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vendredi 19 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Jonglage de scandale en scandale : zoom sur la Coupe de Monde au Qatar

Nous y sommes ! Le coup de sifflet a retenti ce dimanche 20 novembre au Qatar en signe du début de la Coupe du Monde de football 2022. Moment estival, festif et joyeux, le mondial est l’évènement qu’on attendait tous… Enfin ça, c’était pour les autres années. Bouleversement du calendrier, scandales, boycotts, non-respect des droits de l’Homme. Ce mondial s’annonce d’anthologie. 

 

Tout a commencé en 2010. Le jeudi 2 décembre, la FIFA annonçait le Qatar comme Etat organisateur de la Coupe du Monde de Football en 2022. Surprise générale, alors que les États-Unis étaient annoncés comme les grands favoris. Avec cette désignation la FIFA s’est voulue novatrice. Cette nomination est hautement symbolique, le Qatar devient le premier pays du Moyen-Orient à accueillir un grand évènement sportif. 

 

Mais l’effusion de joie et de fierté a vite été rattrapée par la dure réalité. Les scandales se sont enchaînés : corruptions, esclavagisme moderne, désastre écologique… S’en est trop ! A un an du début de la compétition, les organisations de défense des droits de l’Homme appellent à un boycott ferme. 

 

Petit rappel chronologique

 

  • 2012 : les premiers soupçons de corruption du gouvernement qatarie qui aurait versé des pots de vins pour être désigné organisateur.
  • 2014 : c’est le déluge ! Le Sunday Times publie une enquête explosive sur la corruption au sein de la FIFA. Ensuite, choc pour les supporters, le mondial se déroulera en fin d’année. Et pour finir, les premiers rapports sur le non-respect des droits de l’Homme sur les chantiers des stades tombent. 
  • 2021 : des conséquences catastrophiques sont prédits dues à la clime dans les stades et aux transports.

 

Les convictions laissées aux vestiaires

« Le sportif, le footballeur n’a pas la capacité et le pouvoir de résoudre des problèmes sociaux » déclarait, l’entraîneur des Bleus, Didier Deschamps sur RTL mercredi 16 novembre. Le lendemain, le Président Emmanuel Macron faisait une déclaration similaire, « Je pense qu’il ne faut pas politiser le sport. » a-t-il dit. 

Alors le foot est-il apolitique ? Arrive-t-il à passer au-dessus ? 

Non ! Monsieur Deschamps et le Président sont contredits par l’histoire du sport. Il est évident que le sport est politique et en particulier le foot. Ce sport est l’un des plus importants et influents au monde. Cela n’est peut-être pas de la politique dans le sens stricte du terme, mais il s’agit ici de soft power, arme peut-être plus puissante encore que la diplomatie. Faut-il, leur rappeler le genou au sol de Griezmann et de Tolisso durant l’Euro 2020 pour rendre hommage à Georges Floyd ? Peut-on parler de l’instrumentalisation des politiques sur leur amour pour le foot afin de relever leur cote de popularité ? Si les footballeurs n’ont pas le pouvoir de résoudre les problèmes sociaux quel était donc l’objectif de Génération 2018, l’association créée par l’équipe de France pour venir en aide à diverses associations ? 

« La discrimination est punie […], et n’est donc pas une valeur, ni une règle à respecter peu importe l’endroit »

 

Pour ce mondial, la FFF a donné des consignes claires aux bleus : pas de militantisme durant la compétition. Alors que certaines équipes comme le Danemark, la Suède ou l’Angleterre vont porter le brassard OneLove pour montrer leur soutien à la communauté LGBTQIA +. Le chef d’équipe, Hugo Lloris a déclaré quant à lui qu’il ne le fera pas. Il va même plus loin en déclarant : « Lorsqu’on est France, lorsqu’on accueille des étrangers, on a souvent l’envie qu’ils se prêtent à nos règles. J’en ferais de même lorsque j’irais au Qatar. » 

Si on prend cette citation au pied de la lettre, les règles en question sont donc la discrimination et l’exécution à mort des personnes de la communauté LGBTQIA +. On ne parle pas de valeurs occidentales ici, mais de l’universalisme. 

L’universalisme n’est pas une valeur, c’est un fait. C’est le constat que les individus ont le droit à la liberté sous toute latitude. Le respect invoqué par Hugo Lloris est l’alibi de son autocensure et de sa démission. Vouloir défendre les droits de l’Homme n’est pas une valeur occidentale. La discrimination est punie par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – signée par le Qatar.  Elle n’est donc pas une valeur, ni une règle à respecter peu importe l’endroit. 

À la suite de cette polémique, l’équipe de France a déclaré apporter son soutien aux ONG pour les droits de l’Homme, via Génération 2018 et à un fond collecté. Toutefois, aucune liste d’ONG n’a été dévoilée. 

Une nomination bien méritée à coup de quelques pots-de-vin

Accords secrets, argents et influences, les origines de cette Coupe du Monde sont dignes d’un polar. 

Alors que le Qatar avait le pire dossier pour l’emporter en 2010, c’est à coup de gros sous et de contacts que les qataris ont réussi à ramener la coupe à la maison. Après plusieurs enquêtes exclusives et explosives du Sunday Times, de la BBC, de France Football, de Complément d’enquête et des tribunaux, la corruption au sein de la FIFA ne fait plus de doute. 

Afin d’avoir les voix nécessaires pour être élu Etat organisateur du Mondial, le Qatar a acheté plusieurs membres du comité d’élection. La justice américaine a reconnu la corruption de trois membres de la fédération africaine. La justice suisse a condamné l’ancien Président de la FIFA, Sepp Blatter, pour blanchiment d’argent et gestion déloyale. 

« L’ancien footballeur Zinedine Zidane a avoué avoir reçu 3 milliards d’euros du Qatar. »

La France n’a pas été épargnée non plus, bien au contraire. Une enquête est ouverte à Paris pour corruption, et cette affaire mêle Nicolas Sarkozy, alors Président de la République et Michel Platini. Pour résumer l’histoire, le Qatar aurait acheté le vote et l’influence de Platini, membre du comité d’élection. En échange, les qataris rachètent le PSG et achètent à la France des avions militaires de type rafale.

L’ancien footballeur Zinedine Zidane a avoué avoir reçu 3 milliards d’euros du Qatar pour les soutenir. Il en va de même pour le militantiste Yann Arthus Bertrand, qui a avoué avoir tourné son film Home avec l’argent perçu.  

Toutes ces histoires sont complexes, mais bel et bien réelles et en cours de procédure. Mais à la suite de ces différents scandales, plusieurs membres de la FIFA ont été bannis à vie de la fédération et une nouvelle procédure a été mise en place pour les désignations des mondiales.

Si vous voulez en savoir plus sur toute l’affaire voici quelques liens qui vont plus loin dans l’explication :

Un eldorado écologique 

« Désastre » climatique, « il y aura un avant/après ce Mondial ». Voilà les déclarations faites par les ONG telles que GreenPeace. Pourtant cela était prévisible. Le Qatar détient le record mondial d’émission de CO2 par habitant. Alors que les températures les plus douces avoisinent les 30°C en plein hiver, l’utilisation de la climatisation est monnaie courante. 

« Le mondial va rejeter 3,63 millions de tonnes de CO2. »

La clime justement ! Les stades à ciel ouvert seront tous climatisés pendant le Mondial, ainsi que les infrastructures d’accueil, de restauration et de transport pour les joueurs et les supporters. Et ces stades qui sont flambants neufs et sortis de nulle part vont être démolis juste après la compétition pour la plupart. Voilà 6,5 milliards jetés par les fenêtres juste pour un peu d’influence – alors qu’ils auraient pu être mis dans des législations sociales par exemple. 

Selon la FIFA, le mondial va rejeter 3,63 millions de tonnes de CO2, un chiffre sous-estimé selon l’ONG Greenly et Carbon Market Watch. Le gouvernement qatari a assuré avoir mis en place les moyens pour que cette compétition devienne neutre en carbone grâce à des panneaux photovoltaïques, ou au recyclage de l’air dans les stades. Mais cela ne serait rien de plus que de la « poudre aux yeux » selon Julien Jreissati, directeur du programme GreenPeace au Moyen Orient. Le Qatar est alors accusé par l’ONG de greenwashing. Mais cela ne constitue qu’une simple nouvelle accusation pour le pays depuis 2010. 

La communion avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme

« Le Mondial de la honte » tel est le nom donné par les médias français pour cette compétition sportive. Tout a commencé en 2014 avec les premiers rapports d’Amnesty International sur les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers. Dans ces rapports, on retrouve des entretiens avec des migrants surexploités et à bout de force. Certains travaillent 14h par jour sous un soleil de plomb. D’autres racontent leurs conditions d’hébergement, ils n’ont pas d’eau, ni d’électricité, ni de clim, dans un pays où la température monte à 50°C en été. Ils pouvaient partir direz-vous, mais malheureusement non. Le passeport de ces ouvriers migrants leur a été confisqué. Et le système du travail au Qatar crée une domination totale de l’employeur sur l’employé.

« Sous leurs pieds, ce sont des milliers d’ouvriers qui ont souffert, ont été blessés, ou sont décédés, pour qu’ils puissent briller devant leurs supporters. »

Puis de nouveaux rapports tombent, et abordent le cas des décès de plus en plus nombreux et suspects des ouvriers. Ces décès sont causés par des blessures, des insuffisances cardiaques et respiratoires, des suicides, et une accumulation de chaleur dans l’organisme. Ce sont des hommes entre 20 et 30 ans qui meurent des surmenages.

Puis, en 2021 le journal The Guardian publie l’enquête de trop dénonçant et démontrant l’esclavage moderne sur les chantiers des stades. Les politiques et célébrités appellent au boycott de la Coupe de Monde 2022. Les villes de Paris, Lille, Bordeaux ou Lyon annoncent qu’elles n’ouvriront pas de fan zones. C’est le tollé général. La pression est mise sur l’équipe de France afin qu’elle ne participe pas à la compétition. 

La présidente d’Amnesty International déclare dans une tribune: « Sous leurs pieds, ce sont des milliers d’ouvriers qui ont souffert, ont été blessés, ou sont décédés, pour qu’ils puissent briller devant leurs supporters.” Toutefois, l’ONG est contre le boycott car c’est un moyen, selon elle, d’exercer une pression sur le gouvernement qatari. Mais cette dernière redoute un retour « à la normale » après le mondial si des mesures fortes ne sont pas prises par la FIFA. 

C’est seulement le 24 septembre 2022, soit 8 ans après les premières accusations de travail forcé, que la FFF reconnaît violations droites des travailleurs et organise une levée des fonds. 

 

Nous pouvons encore parler des faux supporters payés par le Qatar, du droit des femmes et des couples non-mariés, des consignes données aux supporters durant le séjour au Qatar, etc. C’est donc dans l’indifférence générale que le mondial a commencé hier. Le plus aberrant n’est donc pas l’appel au boycott mais bien l’existence même de cette compétition. 

 

URBES Abigaël

 

Sources :

sources images :

Agence France presse

Giuseppe Cacae

Le Parisien

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