“I am a necessary part of an important search to which there is no end.” (“Je suis un élément nécessaire d’une importante recherche à laquelle il n’y a pas de fin”).
Connu principalement pour ses œuvres gigantesques de Pop-art réalisées sur toile ou à même les murs, Keith Haring s’est également distingué par son militantisme.
Né en 1958 dans une Amérique en pleine recomposition, il s’inquiète de l’état du monde. Alors, il peint les années 70 et 80 telles qu’elles sont, l’image d’une société grevée par la crise pétrolière et la récession. Fort d’une conscience sociale qu’il subit plus qu’il ne la supporte, il écrit en mars 1982 qu’il ne rêve pas de changer le monde ni de le sauver, mais simplement d’en faire partie, d’y contribuer, en tant qu’homme et artiste. 1982 c’est pour lui le début d’une courte mais prolifique carrière. En effet, suite au succès croissant de ses graffs, réalisés notamment dans le métro new-yorkais, il organise sa première exposition solo, sous l’œil de son mentor, Andy Warhol, véritable pape de la Pop-culture.
Rapidement, sans réfléchir, il s’empare des causes politiques et sociales de son époque: le nucléaire, le régime sud-africain de l’apartheid, l’homophobie… il en fait une méthode cathartique par laquelle il peut se purger de ses peurs, s’échapper de cette société qui lui fait honte. A travers ses personnages psychédéliques, soulignés d’épais traits noirs, qui le rendent si reconnaissable, il cherche plus que tout à engager la réflexion sur les drames de la société contemporaine et ce, sans jamais aucune considération pour le genre, l’orientation sexuelle, l’origine ou la couleur de peau du public. Cette diversité à laquelle il tient tant, il la retrouve notamment lors de ses sorties dans l’underground new-yorkais, et en particulier au Club 57. C’est ici qu’il rencontre la jet-set du moment, de Madonna à Klaus Nomi, mais surtout Basquiat, figure essentielle du monde artistique de l’époque, avec qui il se fera “leader des rues”.
Porte-parole des mouvements silencieux, il réalise en 1986 deux de ses fresques majeures: l’une, sur les murs de la Grosse Pomme, “Crack is wack” (“Le crack ça craint”) cherchant à dénoncer l’épidémie de drogues qui touche alors les minorités américaines, et l’autre, sur le mur de Berlin, qui disparaîtra malheureusement avec lui en 1989.
Ludiques mais éloquentes, ses œuvres seront utilisées dans de nombreuses campagnes de sensibilisation sociale, en partenariat avec l’UNICEF, ou avec ACT-UP dans le cadre de la lutte contre le SIDA.
S’il souffle un vent de liberté dans les années 80, c’est aussi le début d’une véritable épidémie, celle mal nommé “cancer gay”, et de son lot de désinformations. Peu à peu des voix s’élèvent, levant le voile sur une maladie alors méconnue et stigmatisée. Encore aujourd’hui, la clef de la lutte contre le SIDA reste la prévention. Certaines célébrités, parfois elles-mêmes séropositives comprennent alors l’importance de libérer la parole, et ce malgré le mépris de l’opinion publique. C’est ainsi que dès 1985, Rock Hudson, acteur mondialement connu choisit de révéler sa séropositivité et par la même son homosexualité. C’est la première star à oser le faire! Adulé auparavant, il inspire maintenant le dégoût, se voit interdit de vol par les compagnies aériennes et méprisé d’Hollywood. Keith Haring, qui soutenait déjà par ses œuvres, la libération homosexuelle et la promotion du “safe-sex”, est impacté par la violence de cette maladie qui touche massivement ses proches.
Ce combat est personnel pour le jeune artiste. Depuis 1985 il écrit se douter être porteur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), mais ne sera officiellement diagnostiqué qu’en 1988. Cette maladie, sa maladie, devient alors le sujet majeur de son travail. Dès le début de l’épidémie, le peintre réalise un immense tableau, “Untitled (Aids)” , où le malade du SIDA est marqué d’une croix rouge, véritable pestiféré contemporain.
Cette œuvre fait écho à la tempête médiatique de l’affaire Ryan White. Jeune séropositif de 13 ans, contaminé à la suite d’une perfusion de sang, il a vu professeurs et parents d’élèves faire front pour l’empêcher de retourner à l’école. L’artiste met alors en lumière la réalité de la pression collective qui pèse sur les malades, littéralement ostracisés par le reste de la société.
Sur une affiche réalisée pour la campagne ACT-UP, le graffeur reprend avec ses figures, la symbolique est-asiatique des trois singes de la sagesse : « ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ». Il représente ainsi l’opprobre qui pèse sur les séropositifs et tente tant bien que mal d’éveiller les consciences sur la maladie, en particulier celles de la communauté gay. Il y ajoute comme slogan “IGNORANCE= FEAR”, “SILENCE = DEATH”, “FIGHT AIDS, ACT UP”.
Cet engagement, surtout en tant que malade, fait preuve d’une grande force à une époque où le SIDA est vu comme une punition divine à l’encontre des homosexuels voire comme les justes conséquences de la libération sexuelle des dernières décennies. C’est un risque que Keith Haring, pourtant dépendant de l’opinion publique par son statut d’artiste est prêt à prendre, même s’il estime que les années 1980 ne sont “pas un moment facile pour être en vie”.
Il graffe ainsi dans le monde entier, pour que plus personne n’ait à souffrir du silence, ou du moins, pas du sien.
C’est notamment le cas à Barcelone, où il réalise en 1989 une fresque de près de 34 mètres de long dans le quartier du Raval, ravagé à cette époque par le virus. Intitulée “Todos juntos podemos parar el sida” (“Tous ensemble nous pouvons arrêter le SIDA”), un énorme serpent y est représenté comme allégorie de la maladie emportant tout sur son passage.
S’il est terrifié par le mal qui le ronge, par cette “mort à petit feu” qui approche, il garde le goût des couleurs et de la lutte jusqu’à la fin. C’est cette vision de la mort qui réveille en lui le sentiment de la vie.
En 1988, il commence la série “Apocalypse”, en collaboration avec l’écrivain William S. Burroughs. Cette œuvre majeure, au paroxysme de l’art au service du militantisme, s’élève une dernière fois contre le silence qui pèse sur le VIH. Son nom issu d’une conférence donnée par l’auteur, évoque les quatre cavaliers de l’Apocalypse : conquête, guerre, famine, mort (ou épidémie). Keith y représente un État abandonnant son peuple aux affres de la maladie.
Même si l’artiste-graffeur n’a jamais voulu voir son art réduit à “une activité élitiste réservée à l’appréciation d’un nombre réduit d’amateurs”, mais comme s’adressant à tout le monde, son engagement se verra pourtant rétribué avec le temps. En effet, en 2022, un exemplaire de la série sera vendu 151 200 dollars. Point culminant de sa rage de lutter, il crée en 1989, la Keith Haring Foundation, dont la mission est de soutenir, de développer et de protéger son héritage, mais également d’obtenir des financements pour soutenir des organismes venant en aide aux enfants défavorisés ou engagés dans la recherche et la prévention contre le VIH et le SIDA. La même année, il prend la parole dans le magazine Rolling Stones : « le plus dur, c’est de savoir qu’il y a tant d’autres choses à faire. ». Il exprime par là, sa peur de ne plus pouvoir lutter un jour, de devoir partir sans avoir terminé le combat. Des complications dûes à la maladie l’emporteront le 16 février 1990. Il n’avait que 31 ans.
Keith Haring a prouvé par son militantisme l’importance sociale et politique de l’art qui s’est ici dressé comme le meilleur des moyens de prévention contre la maladie. Ses œuvres, par leur justesse, en restent encore aujourd’hui le symbole, comme ici, à Lyon, où une copie d’une oeuvre de la série “Fight AIDS” peut être observée à l’ombre du pont Morand.