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mercredi 16 octobre 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Justice en mutation ; regards croisés sur la politique pénitentiaire.

Le 31 juillet 2023, la France inscrit un nouveau record historique avec 74 513 personnes incarcérées pour 60 000 places dans les prisons. Cette augmentation permanente des chiffres inquiète et pointe du doigt divers enjeux des politiques carcérales.

Ce sont notamment les nombreux arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamnant la France pour l’indignité observée au sein des prisons françaises qui alarment sur la situation actuelle pénitentiaire. L’arrêt J.M.B et autre contre France en date du 30 janvier 2020 en a singulièrement fait état à propos du manque d’espace individuel pour chaque détenu.

Cette condamnation fait écho au projet pénitentiaire immobilier lancé par le gouvernement d’Emmanuel Macron le 11 septembre 2018, ce dernier souhaitant la création de 15 000 places supplémentaires au sein des prisons françaises, par différents aménagements, constructions, rénovations de celles-ci afin de lutter contre la surpopulation carcérale.

Ce plan prévu pour 2023 révolutionnant le parc immobilier pénitentiaire français était d’ampleur puisqu’il avait pour ambition d’obvier à la surpopulation carcérale, mais également d’adapter les prises en charge des détenus afin de prévoir une meilleure réinsertion ainsi qu’une amélioration des conditions de travail du personnel pénitentiaire. Cependant, ce projet n’a pas connu un tel retentissement, pour cause, un retard en continuelle croissance. Dès lors, ces 15 000 places ne verraient officiellement le jour qu’en l’année 2027, cette date, elle-même perpétuellement repoussée par les différents rapports.

Ce projet se veut promoteur de la course à l’encellulement individuel. Principe du droit pénal depuis 1875 qui « garantit en effet aux personnes détenues d’être placées seules en cellule sauf demande expresse de leur part si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’elles ne soient pas laissées seules ou en raison des nécessités d’organisation du travail » n’ayant pour le moment jamais été respecté.

Bien que ce projet soit fait d’ambitions positives in futurum, notamment quant à cet objectif d’encellulement individuel, il ne semble pas répondre aux principaux enjeux du milieu carcéral. Antoine Lefèvre, rapporteur du projet, dénoncera que « la politique publique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière ».

En réalité, s’efforcer en un plan de reconstruction des prisons françaises, bien que prôné par la majorité des candidats sur l’échiquier droite à l’élection présidentielle de 2022, ne conduirait pas à une meilleure réinsertion dans la société et produirait un effet contraire.

Une méconnaissance de l’emprisonnement est reprochée aux élus notamment par Cecile Marcel, directrice de l’Observatoire International des Prisons avertissant sur le risque accru des récidives après l’enfermement. D’autres, comme le Conseil de l’Europe, s’attachent à dénoncer que cette politique coûteuse de construction de nouvelles places, représentant plus de 4,5 milliards d’euros, ne résout en rien l’inflation carcérale.

Ces derniers contestent l’entièreté du principe de l’emprisonnement en abordant une vision de la justice plus contemporaine sous le prisme d’alternatives telles que des aménagements de peine d’emprisonnement.

Cette conception de la peine est partagée et soutenue par la plupart des parties alliant la gauche envisageant le financement de la recherche axée sur « la préparation à la réinsertion ainsi que la prévention de la récidive ». L’orientation donnée est celle d’une nouvelle formation du personnel du service pénitentiaire afin que ces derniers conduisent au mieux les détenus dans une démarche de sortie proche.

La préconisation est également celle de l’investissement dans des organismes spéciaux tels que les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Les SPIPS assurent à différentes échelles le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert ainsi qu’en milieu fermé. Ces derniers ont un rôle tout particulièrement important car ils préviennent la récidive et sont détonateurs d’une meilleure réinsertion notamment socio-professionnelle. Néanmoins, ces projets proposés n’étaient assortis d’aucune dimension chiffrée, dès lors leur réalisation et effets ne sont pas mesurables.

 

Le projet global pénitentiaire du mandat Macron, au delà des 15 000 places supplémentaires en prison, ne se concentre pas sur le sort des SPIP mais s’attache à favoriser le destin des Structures d’Accompagnement vers la Sortie (SAS) pouvant accueillir des individus condamnés à une peine de moins de deux ans ou encore en fin de peine. Cette timide tendance française à la diversification de l’emprisonnement est vectrice d’une justice plus adaptée aux détenus qui privilégie un accompagnement personnel, pouvant envisager plus sereinement le retour à la liberté.

En somme, nombreuses sont les propositions de projets de réforme de la dynamique pénitentiaire. Le projet français proposé en 2018 des 15 000 places, malgré les récentes inaugurations de nouvelles prisons, peine à rencontrer le succès, faute de politiques publiques et budgets conséquents, tandis que ses voisins européens réussissent à se défaire peu à peu de l’inflation carcérale.

C’est effectivement le cas de l’Allemagne qui connaît un faible taux d’incarcération. L’Allemagne a fait le choix d’interdire le recours à l’emprisonnement pour les courtes peines, ne considérant plus la prison comme l’unique moyen de peine, réduisant sa population incarcérée. Cela permet ainsi un emprisonnement davantage constructif avec un accompagnement renforcé au sein des structures et un accès accru à la culture.

L’effort français pour ces prochaines années pourrait être de porter l’interrogation sur l’efficience de l’emprisonnement comme réponse systématique, avec comme source d’inspiration ses pays limitrophes. L’effort serait également de tendre vers davantage d’alternatives à l’incarcération telles que les travaux d’intérêt général ou encore les programmes de réhabilitation en milieu ouvert. Enfin, les délais actuels d’attente avant jugement pourraient être questionnés afin de rompre le cycle infernal des détentions préventives prolongées.

 L’enjeu reste ainsi de marbre pour la France, celui d’améliorer nettement les conditions d’incarcération, vaincre le surpeuplement carcéral, en prévenant la récidive, mais aussi en adaptant la justice contemporaine avec l’ouverture de services nouveaux tels que les SAS. Ces projets novateurs et ambitieux accompagnés d’initiatives inédites, en plein essor, telles que la justice restaurative, permettant de repenser les politiques de lutte contre la criminalité privilégiant l’accompagnement, la prévention, la réadaptation plutôt que la seule répression.

Sources :
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