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jeudi 18 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Cuba : 60 ans d’embargo, 60 ans d’échec américain

Après avoir rempli son stock de cigares de La Havane, John Fitzgerald Kennedy impose un « embargo sur tout commerce avec Cuba ». Au matin du 7 février 1962, l’ordre exécutif présidentiel 3447 voté quelques jours plus tôt contre l’île caribéenne entre en vigueur, une mesure qui ne s’éteindra jamais. Revenons sur le plus vieil embargo de l’histoire.

 

Le contexte cubain

Officiellement, l’embargo contre Cuba est décrété par les Etats-Unis d’Amérique en représailles à l’expropriation et à la nationalisation de terres et d’usines américaines sur l’île. Officieusement, la mesure résulte surtout d’une volonté de contraindre Cuba à changer de régime. L’idée est alors d’isoler l’île des Caraïbes pour qu’elle se sente obligée d’abandonner le « communisme ».

En effet, en janvier 1959, le militaire Fulgencio Batista abandonne le pouvoir sous la pression de guérilleros contre qui le chef d’État lutte depuis près de 3 ans. Fidel Castro, que les Cubains connaissent déjà bien, sera le chef des armées avant de devenir le mois suivant, le nouveau Premier Ministre. 

Quelques années plus tôt, Castro, animé par un combat anti-impérialiste, attaquait une caserne du quartier de Moncada, à Santiago. Condamné pour cela à 15 ans de prison, il bénéficiera d’une amnistie avant de quitter Cuba pour y revenir clandestinement par la mer le 2 décembre 1956. Ainsi lorsque Fidel Castro arrive à la tête de Cuba au début de l’année 1959, il ressort victorieux d’une lutte longue de 3 années.

Très vite, le nouveau chef d’Etat cubain instaure des mesures de justice sociale, en plein accord avec le courant marxiste-léniniste auquel il est apparenté. La première de ces mesures est une vaste réforme agraire. Lors d’un discours-anniversaire de la « Réforme » prononcé en mai 1984, Fidel Castro se rappelle que « 100 000 locataires, métayers et occupants sans titre devinrent propriétaires en vertu de cette loi ». Il convient toutefois de préciser que la propriété fut acquise certes, mais sur des terres que l’État cubain ne possédait pas toujours. Peu après, lorsque Castro nationalisa les plantations de canne à sucre, la moitié de celles-ci était en réalité des propriétés étasuniennes. 

Le président américain en cette année 1959, Dwight Eisenhower, s’inquiète de la situation sur l’île que cent cinquante kilomètres de mer séparent de la Floride. Son successeur, John Fitzgerald Kennedy tentera de frapper plus fort. La CIA arme une bande d’opposants en vue de renverser le régime « castriste » désormais proche de l’ennemi américain, l’Union Soviétique. Le débarquement de la baie des Cochons du 17 avril 1961 se solde par la mort de tous les opposants, abattus sur la plage par les forces de Castro lourdement armées mais surtout habilement informées de l’attaque qui se préparait. Donnant l’impression au « tiers monde » d’avoir vaincu l’impérialisme américain, le chef d’Etat se positionne désormais comme le meilleur opposant que les Etats-Unis puissent connaître. Kennedy reconnaîtra publiquement son erreur.

Presque un an plus tard, le 3 février 1962, « JFK », 35ème président des Etats-Unis d’Amérique, signe l’ordre exécutif présidentiel 3447. Entré en vigueur le 7 février, au lendemain du renflouement des stocks de cigares cubains comme le racontera plus tard Pierre Salinger, porte-parole de JFK, l’embargo a pour but d’interdire le commerce étasunien et allié avec l’île communiste auteure du vol de biens américains. La mesure n’est pas définie dans le temps mais Washington est certain que celle-ci sera efficace.

L’enlisement dans le temps

À très court terme, Cuba ne connaît pas l’isolement que son voisin lui prédisait. Au contraire, Castro se rapproche du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev. En octobre 1962, les soviétiques installent sur l’île antillaise des bases de lancement de missiles, lesquels seraient susceptibles d’atteindre les côtes floridiennes. En réponse à l’installation un an plus tôt de quinze fusées « Jupiter » en Turquie et d’une trentaine en Italie, Khrouchtchev entend répondre à l’affront qui lui a été fait. La désormais célèbre cellule de crise américaine songe à tous les scénarios. Le 22 octobre, « JFK » tente un coup de bluff en annonçant l’encerclement de Cuba pour empêcher les navires soviétiques de livrer les missiles tant redoutés. Les cargos renoncent à livrer Cuba. Quelques jours plus tard, un avion-espion U2 américain est abattu au-dessus des mers cubaines. Le président étasunien menace de bombarder les sites de lancement de missiles. In fine, chacun accepte de démanteler ses lanceurs, à Cuba comme en Turquie. La « crise des missiles de Cuba » se solde le 28 octobre 1962.

À plus long terme, l’embargo sera entretenu par les Américains, pour ne pas dire réinventé. En 1992, avec la loi Torricelli puis d’autant plus en mars 1996, avec la loi Helms-Burton, Washington entend enfin faire tomber Cuba, désormais éloignée de l’Union soviétique défunte mais proche du Venezuela. La seconde loi vise ainsi à pénaliser lourdement les entreprises et les banques étrangères qui échangent avec Cuba, toujours en mentionnant les biens confisqués par Fidel Castro en 1959.

Toutefois depuis maintenant 30 ans, Cuba propose chaque année une motion de censure contre l’embargo. La première année, en 1992, « seuls » 59 pays votèrent pour la condamnation de l’embargo devant l’Assemblée Générale des Nations Unies. Au fil des années, le soutien de la communauté internationale s’est accru, de telle sorte que tous les pays votèrent pour la motion de censure et donc contre l’embargo à l’exception, bien sûr, des États-Unis d’Amérique et de leur fidèle allié, Israël. À cet égard, l’année 2016 fait donc figure d’exception, année où le rapprochement entre la petite île des Caraïbes et les États Unis fut tel que les deux alliés ne s’opposèrent pas à la motion de censure.

 

L’espoir Obama, la marche arrière de Trump et l’entêtement de Biden

Le 17 décembre 2014, Barack Obama est le premier président américain à reconnaître publiquement l’échec de l’embargo sur Cuba. Si « JFK » l’avait déjà reconnu pudiquement dans des discussions internes, le président n’avait jamais franchi le cap de l’assumer devant l’Amérique et le monde. Obama déclare alors que « les sanctions ont eu relativement peu d’effet » et que « l’isolement n’a pas fonctionné ». Alors qu’à l’époque, la communauté cubano-américaine qui avait fui le difficile chef d’Etat Castro, demandait pour la première fois un renouvellement des relations diplomatiques, le président Obama plaidait pour une révision de celles-ci. Il entamait là un premier pas contre une mesure qui avait trop duré. Mais alors que seul le Congrès détient la capacité de lever l’embargo, en vertu de la loi votée en 1996, Barack Obama ne réussit pas à aller jusqu’au bout du processus.

Lorsque Donald Trump deviendra le 45ème président des Etats-Unis d’Amérique, la politique du pays changera brutalement. Virage « à 180° » pour le nouveau chef d’Etat américain, qui entend mettre fin au rapprochement entamé par Obama. Comme pour engager sa nouvelle politique étrangère vis-à-vis de Cuba, Trump met en place une série de sanctions comme l’interdiction des escales à Cuba pour les navires de croisière américains, les menaces de poursuites contre les entreprises étrangères présentes sur l’île, les entraves à l’envoi d’argent par les Cubains vivant à l’étranger ou encore l’inscription du pays sur la liste de ceux qui soutiennent le terrorisme. Trump et Castro, Raúl cette fois, ne mettront donc pas fin à l’embargo.

Son successeur, Joe Biden, fera pire. Alors qu’il avait promis durant sa campagne de poursuivre les efforts de celui dont il fut le vice-président, Barack Obama, Biden poursuit désormais sur la lignée de Trump. Durant l’été dernier, alors que l’île connaît des manifestations assez importantes qui seront lourdement réprimées, Biden saisit l’occasion pour maintenir une politique étouffante sur Cuba. Aujourd’hui, le président américain s’appuie volontiers sur ceux qui évoquent un « bloqueo interno », critiquant la gestion étatique de l’économie. Alors que la privatisation débute lentement, La Havane est toujours pointée du doigt pour le modèle qu’elle défend. Contrairement à ce qu’il avait pu promettre peu avant d’être élu, Joe Biden s’inscrit en réalité dans la continuité de la majorité de ses prédécesseurs avec un objectif clair : la libéralisation de Cuba.

Sources :
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