Le bilan s’alourdit de jour en jour en Iran où près de 95 personnes ont été tuées dans les manifestations qui ébranlent le pays depuis maintenant deux semaines. Tout a commencé le 16 septembre dernier suite au décès de Masha Amini, arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal porté son voile ; obligatoire dans cette République islamique. Depuis, les vagues de contestations menacent le gouvernement religieux en place et le monde entier garde les yeux rivés sur le devenir de ce mouvement social qui prend une ampleur aux allures de révolution. Si le courage de toutes les femmes qui descendent dans la rue et luttent pour leurs droits est un signe majeur de l’intense volonté d’émancipation, les aspirations sont plus profondes et visent en réalité le renversement du régime et de ses coutumes archaïques. Alors, combat contre le voile ou contre le régime ? On fait le point.
Un régime politique autoritaire et archaïque depuis 1979
Officiellement, l’Iran est une République islamique mélangeant des institutions autoritaires basées sur des principes religieux et des éléments républicains. Les citoyens sont appelés à voter pour élire leur président mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’une démocratie pour autant. En réalité, il n’y a qu’un seul chef d’État appelé « guide suprême », l’ayatollah Ali Khamenei, et ce depuis 1989. C’est lui le personnage incontournable du régime et de nombreux domaines lui sont réservés : contrôle de l’armée, de la police, de la télévision, de la radio… Toutes les lois sont toujours tirées d’une seule source : la religion. L’Iran est donc la définition même d’une théocratie, un régime peu enclin à l’émergence des droits de l’Homme.
Pourquoi la mort de Masha a-t-elle fait tant réagir ?
Arrêtée par la police des mœurs car son voile ne couvrait pas assez sa chevelure, Masha Amini est « mystérieusement » tombée dans le coma puis décédée trois jours plus tard à l’hôpital. Son cas n’est hélas pas isolé. Depuis la fin de la révolution iranienne de 1979, cette police chargée de faire respecter un « code de bonnes mœurs » arrête, tabasse et tue des dizaines de femmes chaque année.
La mort de Masha a été la goutte de trop, la provocation de trop, le meurtre de trop. Les iraniennes se battent depuis des années pour leurs droits sans dépasser la frontière de l’abandon du voile mais la tragédie du 16 septembre a réveillé bien plus que la colère féminine. En se coupant les cheveux, en brûlant leur hijab, toutes les manifestantes expriment un « ras le bol » non seulement à l’ordre religieux, patriarcal et archaïque mais plus généralement au régime politique, facteur d’inégalités, d’injustices et d’atrocités.
Cet événement s’inscrit dans une suite de drames, pour les femmes et pour les Iraniens. L’élection de l’ultraconservateur Raïssi en juin 2021 a vu les libertés individuelles réduire comme peau de chagrin. La mainmise sur le corps et la liberté des femmes s’est resserrée jusqu’à les étouffer totalement. Conjuguées à la précarité, au taux de chômage très élevé et à l’inflation affolante, les humiliations quotidiennes de ce régime inflexible ont enraciné un profond désir de changement et de modernisation dans le cœur de tous les citoyens.
Combat contre le voile ou contre le régime ?
Le voile, symbole central de cette révolte, n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg. En allant manifester, travailler ou simplement marcher dans la rue sans leur voile, les femmes montrent leur rejet non pas de la religion mais de l’Islam politique et de la domination de l’Ayatollah sur elles. Parfois au péril de leur vie, elles savent que le hijab, signe ostentatoire de la victoire révolutionnaire selon le gouvernement, est devenu le seul moyen d’exprimer leur colère. Dès 1979, le régime islamique a sacralisé le voile et en a fait le fondement de son discours idéologique. L’instrumentalisation est telle que les médias internationaux réduisent ce mouvement de protestation au rejet du voile alors que l’enjeu est bien plus important. C’est la question des droits des femmes, des droits humains, de la liberté, de l’avenir démocratique, économique et social qui sont au centre des contestations. C’est justement toutes ces problématiques qui propagent le mouvement même dans les villes les plus reculées et conservatrices du pays. Depuis la révolution, c’est la première fois que toute la population, sans distinction de sexe, d’origine ou de classe sociale se soulève contre l’ordre religieux . Le voile, objet de la révolte, n’est donc qu’un élément de cette « nouvelle révolution » contre le régime autoritaire et conservateur iranien.
Quel avenir pour cette révolution ?
L’une des principales difficultés de ce mouvement national de contestation est l’absence d’opposition structurée pour offrir une alternative au gouvernement actuel. Les partis d’opposition ont été effacés en 1979 et aucune personnalité ne se dégage pour devenir le nouveau visage du pays. Le caractère protéiforme des manifestations est cependant une force. L’appareil coercitif de l’État fatigue face à l’énergie sans faille des citoyens et même si la durabilité de la révolte est incertaine, son impact restera gravé dans le marbre.
Néanmoins, la colère ayant atteint un paroxysme, il est mieux de vivre dans l’incertitude de l’avenir que dans les douleurs du passé.