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vendredi 13 décembre 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

ÎLES SENKAKU/DIAOYU OU 4KM2 D’UN CONFLIT INTERNATIONAL EN MER DE CHINE ORIENTALE

Le 27 janvier dernier les éternels rivaux, sino-nippons se sont mutuellement accusés d’incursion dans des eaux territoriales revendiquées par les deux puissances. Pékin parle d’une « entrée illégale » autour des îles Dioayu comme le note, non sans parti pris, le Journal Singapourien Liahnne Zaobao.  Ce parti pris s’explique déjà sur la sémantique usitée, « Diaoyu » est l’appellation chinoise de l’archipel, contre « Senkaku » pour son homologue japonais. Comme la première manifestation d’une lutte des mots, symbole embryonnaire d’une lutte des maux. 

 Comment une zone 4 fois plus petite que l’aéroport Saint Exupéry peut être un point de clivage majeur et insoluble entre les 2 Grands asiatiques, en mêlant liens historiques, considérations géopolitiques, et préventions belligènes. 

Genèse d’un conflit centenaire ou chronologie contradictoire du droit international

Pour la Chine, ces îles auraient été découvertes à la fin 14ème siècle, sous la dynastie des Ming, en atteste un livre du XVIème siècle ayant répertorié et topographié l’archipel. Notons qu’aucune preuve archéologique ne vient réellement asseoir cette version. Pour autant, des siècles plus tard, la Chine perd la première guerre sino-japonaise, aboutissant au Traité de Shimonoseki en 1895. Ce même traité à son article 2B fait mention de la cession de Taïwan au Japon ainsi que toutes les îles lui étant liées. Or, les îles font partie dudit archipel et auraient donc dû être rétrocédées au moment du Traité de San Francisco à la fin de la Seconde Guerre mondiale, prévoyant un retour à la Chine de tous les territoires acquis grâce au traité de 1895. Pour le Japon, c’est en 1885 soit 10 ans avant le Traité de Shimonoseki, que le gouvernement japonais aurait mené une enquête sur l’île et les auraient trouvés inhabitées. Elles auraient donc été qualifiées sous le terme de Terra Nullius, ce qui permet en principe une revendication légale des îles.

Ni la Chine ni Taïwan n’ont officiellement revendiqué les îles jusqu’en 1968, date à laquelle une enquête américaine admet l’existence d’une réserve d’hydrocarbure dans les sols. La Chine, premier importateur mondial d’hydrocarbures, et le Japon, quatrième, érige alors a priori les îles comme des éléments inhérents et indispensables à leur souveraineté respective. La Convention de Montego Bay de 1982, autorisant en effet une extension de la ZEE sur 200 miles nautiques. Enfin ce sont aussi des eaux extrêmement poissonneuses, élément de base de l’alimentation des pays côtiers. Mais cette analyse reste aporétique et l’approche « carboné » du conflit ne permet qu’une étude lacunaire. 

Montée aux extrêmes : l’année 2012 comme catalyseur de la crise

 Dès 2010 la Chine multiplie les incursions dans cette zone, selon le magazine The Diplomat c’est plus de 1280 incursions relevées sur l’année 2023 dans des eaux sous contrôle effectif du Japon. La multiplication de l’intention chinoise pousse le gouvernement japonais à prendre une décision radicale instiguée par le gouverneur de Tokyo Shintarō Ishihara, connu pour ses positions nationalistes. En effet, le gouvernement confirme le rachat de 4 des îles pour 26 millions de dollars aux entités privées à qui elles appartenaient.  Cela pousse alors son opposant à renforcer sa politique d’harcèlement afin de « préparer le terrain » selon Su Ziyun, chercheur à l’Institut national de recherche sur la défense et la sécurité de Taïwan. En réaction, le Japon déploie ses forces d’auto-défense en 2019 sur deux des îles, autre manifestation de la fin de l’ère pacifique japonais.

Le substrat d’une crise plus grande : entre contrôle des routes maritimes et calque de la politique chinoise en Mer de Chine méridionale 

 C’est en effet, et de manière plus juste, le prolongement de la politique d’influence à tendance impérialiste de Pékin dans l’ensemble de la Mer de Chine. On est ici bien au-delà des simples ressources halieutiques ou carbonées dans les sols des îles. 

Assurément, ces îles constituent d’abord un emplacement géostratégique, notamment à travers le contrôle des routes maritimes. Avec 75% des importations en hydrocarbure, en provenance du Moyen-Orient qui passent par la Mer de Chine méridionale et 30% du commerce mondial de manière générale, l’enjeu de cette zone n’est plus à prouver. À cet égard la Chine revendique près de 90% de la Mer de Chine méridionale, à travers la symbolique ligne des 9 traits. Afin de comprendre le conflit d’espèce entre la Chine et le Japon en 2012 sur les îles Senkaku/Diaoyu, il convient de se placer sous l’angle d’une « crise » à plus grande échelle, celle créée par la politique chinoise dans l’ensemble de la mer de Chine. En effet, cette dernière a pour ambition de sécuriser ses routes, des points névralgiques de son économie, qui, dans un hypothétique conflit pourraient se retrouver bloquées, et bloquer ainsi, la Chine entière. Dans le même sens, contrôler ces routes revient aussi à posséder un moyen de pression diplomatique sur les autres pays environnants. 

Sans se cantonner à une analyse économique, c’est aussi la volonté de la Chine de devenir la première puissance mondiale qui explique cette politique. Cela passe par le biais militaire, notamment le contrôle des axes pour les sous-marins. Ils naviguent difficilement du fait de la faible profondeur notamment au Sud, obligeant donc à trouver d’autres routes en dépit de la souveraineté des autres pays. Contrôler la Mer de Chine c’est aussi contrôler ses accès et assurer sa prédominance. En particulier sur les Américains eux aussi très présents dans la zone, de par leurs alliés mais plus directement par leur présence directe au Japon et en Corée du Sud. Cela explique donc des revendications similaires, mais aussi la construction d’une île artificielle à usage militaire comme à Subi Reef.

On retrouve en Mer de Chine méridionale le même argumentaire. Avec des justifications historiques issues du passé d’armateur de la Chine et de ses pêcheurs qui depuis des siècles sillonnent la zone. Formant selon eux le socle théorique de leur souveraineté. Mais on retrouve aussi une politique d’harcèlement avec des incursions dans les ZEE des territoires contestés, comme en 2019 au large des îles Spratleys quand des navires de pêche chinois viennent perturber des actions de forages pétroliers vietnamiens. Jamais en utilisant son armée directement mais avec des garde-côtes ou des milices de pêcheurs. Toujours pour éviter le conflit ouvert mais en extériorisant quand même leur hégémonie asiatique. En effet, le modus operandi, la justification théorique et les motivations sont les mêmes et pour trouver des réponses à ces événements, peu importe le point de vue choisi, il faut garder cette échelle en tête.

Il est donc net que ces deux phénomènes, tant politique que diplomatique, sont liés et illustrent à la fois les ambitions chinoises et la tension au sein de la région. En 2012, Valérie Niquet responsable au pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique estime que « Si le Japon cède sous l’effet des tensions, le risque est qu’il n’y ait plus de limites aux velléités de la Chine sur d’autres territoires situés en mer de Chine. Les autres pays asiatiques et les Etats-Unis n’ont donc pas intérêt à ce que le Japon cède ».

Sources :
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