« Discours sur la servitude concertée », réflexions
Au lendemain du second tour des Présidentielles, il m’est apparu pertinent de (re)questionner la « rationalité » de l’autorité que l’on se chargeait d’élire tous les cinq ans, et plus largement la soumission à l’autorité politique, phénomène de soumission qui semblerait véritablement gouverner l’espèce humaine.
Les élections présidentielles, les enjeux qu’elles condensent et les réactions qu’elles provoquent illustrent parfaitement la logique de soumission à une autorité, laquelle se voudrait supérieure à l’électeur alors même que cette figure d’autorité est représentée par un de ses semblables, un autre Homme. « Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux (…) et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes (…). »(1).
Le président n’a de pouvoirs que ceux que nous lui concédons. Et si ce processus est reconduit, que la démission de chacun devient pérenne, celui-ci ne cesse d’être davantage légitimé. L’ « habitus » rend les dominés complices de la domination, la soumission ne pouvant qu’être consentie(2). Car si les hommes étaient tenus par nature à se soumettre devant un autre, si la soumission était un phénomène naturel, il eût été superflu que les Hommes passent un contrat avec l’autorité politique, qui prend en l’espèce la forme du processus électoral. C’est pourquoi il faut admettre sans réserve que la servitude a commencé à partir du moment où les hommes, par un acte exprès, se sont défaits de leur liberté naturelle et ont concédé leur(s) droit(s) à leur « représentant ».
Quelqu’uns pourraient arguer de l’insuffisance de l’entendement de certains, justifiant la démission totale et collective de leur liberté. Mais tel contrat est vain voire contradictoire si le représentant est doté d’une autorité absolue et que l’obéissance est sans bornes. Ôter toute moralité à ses actions en méconnaissant tel asservissement reviendrait à ôter toute liberté à sa volonté. Refus de l’alternative entre une obéissance « de droit » et une soumission « de fait ».
Se pose alors la question du dévoiement des régimes supposés – prétendus – représentatifs. En dépit d’un tel dévoiement, l’esprit demeure hors de portée du représentant lequel serait devenu despote, l’Homme disposant irréfragablement de son libre arbitre. « Il n’est pas besoin de le combattre, il n’est pas besoin de le défaire(…); il ne faut pas lui ôter rien mais ne lui donner rien » . C’est à ce titre que la désobéissance civile se voit légitimée(3), s’entendant comme un soulèvement pacifique auquel on ne peut renoncer sinon renoncer à sa condition d’homme. Ni nécessité de l’obéissance, ni contingence de la servilité.
Nonobstant la servitude, la désobéissance civile constitue un droit naturel. Dès lors, sa pratique seule doit être questionnée, et non son essence.
Si la soumission peut être considérée comme une étape nécessaire au processus démocratique, cette étape ne devrait être que temporaire en cas de dévoiement de l’autorité politique de son but légitime, permettre l’exercice de la liberté civile de tous c’est-à-dire la condition sine qua non de la jouissance des droits et libertés fondamentaux. L’Homme doit s’en extirper si son représentant – gouvernement, parlementaire ou tout autre forme d’autorité politique
à qui il l’aurait concédé – fait du pouvoir dévolu un usage liberticide. Des efforts sont requis mais l’Homme semble parfois se complaire dans ce dessein, asservi, par « paresse et lâcheté »(4). Cet état reviendrait à entretenir le système, à endosser en partie la responsabilité de la corruption et de l’injustice générée par l’autorité pour finalement devenir un co-auteur. L’absence de révolte dans une telle situation relève de l’omission coupable. Du statut de sujet à celui de chose, la tentation est grande puisque la fuite attrayante. L’Homme – la société civile a fortiori – n’est fatalement condamné à être asservi mais « seulement » à être libre.
« Ce qui m’arrive m’arrive par moi et je ne saurais ni m’en affecter ni me révolter ni m’y résigner » . (5)