25 minutes et 38 secondes, c’est le temps d’antenne accordé au candidat Anasse Kazib depuis le 1er janvier selon l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Acrom). Cette nouvelle figure des présidentielles, initialement membre du mouvement Révolution Permanente, un courant du Nouveau Parti Anticapitaliste, a annoncé sa candidature en avril dernier avant de quitter le parti politique afin de s’indépendentiser.
Avec un programme qui se revendique révolutionnaire, écologiste et anti-impérialiste, ce candidat d’extrême gauche souhaite porter à travers ses idées un idéal qui lutte contre les discriminations et met en avant le droit des minorités. Mais cette candidature dérange et Anasse Kazib est confronté à des menaces de mort de la part de l’extrême droite. Il a également été victime d’une campagne raciste créée par d’anciens membres de Génération Identitaire et il a fini par être convoqué par la police pour avoir organisé un meeting. Le chemin de la première campagne présidentielle d’Anasse Kazib a donc été semé d’embûches mais il dépassait tout même l’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira de quelques dizaines de parrainages tout au long de son parcours et a fini sa course avec 149 parrainages.
Néanmoins, il reste le fantôme des médias, évaporé des débats et des décomptes des parrainages dans les émissions politiques. En effet, lorsque l’on se rend sur le site de l’Acrom, le nom d’Anasse Kazib est quasiment absent de tous les relevés de temps de parole des candidats des chaînes télévisés, et lorsque son nom s’affiche les chiffres ne s’élèvent pas plus haut que quelques minutes voir secondes par chaînes. Eric Zemmour et Marine Le Pen cumulent, eux, un temps de paroles respectif de 180 et 191 heures, soit 15 jours sans interruption de présence médiatique, portant ainsi atteinte aux principes constitutionnels d’un droit à une pluralité d’opinion et de représentativité politique équitable. Selon la loi du 30 septembre 1986, l’Acrom a pour mission de veiller au respect, par les radios et télévisions, du pluralisme politique. Ce traitement médiatique inique montre la condition dans laquelle les minorités tentent d’évoluer dans la sphère politique.
0% Français, 100% wokiste, 100% islamiste. C’est le message qui a été placardé tout autour de la Sorbonne, quelques jours avant la conférence qu’Anasse Kazib devait animer au sein de la faculté. Quelques semaines plus tôt, le syndicat étudiant de droite l’UNI, avait déjà protesté contre la conférence, c’est donc au tour du groupuscule les Natifs (refonte de Génération Identitaire) de menacer le candidat par des propos racistes et islamophobe.
Cette réaction virulente et violente de la part des mouvements de droite et d’extrême droite, s’explique par le portrait d’Anasse Kazib, assez singulier des autres candidats habituels. Français d’origine marocaine et de confession musulmane, ses parents émigrent en France et son père, salarié à la SNCF, fait directement face à une discrmination salariale due à ses origines. Kazib baigne dans un milieu où la défense des droits des travailleurs et des minorités fait partie de son quotidien, il devient à son tour ouvrier pour la SNCF et s’est ainsi syndicalisé pour la défense des droits sociaux des cheminots.
Son statut économique et sa condition ethnique et religieuse sont la source d’innombrables commentaires discriminatoires, de la part des groupes politiques mais également de journalistes. En 2019, Valeurs Actuelles avait publié un article intitulé “Un syndicaliste revendique le droit de ne pas serrer la main d’une femme”, un autre journaliste publie dans l’Opinion que le candidat “cautionne le patriarcat islamique”. L’argument de ces journalistes se base sur une instrumentalisation de la cause féministe dans le but de discréditer un candidat en usant d’une rhétorique islamophobe, à travers un racourcis qui fait passer les hommes musulmans pour des misogynes. Cette critique qui se veut en défense des femmes reste assez ironique, étant donné que le journal Valeur Actuelles avait publié un numéro en mars 2020, intitulé “Comment les féministes sont devenues folles”.
Les propos de ce journal montrent que dans les cas où l’on médiatise un candidat minoritaire, certains médias continuent de capitaliser leurs contenus sur des stéréotypes racistes et non sur leur programme politique. Bien évidemment, la pluralité d’opinion et les critiques dans les médias sont primordiales et que l’on soit d’accord ou pas avec le programme d’Anasse Kazib, réduire un candidat à sa religion et ses origines ne permet pas d’émettre une critique constructive de sa candidature aux élections présidentielles.
Cette problématique pose la question de la représentativité des personnes racisées dans le domaine politique, Anasse Kazib en tant que français d’origine maghrébine et de confession musulmane, représente environ 8% de la population française.
C’est donc, 8% des Français qui en ouvrant la télé voient un journaliste de CNews insulter un candidat au mêmes origines qu’eux de “nazi islamiste”. 8% des Français à qui on ne donne pas de place médiatique pour s’exprimer sur des sujets qui les concerne. 8% de Français qui entendent des candidats d’extrême droite qui les considèrent comme l’ennemi de la République et responsable d’un effondrement national. 8% des Français qui peuvent se sentir illégitime de prendre une place en politique. 8% des Français qui font face à des affiches où on leur dit qu’ils sont 0% Français.
Cette tranche de la population a besoin de retrouver une visibilité équitable, qui ne les réduit pas à leurs différences, les critiques auxquelles ils font face doivent porter uniquement sur leurs idées politiques et non sur leurs identités. Quel que soit le bord politique que l’on défend, les origines ne doivent jamais être un frein à l’engagement et à la prise de parole.
Anasse Kazib est un exemple parmi tant d’autres de minorités politisées en France qui ont dû faire face à des menaces de mort et des discours haineux. En décembre 2021, le député de Seine Saint Denis, Patrice Anato, a reçu une lettre à l’Assemblée nationale lui étant adressée avec le message suivant : « Les n*gres, dont vous faites parties, sont une erreur de la nature et une honte pour notre République. MORT À VOUS. »
Les jeunes Français d’origine étrangère évoluent dans un environnement où il est inévitable de recevoir des messages aussi violents sur son lieu de travail si l’on est une minorité dans la sphère politique. Combien d’autres Français comme Anasse Kazib ou Patrice Anato devront faire face et subir cette violence du simple fait qu’ils existent ? Combien de Français ont déjà dû abandonner leurs rêves de carrière et de représentativité politique de peur de se confronter à une répression médiatique et citoyenne ?
L’identité d’une personne ne représente pas les questions identitaires que cela pourrait impliquer. Un arabe politisé n’est pas une représentation du danger migratoire et de la délinquance. Un musulman politisé n’est pas une représentation de l’islam radical.
Tant que les médias continueront d’invisibiliser les idées des minorités politisés et les réduire uniquement à ceux qu’ils représentent, l’espoir d’une future génération diversifiée en politique sera également réduite.