos sens et est traité par notre cerveau comme une information. Ainsi, cette information va être mise en relation avec des souvenirs, parfois doux et agréables, parfois amers et douloureux, parfois les deux en même temps, lorsqu’ils nous rendent nostalgiques.

Le lien avec ces souvenirs est capital : il est parfois important lors d’une thérapie de renouer avec son passé. Le cas le plus parlant est celui de l’utilisation de l’art face à des patients atteints d’Alzheimer. L’écoute d’une musique ou encore la vision d’un film ou d’une photographie, peinture, dessin ou sculpture peut agir comme une percée dans la mémoire de son auditeur / spectateur. Cette méthode est d’ailleurs souvent utilisée dans les Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). Mais pour illustrer ce phénomène, passons par un sentiment que tous les êtres humains ont certainement expérimenté : nous avons tous cette musique qui nous rappelle un soir d’été, ce film qui nous rappelle notre première sortie au cinéma entre amis au collège, ce livre qui nous rappelle ce long trajet en voiture dans notre enfance… Les exemples sont encore nombreux, mais nous en n’avons pas encore fini avec notre étude scientifique.

En dehors de ces deux parties principales, une troisième a un rôle important. Cette dernière se compose des différentes zones du cerveau qui sont réputées pour agir sur nos émotions, notamment en stimulant des hormones comme la dopamine, la sérotonine ou l’ocytocine (pour les plus connues) qui dirigent notre plaisir. Ainsi, face à une œuvre d’art qui nous plait, il est scientifiquement prouvé que la production de cortisol diminue (ce qui fait baisser le stress), tandis que la production des hormones du plaisir s’accélère (comme c’est le cas de la dopamine, connue pour être l’hormone de la joie)

L’art : une quête de sens

Certes, la neuroscience de l’art est particulièrement intéressante et se révèle être la principale explication du bien-être que nous éprouvons face à ce dernier. Cependant, il est possible de pousser plus philosophiquement le rôle de l’art, puisque ce dernier est un moyen de transcender le quotidien.

L’art que nous contemplons est une production de l’humanité, dont nous faisons partie. Il s’agit d’ailleurs probablement de la plus belle chose que l’Homme ait jamais créée (et ce jugement de valeur n’est pas risqué à affirmer). Lors d’une thérapie et du soin d’un mal-être profond, l’art nous invite à nous introspecter, à réfléchir, à nous construire, mais aussi à rêver et à imaginer. Son esthétisme est reposant, réconfortant, plaisant ; mais cela n’est pas sa seule qualité (loin de là).

L’art est une façon de transmettre, de partager, de souder et de rapprocher : ce qui est une réponse à un sentiment de solitude parfois insupportable. Il s’agit d’une connexion avec les autres, d’une main tendue, prête à aider et à accompagner dans la noirceur d’une maladie mentale, ou d’un épisode de déprime en comblant le vide produit par le chaos des pensées négatives. Au-delà de cette connexion entre les êtres humains, l’identification à une œuvre d’art, qu’il s’agisse au personnage d’un roman ou aux paroles d’une musique, permet une thérapie par la construction de soi via une introspection. Il agit alors comme miroir qui nous rattache à des émotions et redéfinit notre rapport au monde, dont la souffrance que traversent certains.

De plus, l’art peut nous permettre de purger nos émotions. Ce phénomène datant de la Grèce Antique se nomme catharsis (venant de katharsis, signifiant nettoyage et purification). En contemplant une œuvre, nous sommes confronté.e.s à nos émotions, que nous éprouvons d’une manière naturelle et sans jugement. Ce phénomène est personnel à chacun.e, et agit dans certains cas comme une réelle thérapie, si ce n’est une guérison. Cela s’explique par la libération d’une charge et d’une douleur (physique ou psychique encore une fois).

Sans forcément produire son art (car l’art-thérapie désigne en premier lieu la thérapie par la création), il est possible donc de s’exprimer à travers cette contemplation, qu’il s’agisse de ressentir librement ses émotions, ou de s’identifier. Dans ces deux cas, il s’agit d’avoir conscience de se révéler face à l’œuvre, et d’établir une sorte de dialogue. En effet, je donne un sens à l’œuvre en l’interprétant, mais elle me révèle qui je suis en créant une réaction chez moi.

C’est en réalité ce dialogue qui est vu comme bénéfique par les patients atteints de troubles de l’humeur, de troubles psychotiques, de troubles anxieux ou de troubles neurodéveloppementaux, neurocognitifs ou somatoformes. Ces derniers peuvent alors exister en dehors de leur maladie, et se créant une identité qui leur correspond. C’est en existant sans leurs troubles, que ces patients vont réussir à soigner leurs maux, ou du moins à les apaiser. L’art thérapie est d’ailleurs utilisée dans de nombreux établissements médicaux, qu’il s’agisse des EHPAD, des centres psychiatriques, des cliniques ou des hôpitaux.

Afin de conclure cette étude, quoi de mieux que de vous inviter vous-même à expérimenter l’art-thérapie au sens large : en créant votre art ou en contemplant une œuvre existante. Ainsi pourriez-vous comprendre les bienfaits de ce dernier (biologiquement et psychiquement), et le sens qu’il donne à notre existence (sans qu’on s’en rende trop compte). Alors prenez une paire d’écouteurs, lancez la musique, plongez dans vos souvenirs et ressentez.

Sources :
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