Romina Ashrafi, Sargol Habibi, Faezeh Maleki, Mona Heidari, Sahar et Moradi Bayan… ces noms ne vous disent sans doute rien et pourtant ils sont, ainsi que tant d’autres, les preuves d’une effroyable réalité. Victimes de crimes dits « d’honneur », toutes ces femmes ont été tuées par leur mari, leur frère, leur père simplement parce que ce sont des femmes.
Pratiques anciennes consacrées par la culture et plus particulièrement par la religion, ces crimes sont des châtiments infligés aux filles et femmes accusées d’avoir « jeté le discrédit » et sali l’honneur de leur entourage. Attaquées pour avoir eu des relations sexuelles en dehors du mariage, refusé les avances de leur mari, refusé de se marier de force ou encore de s’être « laissées » violer, elles n’ont aucun droit de défense. La simple allégation d’atteinte à l’honneur masculin suffit à les faire condamner. Certaines, pas même en âge de saisir le sens de la « morale », se voient pourtant accabler d’un crime qu’elles ne comprennent pas, qu’elles ne connaissent pas. Perçues comme des criminelles, elles sont rabaissées, insultées et la plupart du temps tuées par les méthodes les plus barbares et archaïques que l’humanité puisse recenser. Massacrées à coups de hache, brûlées à l’acide, décapitées, étranglées, défenestrées ou encore lapidées. Leur mort, aussi tragique soit-elle, est vue comme une justice rendue, un honneur réaffirmé. Bien différents des crimes passionnels, ces crimes ne sont que rarement commis sous le coup de la colère ou de l’émotion mais plutôt le fruit d’une préméditation minutieuse de leur assassin et parfois même de leur propre famille.
Si l’on peut croire que ce phénomène appartient au passé, il n’en est rien. Malgré les revendications, rien ne change. Ce crime reste ancré dans les mentalités et forme la base d’une société patriarcale et féminicide pérennisée par la peur et le silence.
Le culte de l’honneur : légitimation d’une violence endémique faite aux femmes
Le concept d’honneur, lorsqu’il est assimilé au crime, est multidimensionnel et donc difficile à définir. Sa signification varie d’une société à l’autre et l’adoption d’un point de vue purement androcentrique, c’est-à-dire socialement structuré sur l’expérience masculine tend à rendre invisible l’expérience féminine, créant ainsi des règles différentes en fonction des genres. Traditionnellement, l’honneur de la femme est assimilé aux concepts de virginité, de respect et de modestie tandis que celui de l’homme repose sur la capacité à se faire respecter, à défendre et protéger la femme. L’honneur est ainsi considéré comme un « code de conduite » essentiellement fondé sur la coutume qui condamne des comportements jugés immoraux ou inappropriés jetant humiliation et honte sur toute une famille, voire tout un clan. « La construction sociale de l’honneur en tant que système de valeurs, normes ou traditions est la principale justification des violences perpétrées contre les femmes » écrit la revue scientifique The Lancet. Les crimes « d’honneur » sont qualifiés comme tels car ils restaurent l’honneur bafoué et parfois même, constituent la seule issue socialement acceptable pour une famille « désavouée ». Les statuts sont inversés : la femme agressée devient coupable et l’homme agresseur, victime. Le crime reste donc impuni, accepté, légitimé. L’esprit de communauté prend bien souvent le dessus et donne alors le pouvoir à n’importe quel homme de la communauté d’intervenir, y compris en allant jusqu’au meurtre afin de tenir l’image de défenseur de cet honneur tant vénéré.
« Je crois que les crimes d’honneur sont ancrés dans le sentiment de « posséder le corps et la vie d’une femme », et tout meurtre ancré dans ce sentiment de propriété est considéré comme un crime d’honneur »
estime la militante des droits des femmes Rezvan Moghaddam.
L’institutionnalisation du crime : gangrène d’une société misogyne et patriarcale
Dans certaines sociétés où il n’y a pas d’État de droit, les règles de vie sont posées par la coutume, influencées par la religion et ancrées dans une culture de l’honneur permettant la validation sociale de la communauté. Souvent très exigeantes et impitoyables, elles violent ouvertement les droits humains, notamment ceux des femmes mais constituent des marques de reconnaissance inspirant la crainte et la peur. Cette conception de l’honneur comme base de toute législation était déjà en vigueur dans la Rome Antique à travers le statut du pater familias, qui avait le pouvoir, par la force et la violence, de dissuader femmes et enfants de désobéir aux règles de la famille. Les hommes devaient contrôler leur lignée et avaient donc mainmise sur la fécondité des femmes. Nombreux furent les textes reprenant cette conception de la reproduction (Code Hammourabi, Lois hittites…). Aujourd’hui encore, le Code pénal islamique appliqué en Iran autorise un homme à tuer sa femme et son amant s’il les surprend en « flagrant délit d’adultère ». Un père est considéré comme propriétaire du sang de ses enfants et de son épouse et possède donc un droit de vie ou de mort sur eux, le protégeant des lourdes sanctions qui seraient appliquées normalement en cas de meurtre. « Dans certaines régions du pays où le système patriarcal et tribal règne, des hommes frappent brutalement leurs femmes, filles ou sœurs sans avoir aucune peur des lois existantes » relève le Hamshahri, journal quotidien iranien. La plupart du temps, les familles des victimes préfèrent garder le silence et ne portent pas plainte. Dans les rares cas où les crimes sont qualifiés, les peines n’excèdent pas les dix ans de prison. La législation protège ainsi les meurtriers ou agresseurs et banalise la brutalité que subissent ces femmes. Les meurtres apportent non seulement prestige et autorité à l’assassin mais lui assurent aussi le respect de sa future belle-famille, voire parfois le paiement d’une dette de la part de l’ancienne.
« Plus qu’un permis de tuer, c’est un devoir de tuer »
écrit la fondation Surgir.
Si les législations de la plupart des pays ont évolué textuellement sur la question des crimes d’honneur, la réalité est tout autre. Les hommes restent impunis et le pouvoir qui leur est donné est tel que la société ne leur pardonnerait pas l’absence de réaction face à la “faute” commise par une femme de la communauté.
Une réalité qui dépasse les frontières des pays islamiques
Chaque année, entre 15 et 20 000 femmes sont tuées dans le monde sous couvert de « crimes d’honneur » selon des organisations non gouvernementales ; même si le nombre de meurtres répertoriés comme tels n’excède pas les 5000. En effet, il est difficile d’évaluer avec précision le nombre de victimes puisque ces meurtres affectent un large éventail de cultures, d’ethnies, de religions et de communautés. Si les pays de confession musulmane sont les plus touchés, ces pratiques existent également dans ceux de confession hindoue ou chrétienne où la religion est instrumentalisée et légitime le crime. Le plus souvent perpétrés dans des États rythmés par la violence et en proie à des successions de guerre ou de coup d’État, la place des femmes reste toujours très marginale et dérisoire. Elles demeurent soumises à l’autorité du père, du mari, du frère voire du fils. De plus, l’Europe et l’Amérique du Nord ont également connu des cas jusque dans les années 2010, preuve que ce crime ne connaît pas de frontière.
L’Iran, le Soudan, la Somalie et le Vatican n’ont quant à eux même pas signé la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’éradication de ces crimes d’honneur ne peut se faire qu’avec le développement de l’éducation et de la lutte contre les extrémismes religieux. Il faut réussir à substituer le respect de la législation au sentiment de vengeance personnelle et d’honneur pour que le justicier par la tradition devienne un criminel par loi.
Partout dans le monde, ces crimes suscitent la révolte et sont dénoncés par l’opinion publique. Chaque nouvelle victime entraîne une horde de manifestations et les réseaux sociaux permettent aux pays pour qui cette horrible réalité semble chimérique de se tenir informés de l’actualité étrangère. L’agression ou le meurtre de femmes pour sauver l’honneur est parmi les conséquences les plus tragiques et illustre de façon criante la discrimination profondément ancrée et tolérée dans certaines cultures à l’égard des femmes et des filles.
La lutte contre ces atrocités doit être une priorité et tant que le genre féminin restera une source de danger pour certaines, nous ne pourrons crier victoire.