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mercredi 24 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Edward Bulwer Lytton : « La plume est plus forte que l’épée »

Souvent attribué à l’écrivain anglais Edward Bulwer-Lytton, la célèbre citation « La plume est plus forte que l’épée » provient d’une scène de la pièce Richelieu, ou la conspiration où le personnage éponyme, se rendant compte d’un complot contre lui est sommé de trouver des armes par son page. Très populaire outre-manche, le Cambridge English Dictionary note que cette expression « souligne que la pensée et l’écriture ont plus d’influence sur les gens et les événements que l’usage de la force ou de la violence ». 

Edward Bulwer Lytton n’était pas simplement un écrivain dramaturge britannique, mais également un homme politique, élu à la Chambre des communes (de 1832 à 1841 puis de 1852 à 1866) et à la Chambre des Lords après avoir été élevé à la pairie en 1866. Par ses fonctions et ses idées, il illustre parfaitement le rapport entre la force des écrits et celle des armes, le métier du parlementaire étant à l’époque principalement de convaincre ses pairs par des discours.

L’histoire a montré à maintes reprises que les mots ont un pouvoir immense, capable de provoquer des changements politiques, sociaux et culturels. Les écrits ont influencé les masses et ont conduit à des révolutions et des changements durables. Dans cet article, nous allons examiner tout d’abord son contexte puis son importance historique.

 

Dans « Richelieu », Bulwer-Lytton raconte l’histoire du cardinal de Richelieu, un puissant homme d’État français du XVIIe siècle, qui utilise son intelligence et sa ruse pour vaincre ses ennemis politiques plutôt que la force brute. Incapable d’user de la force physique de part sa fonction, le cardinal Richelieu s’en remet donc à la puissance des mots pour tenter de défaire un complot mortel le visant. 

Inspiré par le contexte des révolutions et des vagues de mouvements nationalistes émergeant en Europe, Edward Bulwer-Lytton pourrait se targuer d’avoir écrit cette phrase avant les révolutions du printemps des peuples en 1848 et l’émergence des mouvements nationalistes visant parfois à renverser les régimes monarchistes pour y instaurer des démocraties, ou encore à permettre la construction de nouveaux Etats. Les Allemands, les polonais, les roumains, les italiens ou bien d’autres se mobilisent pour des constructions étatiques qui auraient permis de se défaire de dominations impériales. C’est donc tout naturellement que Bulwer-Lytton a repris cette phrase dans ses articles sur la révolution de 1848 pour illustrer le pouvoir de la parole et de l’écriture dans la lutte pour la liberté et la démocratie. Dans une société où la censure et la répression politique étaient courantes, les écrivains et les intellectuels étaient souvent les seuls à pouvoir exprimer librement leurs opinions et à critiquer les régents. 

Ceci n’est pas sans rappeler l’émergence en parallèle de ce mouvement d’une certaine progression de l’accès à l’information au sein des sociétés européennes grâce au pouvoir grandissants des journaux dont l’influence sur la conscience politique des citoyens s’accroît en même temps que le vieux continent passe du suffrage censitaire vers le suffrage universel masculin. 

L’importance historique de cette citation réside dans le fait qu’elle se vérifie empiriquement et que de nombreuses personnalités influentes, qu’elles soient des politiques, des écrivains, des activistes ou des journalistes l’ont utilisé pour rallier l’opinion face aux forces des armes. 

 

A ce titre, la guerre froide illustre de façon exemplaire l’importance de la bataille pour les cœurs et les esprits qui était menée non seulement par les gouvernements des Etats-Unis et de l’Union soviétique, qui ont tous deux utilisé des programmes de propagande pour influencer les opinions publiques à l’étranger, mais également par des écrivains et journalistes engagés comme Jean-Paul Sartre en France ou Alexandre Soljenitsyne. 

 

Les combats littéraires ne touchent pas seulement les questions politiques mais peuvent amener de profonds bouleversements sociaux. De manière plus contemporaine, la plume a également été utilisée pour lutter contre l’injustice et la discrimination. Des personnalités telles que Martin Luther King Jr., Nelson Mandela et Malala Yousafzai ont utilisé les discours pour promouvoir l’égalité, la justice et la liberté. L’ère des réseaux sociaux accentue non seulement la visibilité accordée aux discours des activistes mais permet à ces derniers de galvaniser l’opinion publique. 

 

Mais alors pourquoi la plume est-elle plus forte que l’épée ? L’explication est simple : les mots peuvent avoir un impact qui dure bien au-delà de l’instant présent. Les idées exprimées par la parole écrite peuvent changer les mentalités pour l’avenir et inspirer en faisant appel aux nobles sentiments alors que l’épée, quant à elle, peut certes détruire des vies et des biens, mais ne peut changer les mentalités ou inspirer à agir pour le bien commun. 

 

En définitive, il apparaît non seulement que la plume peut s’avérer plus puissante que les armes, mais qu’au-delà des exemples évidents de l’impact des mots sur l’histoire, il y a également des cas où les mots ont été utilisés pour dissuader des conflits. Ce fait concerne principalement la diplomatie, qui peut s’entendre comme l’art de négocier des accords entre Etats et qui repose en grande partie sur la capacité des différentes parties à communiquer de manière efficace et à convaincre les parties adverses. 

Ce constat n’est toutefois pas toujours valable et il est possible de renverser l’affirmation posée par Edward Bulwer Lytton en considérant que l’épée peut être plus forte que la plume. Pensons à ce titre au discours du ministre De Villepin à l’ONU le 14 février 2003 exprimant le refus de la France de la guerre en Irak : salué et applaudi par certains représentants, il n’a guère dissuadé une coalition internationale de recourir aux armes pour renverser le régime de Saddam Hussein. Le constat est similaire pour certains conflits relayés sur les réseaux sociaux où la parole, qu’elle soit écrite ou prononcée, peine parfois à contrecarrer l’usage des armes. 

Sources :

Richelieu, ou La Conspiration, Edward Bulwer Lytton, traduite par Michel Arnaud en 1961 

Charlotte Lepri, 2010, « De l’usage des médias à des fins de propagande pendant la guerre froide », Revue internationale et stratégique 

Naïm Sakhi, 2022, « De Villepin, la voix de la France contre l’invasion de l’Irak », L’Humanité 

Alfredo Rizzardi, « Edward Bulwer Lytton, Biographie », La réplique des Lettres

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